Vertu attractive - Numéro 474
25/06/2018
L’actionnariat connaît-il déjà en France une évolution dans le sens de la prise en considération des enjeux sociétaux » ?
Gonzague de Blignières : Oui, on constate une évolution positive, que cela concerne l’investissement coté ou non coté. Certains actionnaires commencent à être sensibilisés, nous sommes passés du stade du marketing à une prise de conscience de leur part. La société exige des entreprises qu’elles prennent toute leur part aux enjeux environnementaux et sociétaux majeurs. Il est impossible de s’en désintéresser. Les entreprises sont investies d’un rôle social, sociétal et environnemental en plus de leur rôle économique. Elles deviennent des acteurs du changement. Lorsque les actionnaires sont influents et majoritaires, ils ont une vraie responsabilité vis-à-vis de ces défis.
L’État doit-il envisager de faciliter l’accès au financement à tel ou tel statut d’entreprise ?
G. de B. : Pas nécessairement. Il doit éviter les classiques excès de la régulation. Mais le projet de « loi Pacte » et le rapport Notat-Senard vont dans le bon sens. Reconnaître que l’entreprise joue un rôle localement et participe au bien commun est essentiel.
La modification du Code civil telle que suggérée par le rapport Notat-Senard est-elle de nature à affecter, dans un sens ou dans l’autre, l’attractivité des entreprises françaises auprès des investisseurs internationaux ?
G. de B. : Elle ne change en rien leur attractivité mais permet à la France de se rapprocher des économies les plus modernes, où l’entreprise a des responsabilités sociétales et ne vise pas uniquement la rentabilité. C’est une conception qui a déjà séduit les États-Unis ou le Royaume-Uni. Elle ne peut que renforcer l’attractivité des entreprises, qui réconcilient et réarticulent leurs affaires avec leur engagement au profit de tous. C’est ce qui nous a poussés à lancer le Mouvement pour une économie bienveillante, Clara Gaymard et moi, il y a quelques semaines. Nous sommes convaincus qu’une entreprise qui affecte de façon automatique et permanente une partie de ses ressources économiques en faveur d’une cause de son secteur, en y associant ses salariés, est plus performante. C’est un facteur de compétitivité autant que de pérennité.
Est-il utopique d’envisager qu’un jour les règles comptables recenseront dans les actifs les investissements les plus profitables à la collectivité ?
G. de B. : Pour le moment c’est difficile, il y a des réticences à inclure dans les règles comptables des éléments qualitatifs. En revanche, la réflexion est grandissante sur les règles extracomptables, et l’essor ces dernières années des rapports financiers sur la gouvernance sociale et environnementale montre qu’on se tourne vers une alliance de l’économique, du social et de l’environnemental. Le statut d’entreprise à mission, sur la base du volontariat, permettra aux entreprises qui le souhaitent de vulgariser le dialogue social autour de leur « raison d’être », puis peut-être d’introduire des évaluations sortant du tout-financier.
A contrario, le risque réputationnel devrait-il et peut-il être quantifié en termes de comptabilité ?
G. de B. : Le risque réputationnel a toujours été essentiel pour une entreprise, mais il se mesure plus au regard de son chiffre d’affaires qu’en termes de comptabilité.
Faut-il adapter la fiscalité aux spécificités des entreprises à mission ? Par exemple en tenant compte de l’impact sur le résultat, donc la matière taxable, des provisions pour financer des programmes de recherche ?
G. de B. : Je ne suis pas spécialiste des questions fiscales, mais prendre en compte l’impact global des entités économiques viendra tôt ou tard.