La fibre et le kiosque - Numéro 482
30/06/2019
Le lien social fragilisé dont les politiques font le constat depuis des décennies peut-il trouver à se retisser autour de communautés de consommateurs ancrées dans des territoires ?
Pascal Coste : Plus on peut avoir accès à tout, plus on est dans la mondialisation effrénée, le numérique, plus on ressent le besoin de se rassurer, particulièrement dans le domaine de l’alimentation, avec ses dimensions santé et plaisir qui vont au-delà du simple achat de produits de consommation courante. On a besoin de revenir vers ses valeurs, ses racines, et de retisser du lien. Les communautés de consommateurs participent de cette tendance et font appel à des territoires emblématiques qui ont des histoires locales.
À quelles conditions l’e-commerce peut-il être aussi un réseau social non exclusivement virtuel mais ancré dans les territoires ?
P. C. : S’il n’y a pas des commerçants, des producteurs et des consommateurs, il ne peut y avoir d’e-commerce. Qu’il soit classique ou numérique, le commerce ne peut se faire sans les hommes, les territoires. Si l’e-commerce se développe, c’est parce que les gens ne veulent pas perdre de temps en faisant leurs courses, mais c’est à nous, responsables politiques locaux, de faire en sorte que l’e-commerce pénètre les territoires, par le développement de la fibre, par exemple. Plutôt qu’attendre le client, le commerçant peut être connecté à des sites d’e-commerce et mieux développer son activité, en faisant de la mise en ligne donc de la mise en avant de ses produits. La fibre recrée du lien.
À quelles conditions l’e-commerce peut-il aller dans le sens du programme Cœur de ville de revitalisation des centres urbains1 ?
P. C. : Il faut des outils numériques, des jeunes pousses en capacité de rapprocher des consommateurs les commerçants de centre-ville. Je ne crois pas à l’individualisation des outils. L’e-commerce seul ne peut remplacer avec cent boutiques en ligne le dynamisme de cent commerces de centre-ville. Il faut une proposition commerciale très large pour offrir des gammes elles aussi très larges. La démarche commerciale doit être collective, complémentaire, et non individuelle. Dans certains milieux ruraux, la population qui triple pendant l’été permet à des commerces de subsister l’hiver. De même, l’e-commerce peut aider à revaloriser le commerce physique dans les centres urbains.
Les grandes plateformes qui dominent le paysage de l’e-commerce sont-elles capables de répondre à cet enjeu ?
P. C. : Oui, si elles veulent s’en donner les moyens… Mais l’enjeu est plutôt pour nous de proposer notre propre capacité localement, une place de marché ou plateforme territoriale.
Comment éviter que la vente en ligne de produits de grande consommation, du fait des plus grosses plateformes, ne favorise un approvisionnement au plus bas coût à l’échelle du marché unique européen ?
P. C. : Cela dépend des produits achetés. Les consommateurs comprennent que nos achats sont nos emplois. Mais à notre capacité à produire, à nos savoir-faire locaux, le pouvoir d’achat peut contribuer : la solution consiste à utiliser le volume et le gros du flux des produits de grande consommation, y compris les produits à bas coût, pour proposer aux consommateurs des produits des territoires.
Vouloir se spécialiser dans une niche est dangereux, c’est la grande cavalerie qui permettra aux fantassins territoriaux de gagner la bataille. N’oublions pas que les fantassins ont toujours eu peur de la cavalerie, et que les gros sont en capacité de tirer les petits. C’est un peu comme la truffe et son chêne truffier : sans chêne pas de truffe. Il ne faut pas couper les chênes truffiers.
Les nouveaux modèles de commerce répondent-ils bien aux ambitions de valorisation des filières agricoles françaises portées par la loi ÉGAlim ? Ou se segmentent-ils sur ce point ?
P. C. : Je pense qu’ils vont se segmenter, car les filières agricoles ne raisonnent pas assez sur le plan global, on l’observe pour le bio. Or je ne crois pas au ghetto du bio, au ghetto du produit local. Il faut des produits de grande consommation, des produits de fond de rayon en raison de la question du pouvoir d’achat, et des produits de qualité supérieure issus de savoir-faire très élaborés et territoriaux. On en revient au chêne truffier : si on veut des truffes, il faut planter des chênes truffiers. On ne sauvera pas l’agriculture seulement avec des marchés de niche.
Est-ce que l’extension des modèles d’e-commerce peut et va se traduire par une réduction sensible du trafic automobile ? Ou générer un encombrement urbain spécifique lié aux restrictions de circulation qui se généralisent dans les grands centres urbains ?
P. C. : La question de fond porte sur le dernier kilomètre. Si l’on raisonne de manière segmentée et qu’on livre selon le type de produits (grande consommation, épicerie, petites quantités…), on embouteille tout le système, et les produits de terroir n’auront pas leur place, car le flux économique ne sera pas suffisamment fort. Ou l’on cherche d’autres solutions, par exemple on imagine que l’infirmière qui aide la personne âgée lui apporte le colis commandé.
Peut-on imaginer des plateformes qui regroupent les commandes pour qu’il n’y ait qu’une seule personne qui passe les prendre ? Je pense à l’agrégation de services pour éviter l’embouteillage local. Des nouveaux métiers sont à inventer. Ne revenons-nous pas à l’emploiw de gardien d’immeuble ? De la même manière, à l’intention des vélib’, autolib’ ou trottinettes, il sera possible de proposer des casiers où les livreurs viendront chercher les produits.
Les collectivités locales doivent-elles se diriger vers des réaménagements urbains spéciaux pour favoriser la fluidité des livraisons (couloirs de circulation, emplacements pour véhicules dépositaires, etc.) ?
P. C. : Je pense que les couloirs de bus devraient être reconfigurés pour accueillir des solutions de mobilité du type vélib’ ou trottinette. Il faut utiliser l’infrastructure qui existe, car cela ne coûte rien à personne. C’est une question de volonté politique. On a bien fait des kiosques pour les journaux, pourquoi ne pas en proposer d’un nouveau type pour les retraits de produits ?