Éditorial
Penser territoire - Numéro 478
15/01/2019
La France est couverte de territoires. Qui se complètent, se recouvrent ou se chevauchent, bousculent le millefeuille administratif, y ajoutent parfois, en jouent ou s’en jouent. Il y en a partout : territoires ruraux, territoires métropoles, territoires de culture, territoires de plans climat énergie, territoires zéro chômeurs, territoires de lotissements, ou depuis peu territoires d’industrie, nonobstant tout périmètre visé par des démarches d’intelligence, de régénération ou d’écologie industrielle, toujours « territoriales »…
«Territoire » s’est imposé dans le langage des politiques publiques ; mot sésame, il court de l’une à l’autre. Ainsi des « territoires d’industrie », qui visent à relancer des activités industrielles là où elles ont fait leurs preuves, et de l’« écologie industrielle territoriale » (ÉIT), qui développe des synergies de moyens et de services, pour réduire les impacts environnementaux des entreprises, établissements ou collectivités d’un territoire donné.
Ni trop intro ni trop extraverti, le territoire traduit la quête de la juste mesure entre un local qui se rêve en bastion et un global qui ignore tout ancrage. Son échelle est variable, mais elle a ceci de constant qu’elle se tient à la taille humaine de l’activité et de la vie quotidiennes. Avec la réindustrialisation de la France par les territoires et l’exigence circulaire, c’est non seulement d’aménagement ou de « revitalisation » territoriale qu’il s’agit aussi, mais de sens collectif.
Car il y aurait urgence, selon le sociologue Bruno Latour : « Les gens ne savent plus sur quel territoire ils sont (…). Avec qui vit-on ? Qui fait-on entrer ? Qu’est-ce que l’on permet d’y faire ? Que laisse-t-on se développer ? (…) Il faut donner aux gens la possibilité de se situer, de connaître et de se réapproprier leur territoire de subsistance. »
Six mois après sa publication, la fronde des ronds-points est venue donner à ce propos une singulière résonance. Un territoire, s’il n’est pas reconnu par ceux qui y « sont », n’est qu’un non-lieu. Ce dont, dans toutes ses déclinaisons, il se veut l’exact antonyme.
Penser territoire, donc, mais ce qui vaut pour la puissance publique ne peut manquer de concerner aussi les entreprises de marques. Parce que les marques du quotidien, qu’elles aient près d’eux ou non un site industriel, sont associées à la vraie vie de consommateurs ancrés là où ils « sont ». De leur diffusion, de leur stratégie de distribution et de la maille du tissu commercial dépend, entre autres facteurs, l’éventualité qu’apparaissent ou non de ces « déserts alimentaires » qui ont commencé de gagner, dans le monde anglo-saxon, les « territoires de subsistance ».
Que mutualiser dans le désert ? L’ÉIT, qui ne s’arrête pas aux flux d’énergie et de matière entre sites de production, touche à l’emploi et aux compétences d’actifs qui sont aussi des habitants, des voyageurs, des consommateurs. Elle est aussi un formidable moyen d’inventorier les ressources et de réconcilier le social et l’économie.