Tribunes

Trois questions sur le vrac

25/05/2021

Entre le préemballé et le vrac, deux modalités du commerce de libre service, le bilan environnemental et sociétal n’est pas tranché. Le consommateur aura le fin mot. Par Michel Fontaine, président du Conseil national de l’emballage (CNE).

L’absence revendiquée d’emballage primaire est un des arguments fondateurs historiques du « vrac ». Le Conseil national de l’emballage s’est exprimé sur le sujet dans un document comparant le mode de distribution des produits en vrac et le mode de distribution des produits préemballés, document disponible gratuitement sur le site Conseil-emballage.org.

En juin 2020, le CNE a jugé nécessaire de rappeler que ce mode de distribution ne supprime pas les emballages, car certaines enseignes et leur fédération professionnelle avaient parfois tendance à utiliser l’emballage ou plutôt l’absence d’emballage comme argument marketing auprès des consommateurs et des pouvoirs publics. Enfin tout récemment, la DGCCRF a pointé les 46 % d’anomalies relevées dans 1 650 points de vente, « autant de pistes de progrès pour un secteur d’activité jeune, où les bonnes pratiques ne sont pas encore solidement ancrées », commentait Emballage Magazine.

J’engage toutes les parties prenantes et notamment les marques à relire ces documents. Au-delà des bonnes pratiques concernant l’hygiène et l’information du consommateur qui vont, soyons-en certains, s’améliorer rapidement, la distribution en vrac pose je crois trois questions plus globales.

Lien social, proportionnalité et impact global

La première interroge la pratique même du consommateur au point de vente et ne concerne pas l’emballage. Le vrac est défini comme un mode de libre-service qui permet au consommateur d’acheter la quantité souhaitée, par opposition aux quantités fixes des produits préemballés. J’ai cru entendre lors d’une audition auprès des pouvoirs publics que le vrac, grâce à la configuration et à la taille des magasins, « permet de remettre du lien social entre consommateurs et commerçants » et donc propose une qualité de service que les autres types de distribution n’auraient pas. Au-delà du slogan, j’ai un peu de mal à comprendre comment un libre-service assumé amène du lien social.

La deuxième question concerne les quantités vendues en vrac pour s’ajuster au besoin. Tous les experts de l’emballage s’accordent à dire que plus un produit est vendu en grande quantité, moins la part d’emballage rapportée au produit complet est grande. Proportionnellement, il y a plus de matière rapportée au litre de produit dans une bouteille de 500 ml que dans une bouteille de 1 500 ml. Idem pour les pertes. Est-ce que le riz vendu pour la consommation de deux personnes un soir répond à cette règle ? Est-ce que le stock de riz ne peut pas être chez le consommateur ? On peut comprendre que pour un produit consommé exceptionnellement le consommateur ne souhaite acheter que la quantité juste nécessaire. Est-ce vraiment un progrès pour un produit régulièrement consommé ?

La troisième question se rapporte aux impacts sur l’environnement du vrac. L’analyse du cycle de vie (ACV) des produits est un bel outil, mais les périmètres étudiés, les hypothèses prises, les données utilisées, les méthodes de calcul et les règles de coupure, tout démontre la difficulté de l’exercice. Aujourd’hui, la seule donnée sérieuse partagée officiellement par l’Ademe est que dans le couple produit-emballage l’impact du système d’emballage intervient pour un 5 à 8 % du total des impacts pour un panier de consommation moyen. Les impacts du produit contenu interviennent pour 92 à 95 % du total. Ce qui veut dire que si une ACV démontre un gain uniquement sur l’emballage, nous parlons alors de l’épaisseur du trait pour le couple produit-emballage, et la règle bien connue de « proportionnalité » ne devrait pas permettre des allégations environnementales sur le sujet, et encore moins d’expliquer que nous sauvons ainsi la planète. En l’occurrence, ma démonstration est purement académique, car aucune ACV n’est encore disponible (espérées fin 2021) pour comparer produits en vrac et produits préemballés, ce qui devrait amener de la prudence dans les allégations des uns et des autres.

Question d’allégations

Sur le fond, je n’ai pas d’avis sur l’intérêt ou non du vrac pour le consommateur final. Ce mode de distribution était majoritaire avant l’avènement du commerce dit moderne qui a vu fleurir les produits préemballés et les libre-service. Il se développe à nouveau depuis quelques années. Le CNE est parfaitement neutre sur le sujet, son seul souci étant de veiller à ce que les allégations environnementales sur les emballages soient, comme le demande la loi dite Grenelle I, sincères, objectives et complètes vis-à-vis du consommateur. Le CNE engage les acteurs économiques à lire le Guide rédactionnel des allégations environnementales (version 2021) téléchargeable sur son site internet.

S’agissant des produits cosmétiques et des parfums, je peux témoigner avoir étudié dans le plus grand détail l’innovation proposée par les Parfums Thierry Mugler il y a presque trente ans : un flacon de parfum remplissable à une fontaine, dans certains points de vente. Il y avait des avantages, mais aussi des inconvénients. Pourtant, dans ce cas précis, il n’y a aucun problème majeur d’hygiène, puisque que cela concerne un produit alcoolique. C’était à n’en pas douter de la vente en vrac, avant même l’apparition du mot. De la prose sans le savoir. Et pourtant cette innovation est restée assez isolée sur le marché mondial des parfums.

Je crois profondément qu’au-delà des polémiques actuelles sur l’emballage ou sur d’autres sujets comme l’hygiène et l’information, il y a de nombreux facteurs qui décideront du succès ou non du vrac. Comme dans beaucoup d’autres domaines, le consommateur tranchera.

Michel Fontaine, CNE

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