Vie des marques

Sodiaal : encourager la relève

15/11/2023

Parce que le renouvellement des générations est un enjeu vital pour la filière laitière française, la coopérative Sodiaal a lancé une campagne sur le sujet, en écho aux soutiens qu’elle propose aux jeunes éleveurs . Entretien avec Gerald Saada, directeur marketing lait, beurre, crème, fromage et R&D, Sodiaal.

Sodiaal a lancé une campagne multimarque, « Marques de respect », une première pour votre groupe coopératif et une initiative plutôt rare dans l’agroalimentaire. Pourquoi ?

Gerald Saada : Une coopérative est une entreprise qui appartient à un groupement d’agriculteurs : avec seize mille adhérents, Sodiaal représente 20 % des éleveurs en France. Quand on achète Candia, Yoplait ou Entremont, on participe directement à la rémunération des éleveurs laitiers. La totalité des bénéfices sont reversés aux éleveurs auxquels appartient la coopérative, et non à un groupe d’actionnaires. Cette particularité est méconnue des consommateurs. C’est pourquoi nous voulons faire de notre identité coopérative un des points de différenciation de nos marques dans leurs univers de concurrence. Dans un premier temps à travers l’un des sujets les plus actuels pour nos éleveurs : la transmission des exploitations. Nous voulions aussi relier nos marques aux valeurs de la coopérative pour nourrir une fierté d’appartenance chez nos salariés et nos éleveurs, tout en recrutant de nouvelles générations de producteurs laitiers pour encourager leur installation.

Le retour complet de la marque Yoplait –une dizaine d’années codétenue avec General Mills – dans votre giron en 2021 a-t-il contribué à encourager cette démarche fondée sur la notoriété de Candia, Entremont et Yoplait ?

G. S. : Oui. Avec ces trois marques, Sodiaal fait partie des dix plus importants industriels de produits de grande consommation en France, un poids qui légitime cette prise de parole pour avoir un impact en faveur de la filière laitière française tout en augmentant leurs parts de marché.

Pourquoi s’en être tenu à ces trois marques, parmi les vingt-six que fabrique Sodiaal dans ses soixante et un sites, et ne pas profiter de la diversité de ses produits ?

G. S. : Ces trois marques représentent 90 % de nos volumes sous marque. Les marques de terroir, dont les plus récentes (Nature de Breton ou Les Eleveurs du Sud-Ouest) mais aussi Les Fromagers Cantaliens et d’autres, font partie intégrante de la stratégie de valeur de Sodiaal. Mais il était compliqué de toutes les faire figurer dans un film télé de vingt secondes. Elles sont visibles sur la page Sodiaal.coop/marquesderespect.

Un fonds de 10 000 euros par installation

Pourquoi avoir choisi comme premier thème la transmission des élevages ?

G. S. : La moitié des éleveurs ont plus de cinquante ans. D’ici cinq ans, la France ne sera plus en mesure d’assurer sa souveraineté alimentaire, ne couvrant pas ses besoins en lait, qui reste la meilleure protéine. Si nous ne voulons pas suivre le même chemin que la viande, il faut que la moitié de la production laitière soit assurée par une nouvelle génération. C’est une grave crise que traverse le monde laitier. En 2022, la collecte laitière de Sodiaal a diminué de 2,5 % et le nombre d’exploitations de 4,9 %. Nous sommes alignés avec cette pyramide des âges qui s’inverse toujours plus. La tendance se poursuit en 2023. Le transfert d’une exploitation d’un père à son fils ou à sa fille nous a paru à la fois très actuel, authentique et humain. Et c’est au cœur de la mission de Sodiaal : nous voulions le dévoiler au grand public.

Comment corriger cette situation et avec quel soutien aux éleveurs laitiers revendiqué par ces marques et leur coopérative ?

G. S. : Les marques que nous mettons en avant sont celles qui valorisent le mieux le lait de nos éleveurs. Notre modèle de partage de la valeur au sein de la coopérative Sodiaal est vertueux et solidaire, avec pour règle de répartition : 100 % des bénéfices reversés aux éleveurs, deux tiers directement et un tiers réinvesti dans la coopérative. Sans oublier la garantie de collecte à vie sur tout le territoire, dont 30 % en zone de montagne où le coût de collecte est élevé, pour 48 types de laits, dont 24 % en AOP, bio, Bleu Blanc cœur

Comment gérez-vous les transmissions, qu’elles soient familiales ou non ?

G. S. : Nous tentons d’inciter le plus possible les éleveurs à transmettre leur exploitation et les jeunes à s’installer. C’est le dispositif de la « Sodiaal Box ». Le principe est simple. Depuis 2014, la coopérative Sodiaal propose un fonds solidaire à destination des jeunes agriculteurs qui s’installent –l’âge d’un « jeune agriculteur » peut s’échelonner de dix-huit à quarante ans. Pendant cinq ans, ils bénéficient d’une enveloppe de 10 000 euros qui leur apporte une aide pour acheter du matériel (35 %), pour se former ou pour du remplacement (45 %), le reste pour du capital social, ainsi qu’une aide de trésorerie en cas de coup dur¹. Nous aidons ainsi près de deux cents installations par an.

De plus, depuis 2021, nous avons donné la possibilité aux consommateurs de s’engager dans ce fonds solidaire grâce à une brique de lait que nous avons nommée « Candia aide les jeunes agriculteurs ». Pour chaque brique de lait vendue, cinq centimes sont reversés à ce fonds solidaire. Ce nouveau lait tisse donc un lien entre les consommateurs qui souhaitent s’engager pour l’avenir de la filière laitière ainsi qu’un lait local de qualité, et les jeunes agriculteurs qui s’installent.

Formation des apprentis et mise en relation

Quels sont les atouts méconnus des métiers de l’élevage ?

G. S. : Comme nous le disons dans la campagne, « Éleveur laitier est un métier rude mais beau » : c’est un métier de passion qui doit s’accompagner d’un esprit entrepreneurial. Il faut être en mesure de gérer à la ferme de nombreuses activités : vétérinaire, électricien, manager, comptable… C’est un métier complet au plus près de la nature et des animaux. Mais c’est une entreprise très exigeante, qui doit être gérée sept jours sur sept : les vaches produisent du lait deux fois par jours et tous les jours ! Par ailleurs, nous avons annoncé un programme d’investissement de 1,5 million d’euros par an pour apporter de nouveaux services en faveur du salariat agricole, pour former des apprentis et les mettre en relation avec les éleveurs.

Et les freins à l’installation ?

G. S. : Ceux-là sont hélas mieux connus. D’abord la gestion du temps, bien sûr, pour l’équilibre vie professionnelle et vie personnelle. Ensuite, le regard pas toujours positif de la société sur l’élevage, avec de nombreuses accusations contre ce métier qui est pourtant essentiel pour nous tous. Par ailleurs, le coût du foncier n’est pas négligeable pour un jeune non issu du monde agricole : c’est une barrière à l’entrée qui peut être levée en partie avec la Sodiaal Box. Enfin, l’évolution du climat nécessite de penser le métier autrement, d’adopter de nouvelles pratiques, d’investir dans de nouveaux bâtiments... Mais il faut noter que l’installation individuelle s’accompagne désormais de projets de Gaec² et autres regroupements pour apporter plus de souplesse.

Répondre à l’enjeu environnemental

Comment répond Sodiaal au grand reproche formulé à l’encontre de l’élevage : les émissions de gaz à effet de serre ?

G. S. : Nous avons bien sûr une feuille de route environnementale. Engagés dans une trajectoire SBTi, nous contribuons à limiter le réchauffement climatique bien en-dessous de 2°C, conformément à l’Accord de Paris, et poursuivons un objectif de réduction de 20 % de nos émissions de carbone par litre de lait en 2030. Sodiaal est vraiment en pointe pour certains outils : 74 % de nos exploitations ont déjà réalisé un diagnostic CO2 ; plus de 1 500, sur 9 000 exploitations, ont des plans d’action « Cap’2ER » (calcul automatisé des performances environnementales en élevage de ruminants) ; et 320 fermes sont engagées dans le label bas carbone qui est le niveau le plus exigeant. Pour favoriser l’installation, la réponse à ces enjeux est cruciale. Nous partageons cette attente avec les distributeurs et l’ensemble de la société : les éleveurs doivent avoir confiance dans notre plan d’action et les moyens que nous y consacrons. S’y ajoutent les enjeux de biodiversité et de bien-être animal.

Avec la hausse des coûts et la tendance baissière de la collecte, l’élevage français doit-il changer de modèle, éventuellement en augmentant la taille des élevages ?

G. S. : La France reste attachée à une agriculture familiale avec des fermes à taille humaine : c’est une de ses spécificités. La productivité nécessite la professionnalisation et la robotisation, mais la tendance ne s’inversera que par des niveaux de rémunération plus élevés qu’aujourd’hui, car le prix du lait reste insuffisant. Même si elle a augmenté, cette meilleure rémunération est nécessaire pour déjà maintenir le modèle actuel et financer la transition écologique, sans parler de l’innovation.

D’où une communication sur le modèle coopératif. Allez-vous la prolonger ?

G. S. : En effet, il ne faut pas se limiter à une campagne de publicité. Elle va être prolongée en 2024, ainsi qu’au Salon de l’agriculture où « Marques de respect » sera le thème de notre stand ,puis déclinée en magasin où nous aurons également pour la première fois des temps forts multimarques avec de véritables animations communes. Enfin, les consommateurs pourront retrouver ce message sur les emballages, selon l’agenda des marques.

Le parti d’une démarche égalitaire

Quelle est la sensibilité des consommateurs à ce message, au-delà du déclaratif ?

G. S. : Nous avons une certaine connaissance de l’impact du message coopératif avec Candia depuis 2019, lors de salons ou de journées mondiales du lait. Ce que l’on sait, c’est que cette dimension peut être perçue comme trop technique : pour intéresser le consommateur, nous devons prendre un angle plus humain. Nos pré-tests nous ont portés à penser que nous étions dans la bonne direction.

L’effet de masse produit par trois marques très connues ne pourrait-il pas aller à l’encontre de l’image coopérative, vous rapprochant d’une logique de « grand groupe » ?

G. S. : C’était la difficulté. Pour beaucoup de consommateurs, une coopérative, c’est le regroupement de quelques éleveurs au niveau local pour vendre leur production. Nous avons choisi d’assumer ce que nous sommes. De montrer qu’une coopérative peut aussi être un grand groupe, pour avoir un impact efficace en faveur de l’agriculture et des filières. Nous prenons le parti d’une démarche égalitaire pour mieux rémunérer un grand nombre d’éleveurs. Et d’expliquer au grand public qu’une coopérative, cela peut être de grandes marques qu’on connaît depuis longtemps, avec un modèle différent.

Quels pourraient-être les prochains thèmes d’une campagne multimarque ?

G. S. : Il y a au moins trois autres grands défis : le partage de la valeur, qu’il faudrait mieux expliquer, avec la gouvernance qui la permet, le dynamisme des territoires pour maintenir des terroirs ruraux vivants avec des savoir-faire laitiers et fromagers, et bien sûr la transition environnementale que pilotent les éleveurs.

1. Lorsque l’indice annuel glissant de la marge laitière (MILC) publié par l’Institut de l’élevage (Idele)
2. Groupements agricoles d’exploitation en commun.

Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)

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