Le rôle de l’éducation
12/01/2017
Ou comment la nouvelle génération va penser le rapport marque/pouvoirs publics sans tabou et avec beaucoup de digital.
par Olivier Creusy,
Professeur au sein du programme Management de la communication politique et publique, Iscom Paris
Au sein du monde de l’éducation, peut-être nous posons-nous d’abord la question du qui ? , et seulement ensuite celle du comment ? C’est un privilège dans une époque où tout s’accélère. Quand les acteurs de la marque en entreprise sont préoccupés par l’atteinte du résultat à court terme, nous pouvons encore réfléchir aux qualités innées des nouvelles générations de professionnels de la communication et aux enseignements et innovations pédagogiques qui les prépareront à une action efficace au sein ou en interaction avec les pouvoirs publics. Qui sont ces étudiants que nous devons former et comment leurs intuitions et leurs réflexes peuvent être moteurs de nouvelles pratiques ? Quelle conscience ont-ils de la « chose » publique, en souhaitant que « chose » soit ici synonyme de « bien », et comment imaginent-ils mobiliser dans leur pratique professionnelle la culture générale et la réflexion qu’en tant que citoyen(ne)s responsables, ils mènent sur leur rôle et leur éventuel engagement dans la société civile et parfois la vie politique ?
Qui sont-ils ?
Les millenials, nés entre 1980 et 2000, semblent se caractériser par trois attitudes spécifiques vis-à-vis du sujet qui nous intéresse ici. D’abord un rapport plus qu’évanescent avec le passé et le concept d’histoire. Le passé est rarement considéré comme une source de connaissance utile et d’inspiration. Il est perçu principalement comme ce qui a été et qui, par conséquent, doit changer sous l’impulsion créative de la jeunesse. Nourris de discours sur l’innovation, expérimentateurs permanents de nouveaux objets de plus en plus magiques, encouragés par des médias qui ne valorisent souvent que la figure d’un créateur de start-up inspiré qui révolutionnera les usages, et le monde par ricochet, à l’instar de Jeff Bezos (Amazon) ou Mark Zuckerberg (Facebook), le futur jeune professionnel pense le monde comme un chantier. Dans ces conditions, qu’attendre du passé ? Innover, dans la vraie radicalité de l’innovation de rupture, suppose la liberté de pensée totale du créateur, une inspiration personnelle, une lucidité rare et prémonitoire au sein d’une communauté encore aveugle sur ce que sera son avenir.
Cette distance avec l’histoire et ses enseignements possibles se traduit par une méconnaissance assez répandue de la Constitution de la Ve république, du fonctionnement des institutions et des mécanismes de gestion des collectivités territoriales. L’exercice de la citoyenneté par le droit de vote est probablement moins significatif au sein de cette génération, qui n’est pas majoritairement intéressée par la politique et ne fera pas une priorité de s’y intéresser, avec ce que la forme pronominale suppose ici d’énergie et d’implication personnelle.
A contrario, si les enjeux nationaux et européens mobilisent peu, on remarque un attachement fort à la dimension régionale et locale. Ce trait de comportement s’observe de façon plus générale au sein de la population française. Face aux enjeux difficiles à cerner de la mondialisation et au sentiment que les cartes sont rebattues – peut-être en notre défaveur – dans le grand jeu international des influences politiques et économiques, l’échelle régionale a du sens et permet de se sentir partie prenante d’une communauté attachée à des paysages, des modes de vie et des traditions. Rien de passéiste dans tout cela, mais le besoin d’un enracinement et de repères partagés.
Enfin, en précisant notre observation de la nouvelle génération de jeunes professionnels de la communication, il est acquis, pour la plupart, que toute organisation, qu’il s’agisse d’une association, d’un parti politique, d’une collectivité territoriale ou d’une entreprise qui fabrique des produits de grande consommation à travers le monde, doit se penser comme une marque.
Il s’agit déjà d’aller au-delà de l’adaptation plus ou moins réussie au secteur public des concepts de la marque, initialement pensés pour la grande consommation. La démarche n’est pas de considérer, un peu artificiellement, une ville ou une institution publique comme une marque et de les équiper d’un prisme d’identité, d’une plateforme et d’un manifeste. Il est clair pour tous que ces différents acteurs, et bien d’autres, sont intrinsèquement et désormais à part entière des marques, dès lors qu’ils ont l’intention de prendre la parole et parfois même bien avant, quand d’autres parlent déjà d’eux au sein du monde digital. Le besoin de marque naît en même temps que celui de réputation. À partir du moment où les réseaux sociaux se développent, le besoin de réputation devient universel. Universel pour toutes les organisations, quelles qu’elles soient, comme il est universel pour chacun d’entre nous, qui optimisons notre personal branding en tentant de concilier sur la toile les facettes professionnelles (LinkedIn, Viadeo) et plus personnelles (Facebook) de nos complexes identités.
Qu’attendre de cette nouvelle génération ?
Attendons de belles rencontres, avec l’idée que chacun devra faire une partie du chemin dans la direction de l’autre. Aux « adultes » et aux écoles de raconter l’histoire et de donner les clés de compréhension de la mécanique cachée de ce monde qui change. Comme sur l’océan, l’agitation la plus folle ne se manifeste qu’à la surface, alors que les grands fonds restent paisibles. Il est plus important que jamais que chaque jeune citoyen et futur professionnel soit formé à une connaissance suffisante de la philosophie générale de l’organisation de la nation, du partage et de l’équilibre des pouvoirs garanti par la constitution, des compétences et du fonctionnement des institutions nationales, régionales et départementales. La modernité, dans l’univers de la pédagogie, ne consiste pas toujours à remettre en cause des fondamentaux au motif qu’ils évoluent bien peu dans un monde qui change. S’intéresser à ce qui ne change pas peut être compris ici comme une vertu et prendre conscience de ce qui est stable et durable autour de nous n’aliène pas notre capacité à produire des idées qui gagneront à s’élever sur des fondations solides.
Dans l’autre sens, à partir de cette intuition partagée sur « l’état de marque » des collectivités territoriales au même titre que toute autre forme d’organisation, les jeunes professionnels du marketing territorial et de la communication proposeront de mettre en oeuvre sans tabou ni réticence les moyens les plus efficaces et immédiats d’entrer en conversation avec les publics locaux, avec le souci de leur être utile. Au fond, le problème de la communication des collectivités territoriales est souvent de convaincre de l’utilité des actions entreprises. Gageons que toutes agissent dans le sens du bien commun, bien qu’elles soient malheureusement confrontées aux interprétations partisanes et aux déformations électoralistes. Parier sur le dialogue public, intelligemment participatif, c’est-à-dire capable d’éviter les mises en cause personnelles, le défoulement populiste et la dérision facile, offre la possibilité de renforcer un sentiment du collectif parfois très affaibli.
Le community management trouverait alors sa forme la plus avancée dans l’organisation d’un échange direct et permanent entre les pouvoirs publics et leurs cibles citoyennes. Quelques initiatives de démocratie participative ont déjà vu le jour. Une première période expérimentale se termine pour laisser la place à des pratiques plus systématiques. Former à la communication publique c’est former au management, en aidant à la compréhension globale de l’époque et de l’environnement, et en développant les capacités d’empathie et d’animation d’interactions humaines constructives.
Alimentés au big data ?
L’éducation est confrontée au défi du big data. Nous devons développer de nouvelles compétences, qui permettront la compréhension des enjeux, éclaireront les problématiques d’éthique, en même temps qu’elles optimiseront les techniques de collecte et d’exploitation. La communication des pouvoirs publics, dans ce domaine, sera déterminante pour établir un large consensus sur les bénéfices collectifs que nous pourrons tirer des datas intelligentes, ces progrès devant être sensibles à l’échelle du citoyen. Formons les jeunes professionnels de la communication à la définition des discours qui expliqueront (les acteurs et les règles), rassureront (la sécurité et le respect des libertés individuelles) et convaincront (les bonnes pratiques et l’optimisation de la gestion publique). Les datas, si l’on n’y prend pas garde, pourraient devenir auto-communicantes : la force de conviction d’un chiffre bien choisi n’est pas contestable. Dans un contexte où la parole des politiques a perdu beaucoup de valeur et d’impact, où les élections semblent tourner au concours du plus gros mensonge, les communicants doivent réinventer une forme de vérité, à l’instar de la vérité de la marque, consciente de son identité profonde et fière de la mission qu’elle se donne. Dans le contexte de la communication des pouvoirs publics, l’intérêt des big datas est multiple. Elles permettront d’améliorer la gestion dans le sens de l’intérêt général, mais au-delà, en tant que sujet de discours, de pédagogie et de narration, elles inviteront à porter un nouveau regard sur le rôle et la performance des acteurs publics.
Sans tabou ni crainte vis-à-vis du potentiel des technologies, aspirant à un dialogue ouvert et utile, convaincus de l’efficacité de la pensée « marque », les jeunes communicants constituent une ressource riche pour tous les acteurs de la vie publique. Le temps des conflits de cultures et des raideurs est dépassé. La marque est plastique et cette souplesse, combinée à l’ouverture d’esprit et à la créativité des jeunes professionnels, annonce des prises de paroles renouvelées et des collaborations prometteuses.
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