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Publique ou commerciale, à quoi sert la marque ?

12/01/2017

On peut consta­ter aujour­d’hui une réelle conver­gence entre les marques publiques et commer­ciales, tant au niveau des outils (focus group, sondages, plan­ning stra­té­gique) que de la commu­ni­ca­tion. Rien n’in­dique que ce mouve­ment puisse se ralen­tir.

par Marcel Botton,
Directeur général délégué de Nomen

Parmi les nombreuses fonc­tions de la marque, nous en retien­drons deux, la fonc­tion de garan­tie et celle de simpli­fi­ca­tion, pour lesquelles les problé­ma­tiques publiques et commer­ciales présentent des conver­gences inté­res­santes.

Fonc­tion de garan­tie

C’est l’ex­ten­sion à la marque de ce qu’était l’ap­po­si­tion du nom patro­ny­mique sur le produit, par exemple de l’ar­ti­san qui enga­geait ainsi son nom. Lorsque monsieur Duval, architecte, gravait son nom dans la pierre de l’immeuble qu’il avait construit, il répondait sur son nom de la qualité de son travail, à la fois financièrement et moralement. On remar­quera que ce nom, contrai­re­ment à une marque commer­ciale ou poli­tique, ne pouvait être aban­donné, et que sa répu­ta­tion rejaillis­sait même dans une certaine mesure sur sa descen­dance. C’est dire à quel point le nom patro­ny­mique en tant que marque s’ins­cri­vait dans la durée. Cela reste vrai aujour­d’hui des marques commer­ciales qui portent le nom de leurs fonda­teurs lorsque ceuxci ou leurs descen­dants sont encore présents dans l’en­tre­prise (Peugeot, Lagar­dère…).

La fonc­tion de garan­tie est donc certai­ne­ment mieux assu­rée lorsque la marque est un nom patro­ny­mique, car on entraîne d’une certaine manière toute sa famille. Clai­re­ment, les hommes poli­tiques répondent sur leur patro­nyme des enga­ge­ments qu’ils prennent, qui rejaillissent néces­sai­re­ment sur leur lignée. Il en va diffé­rem­ment des noms de partis, qui peuvent chan­ger et le font, comme récem­ment l’UMP devenu Les Répu­bli­cains. Ainsi les diffé­rents avatars du parti gaul­liste ont-ils tenté régu­liè­re­ment de se refon­der, se rassem­bler, voire parfois se refaire une virgi­nité en chan­geant de nom. Ce phéno­mène d’ef­fa­ce­ment du passé s’est mani­festé pour certaines déno­mi­na­tions d’en­tre­prises commer­ciales. En revanche, pour l’ins­tant, le Parti socia­liste – même si la propo­si­tion en a été faite début 2008, notam­ment par Manuel Valls, alors député PS de l’Es­sonne – n’a pas changé de nom depuis qu’il a aban­donné la marque Section fran­çaise de l’in­ter­na­tio­nale ouvrière lors du congrès d’Issy-les-Mouli­neaux en 1969. Quant aux insti­tu­tions publiques, elles changent de marque plus souvent qu’à leur tour, victimes de ce qu’on a parfois appelé l’« effet d’inau­gu­ra­tion », en clair le béné­fice poli­tique qu’ap­portent la réforme et la reno­mi­na­tion d’une insti­tu­tion. Exemples : Pôle Emploi, RMI devenu RSA, IGF devenu ISF, etc.

Fonc­tion de simpli­fi­ca­tion

La marque permet d’échap­per en partie à la complexité. Le monde dans lequel nous vivons, qu’il s’agisse du monde de la consom­ma­tion ou du monde poli­tique, est de plus en plus complexe et ne peut plus être embrassé dans son entier par un honnête homme instruit. C’est alors que la marque vient offrir de réduire cette complexité par procu­ra­tion, en propo­sant en quelque sorte de rempla­cer le consom­ma­teur/​élec­teur dans sa fonc­tion d’ana­lyse critique. Exami­nons un produit tech­nique complexe, par exemple une impri­mante… malgré les bancs d’es­sai publiés ici ou là, il est diffi­cile pour le consom­ma­teur d’en évaluer les perfor­mances, en parti­cu­lier en matière de fiabi­lité, qui, par défi­ni­tion, ne peut être appré­ciée que dans la durée. Il est maté­riel­le­ment impos­sible de porter une appré­cia­tion objec­tive sur la qualité d’un produit dont le temps moyen entre deux pannes (mean time between failure ou MTBF) s’ap­pré­cie en années. On délé­guera donc son libre arbitre en s’en remet­tant à la marque qui cautionne le produit. On choi­sira une impri­mante Hewlett-Packard, une voiture Renault, un appa­reil photo Canon parce qu’on a des raisons de penser que ces fabri­cants ont pris toutes les précau­tions pour déli­vrer des produits perfor­mants avant d’ap­por­ter leur marque en garan­tie, et qu’il est raison­nable d’es­ti­mer qu’ils ne peuvent le faire à la légère. Autre­ment dit, ces marques ont acquis une telle valeur qu’il ne serait pas oppor­tun de risquer leur répu­ta­tion en vendant des produits de médiocre qualité.

Dans le domaine public, la problé­ma­tique est compa­rable. Les choix poli­tiques sont de plus en plus des déci­sions tech­niques et complexes, sur lesquelles le citoyen lambda aura bien du mal à se faire une opinion ferme. Doit-on augmen­ter ou bais­ser les taux d’in­té­rêts ? devons-nous préfé­rer un euro fort ou un euro faible ? faut-il donner plus d’im­por­tance à la préven­tion des délits ou à la répres­sion ? doit-on s’orien­ter vers une immi­gra­tion choi­sie ? doit-on auto­ri­ser, régle­men­ter ou inter­dire les OGM ? à quelle échéance le réchauf­fe­ment clima­tique risque-t-il de deve­nir irré­ver­sible ? ... autant de sujets qui ne peuvent faire l’ob­jet d’opi­nions expé­di­tives. Il faut étudier les expé­riences anté­rieures et étran­gères, prendre garde à certains effets non dési­rés, voire contre-produc­tifs, expé­ri­men­ter dans la durée, … autant de choses que le citoyen n’a ni le temps ni l’en­vie de faire. La seule solu­tion raison­nable est de délé­guer notre confiance, et donc malheu­reu­se­ment une part de notre esprit critique, à des hommes, des partis ou des insti­tu­tions dont ce sera le métier. D’où l’émer­gence de marques publiques.

On voit à ce sujet les limites de la « démo­cra­tie parti­ci­pa­tive » ou de la poli­tique des sondages. Si je délègue aux poli­tiques ou aux tech­no­crates le soin d’étu­dier pour moi la ques­tion, disons, des OGM, et si eux-mêmes s’en remettent aux sondages pour déter­mi­ner leur poli­tique, on se mord la queue ou, pour reprendre la termi­no­lo­gie des matrices de calcul, on est prison­nier d’une « réfé­rence circu­laire ». On est en présence d’une défaillance des élites dont le rôle est de montrer la voie. Les sondages, auxquels il est aisé de faire dire des choses contra­dic­toires, ressemblent alors à la Pythie de Delphes dont les oracles ambi­gus permet­taient de faire des choix sans les assu­mer. Il y a de grandes chances que ces situa­tions abou­tissent à trans­fé­rer aux médias une influence déci­sive, ce qui n’est pas une bonne solu­tion.

Dépen­dance à la marque

Les marques publiques ou poli­tiques jouent un rôle compa­rable à celui des marques commer­ciales en choi­sis­sant pour nous par procu­ra­tion. La démo­cra­tie ne peut donc s’exer­cer, contrai­re­ment à la démo­cra­tie directe de la Grèce antique, que grâce à une sorte de confiance intui­tive par laquelle l’élec­teur délé­guera son auto­rité à son candi­dat, à son élu. On peut parler de paresse mentale, la même d’ailleurs qu’on retrou­vera dans la fidé­lité du consom­ma­teur à sa marque, qui l’amè­nera à choi­sir sans avoir pris connais­sance de l’en­semble des éléments de ce choix. Dans le domaine commer­cial comme en poli­tique, cela peut conduire à des abus. Comme on parle parfois de fashion victims, on pour­rait employer le terme de brand victims : pour certains consommateurs, le lien de confiance à la marque, habilement exploité, se transforme en une dépendance irraisonnée, une sorte de brand addiction pouvant amener le consommateur à s’engager dans des choix irrationnels et généralement onéreux. En poli­tique, les mêmes outils de propa­gande peuvent amener le citoyen à suivre aveu­glé­ment le candi­dat/​marque au point de lui faire perdre son sens critique dans l’ana­lyse des actions poli­tiques mises en oeuvre. C’est une voie qui, pous­sée à l’ex­trême, peut mener à la dicta­ture.

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