Adieu à Zola - Numéro 478
15/01/2019
Au sens de la mission qui vous a été confiée par le Premier ministre, qu’est-ce que les pouvoirs publics entendent par « territoire » ? De quel échelon administratif le territoire se rapproche-t-il le plus (microlocal, intercommunal, régional ) ?
Bruno Bonnell : Le pari est de revenir à la géographie de la France et non pas au territoire défini par l’administration. Ainsi, parmi les territoires d’industrie on compte des vallées comme celle d’Auriac-Figeac qui sont sur deux départements, le Cantal et le Lot ; le territoire de l’agglomération de Redon, en Bretagne couvre trois départements et deux régions. Nous avons souhaité trouver une cohérence géographique et non administrative à ces territoires d’industrie. Nous avons néanmoins convenu d’un filtre, fondé sur le nombre, en considérant que les territoires devaient regrouper entre 50 000 et 80 000 personnes pour avoir un poids économique significatif et ne pas être seulement une ville isolée.
Les territoires que la mission a distingués avaient-ils déjà une existence administrative ou ont-ils résulté d’une analyse ad hoc ?
B. B. : Comme je viens de le préciser, ils résultent d’une analyse ad hoc, certains sont un EPCI, d’autres sont une réunion d’EPCI, ou peuvent être la réunion de plusieurs agglomérations de communes. Nous avons observé que des liaisons économiques, de sous-traitance, de collaboration entre sociétés, de recyclage ou d’utilisation des déchets transcendent l’organisation administrative du territoire.
Quel est le bon échelon territorial pour décloisonner le développement économique, l’emploi et la formation ? Les régions « loi NOTRe » ne sont-elles pas trop vastes ?
B. B. : Les régions loi NOTRe sont effectivement vastes, mais on a gardé sous l’autorité de la région qui a la responsabilité du développement économique les territoires d’industrie. C’est le président de la région qui sera à la tête de ce que nous allons appeler le comité de surveillance des contrats signés avec l’État, non pas en tant qu’autorité administrative sur le territoire, mais sur dix à quinze territoires par région.
Quelle a été l’extension de la notion d’industrie selon votre mission : sites de « production » de biens tangibles stricto sensu ? Biens numériques (logiciels) aussi ? Sièges ? Sites logistiques ?
B. B. : Nous avons souhaité clarifier la notion de biens matériels : un territoire d’industrie produit des biens physiques, tangibles, mais il doit également tenir compte des industries phygitales qui combinent le physique et le digital. Ce qui relève du pur service virtuel, numérique ou par exemple des sociétés de nettoyage, ou d’assistance aux personnes âgées, sont exclues de la définition de l’industrie. On veut, par le phygital, donner une image positive, innovante de l’industrie, et non plus une image à la Zola.
La possibilité de synergies industrielles locales a-t-elle été un critère d’élection des cent vingt-quatre territoires pour la mission interministérielle ?
B. B. : C’est un critère essentiel, car notre ambition est d’inventer un circuit court industriel comme il en existe déjà dans le commerce alimentaire, ou la gestion humaine. Il peut y avoir ainsi des réseaux de sous-traitance, de premier ou deuxième rang, des échanges de meilleures pratiques, des collaborations de proximité, des synergies locales fondamentales. Mais nous avons exclu des territoires d’industrie les plateformes comme celles de la chimie, ou aéroportuaires, qui ont une économie spécifique, car d’autres missions vont être mises en place. Fos-sur-Mer ou la Vallée de la chimie entre Lyon et Solaize ont une économie circulaire et leurs problématiques sont très spécifiques ; les déchets de l’un y sont les matières premières de l’autre. Les vapeurs de la sidérurgie sont utiles à l’usine chimique qui est proche et les effluents de celle-ci servent à l’usine de traitement plastique, également proche.
L’« écologie industrielle territoriale » a-t-elle une place dans le cadre du plan « Territoires d’industrie » ? Peut-elle participer de la réindustrialisation ?
B. B. : Elle a une place essentielle, aussi bien sur le plan formel, administratif et légal, dans la gestion des externalités, et sur le plan de l’analyse des ressources limitées ; elle change le processus industriel. Nous avons des usines plus propres qui savent inventer de nouveaux procédés. L’écologie est une opportunité dans une France très imaginative, d’inventeurs, de regagner tant de parts de marché perdues.
En fait de synergies et d’écologie territoriales, l’État se donne-t-il pour mission de relayer les démarches et les attentes des territoires au plus haut niveau des grandes entreprises internationales, niveau peu accessible à de modestes collectivités qui n’en connaissent en général qu’un des sites d’une filiale ?
B. B. : Je veux combattre le terme « territoire périphérique » au profit du territoire d’avenir, territoire performant pour l’industrie par la qualité de vie, et séduire ainsi les entreprises internationales. Il revient à l’État de relayer les souhaits de ces territoires et de les mettre en valeur quand ces entreprises internationales ont le réflexe d’aller dans les grandes métropoles.
Après cette mission interministérielle, quelles doivent être la ou les tutelles des actions en faveur des « territoires d’industrie » ?
B. B. : C’est là où le pari est intéressant à relever. Si la tutelle principale demeure la Région, il reste aux territoires à se prendre en main, et la contractualisation avec les territoires doit se faire avec un chef de projets nommé sur le territoire.
Si par exemple un territoire a des problématiques immobilières pour que les entreprises puissent croître, le chef de projet aura une spécialité type Caisse des dépôts et consignations, ingénierie générale sur le plan environnemental ; un autre territoire aura des problèmes de formation, et c’est avec le ministère du Travail que le chef de projet devra œuvrer. C’est au territoire de définir un chef de projet qui sera sur place, et la coordination se fera avec la Région. Le territoire doit s’émanciper et il doit avoir à sa disposition tous les moyens de l’État.
C’est le retour des girondins ?
B. B. : C’est la volonté de différencier les territoires et de les traiter chacun de manière singulière, en tenant compte de leurs contraintes, de leurs souhaits. Et c’est la volonté de leur donner les moyens de s’émanciper du pouvoir jacobin de l’État et minijacobin de la Région. L’État et la Région doivent dorénavant être au service des territoires. Il faut inverser la vapeur.