Consommation responsable, dynamique contrariée
06/04/2021
Le consommateur qui accepte de payer une surprime au titre de la « marque », qui la lui fait préférer à une MDD, attend une valeur ajoutée. Le phénomène de valorisation (montée en gamme) qu’enregistrent les instituts de panels depuis plusieurs années dans les rayons des grandes surfaces à dominante alimentaire, en est une illustration. La mission des marques est de répondre à l’attente de ce consommateur, et la responsabilité sociale est un des aspects majeurs de cette valeur ajoutée. Pour les consommateurs, La consommation responsable repose que quelques grandes idées : privilégier les achats locaux, la priorité aux circuits courts ; éviter la surconsommation (vocation des marques que contrarient les excès de la promotion, contre lesquels l’Ilec s’était mobilisé bien avant les États généraux de l’alimentation) et éviter le gaspillage alimentaire ; réduire les déchets dus aux emballages, acheter des produits a priori vertueux (de saison, bio, issus de l’agriculture raisonnée ou du commerce équitable, labellisés, voire sur la base d’engagements affichés par des marques).
Égalim et ses effets sur l’offre
À cet égard, les dernières évolutions législatives, avec la loi Égalim, ont eu un effet contrasté. Égalim a assurément contribué à responsabiliser les comportements, pour les marques et produits opérant dans des filières agricoles françaises. Un premier effet immédiat, car mécanique, a été la réduction à 34 % du taux promotionnel maximum autorisé pour les produits alimentaires, plafond plutôt bien respecté depuis deux ans s’agissant des produits de marque (même s’il tend dans certaines catégories à devenir… un plancher). Cet encadrement a mis fin au dumping déflationniste par les promotions, de nature à faire perdre tout repère sur la valeur du produit (prix de vente aux consommateurs indécents, au regard des prix payés aux agriculteurs), incitation à la surconsommation et au gaspillage alimentaire. Le taux moyen de remise en alimentaire a ainsi baissé de 4 points, de 28,7 à 24,4 % , entre 2018 et 2019 avec des effets ravageurs observés a contrario dans les catégories non alimentaires où le taux promotionnel moyen a grimpé de de 41,3 à 43,3 % en un an dans l’entretien.
Un deuxième effet de la loi Égalim, plus diffus mais très structurant, tient à l’objectif d’une meilleure rémunération de l’amont agricole, désormais associée dans l’esprit des consommateurs aux notions d’ancrage territorial, d’écosystème local, de souveraineté alimentaire. Cet objectif a donné une visibilité à l’action de grandes marques dans les filières agricoles françaises : le lait évidemment, qui a donné l’exemple, le blé (Panzani, LU), les graines de colza et de tournesol (Lesieur), la filière pommes (Materne), champignons (Bonduelle), viande de porc (Herta, Fleury Michon)… La séquence Égalim a vu une ouverture spectaculaire des entreprises de PGC vers davantage de transparence : annonce dans la presse professionnelle du prix payé aux producteurs dans le secteur laitier, multiplication des opérations portes ouvertes dans les sites de production (Herta, Fleury Michon, Findus…), affirmation de la marque « C’est Qui le Patron » qui affiche une transparence totale… La notion de traçabilité a étendu sa valeur sémantique au-delà de l’enjeu lié à la sécurité des produits pour embrasser leur identité socioculturelle (identification précise des parcelles, patronyme des producteurs…), avec de plus en plus le recours aux technologies nouvelles comme la blockchain (Mousline, LU…). Et plusieurs grandes marques ont uni leurs efforts pour expérimenter une offre de vrac.
Dans cette dynamique innovante, la question qui se pose aux industries de marque a été et continue d’être leur capacité à répercuter les surcoûts éventuels via leurs clients distributeurs dans les prix proposés aux consommateurs : sur des marchés marqués par huit ans de déflation, ça devrait aller de soi. Or c’est une difficulté majeure en dépit des principes affichés. Et une impossibilité totale , pour une entreprise de voir pris en compte ses surcoûts RSE dans une filière qui ne serait ni agricole ni française. Comme si Égalim avait borné le domaine de la consommation responsable à l’Hexagone, alors que trois des filières où les achats des consommateurs sont le plus inspirés par la notion de commerce équitable sont le café, le thé, le chocolat !
Un mouvement de fond contrarié par les conditions de commercialisation
Au-delà des filières agricoles françaises et des textes Égalim, c’est bien toute l’industrie des PGC qui est tournée vers des initiatives marquées du sceau de la responsabilité sociale. En témoignent le vaste mouvement dû en partie à l’aiguillon de la loi Pacte, avec les notions de raison d’être et d’entreprise à mission, ou l’essor du label B.Corp (Blédina labellisée, Bonduelle ayant affiché son intention de le devenir…). Que la consommation responsable passe par une offre responsable, l’idée est aujourd’hui largement répandue. Elle est de plus en plus portée, revendiquée, par les salariés des entreprises ou par les candidats à l’emploi. Avec la crise Covid, les exemples sont innombrables d’initiatives de la part des entreprises de PGC (reconversions en urgence de lignes de production pour fournir du gel, dons solidaires, aide aux commerces fermés, etc., de Ferrero, Always, Nivea, Mars, Terreos, Unilever et d‘autres).
Or toute cette industrie est soumise à la loi des négociations annuelles. Depuis deux ans, l’Ilec mène une enquête auprès de ses adhérents pour connaître le niveau d’évolution du tarif qu’ils vont présenter à leurs clients dans le cadre des négociations annuelles et les sous-jacents économiques qui les motivent . Fin 2019 et 2020, et en vue des prix de l’année suivant, la hausse moyenne a été les deux fois voisine de 2,8 % . Si les hausses de coûts matières, agricoles ou autres, représentent plus ou moins la moitié de la hausse de tarif présentée, les initiatives RSE qui génèrent des surcoûts (amélioration de la qualité du produit induite par une hausse des ingrédients, amélioration de l’empreinte environnementale, emploi…) en représentent environ le tiers : un montant de 100 à 120 M€ annuel. Or la prise en considération de ces investissements par les enseignes de la distribution dans les négociations annuelle a été nulle. Cela pose évidemment la question de la capacité des entreprises industrielles à générer les ressources dont elles ont besoin pour financer leurs investissements pour des produits qui grandissent en qualité en étant plus respectueux de l’environnement. Mais une autre question s’en trouve indirectement posée, essentielle pour les groupes internationaux, étrangers ou français : celle de l’attractivité de la France en matière d’investissements et des freins à la relocalisation.
Richard Panquiault