Formation et accompagnement - Numéro 477
30/11/2018
La cobotique introduit-elle une véritable complémentarité avec l’opérateur (meilleure division du travail, fin des tâches pénibles) ou est-elle source de nouvelles contraintes (précarité, stress, déshumanisation) ?
René David Hadjadj : La capacité de coopération entre l’humain et la machine qu’offre la cobotique est très utile à partir de moment où l’humain est respecté et formé. Cet accompagnement revient aux managers, qui doivent expliquer l’usage des nouveaux outils et leur raison d’être dans le développement de l’entreprise. Quand on interroge les opérateurs dans les usines, ils expriment dans un premier temps beaucoup de craintes qui portent aussi bien sur leur capacité à s’approprier de nouveaux outils que sur le risque de perdre leur emploi. Il faut expliquer qu’il n’y a pas de risque de perte d’emploi, du moins à court ou moyen terme, qu’il s’agit de transformation de l’emploi pour optimiser la complémentarité, afin de diminuer la pénibilité et la dangerosité. Dans les centres de logistiques que j’ai visités, l’opérateur est nécessaire pour donner la bonne information à la machine qui va chercher à tel endroit le bon objet.
Vous écrivez1 que « le leadership est face à un nouveau paradigme »…
R. D. H. : Les leaders doivent avoir dans l’accompagnement de leurs collaborateurs un temps d’avance, une vraie réflexion sur l’émergence de la transformation digitale, qui touche toutes les entreprises et tous les salariés, et qui a commencé à modifier profondément leur travail. Mais ils doivent être également conscients que les salariés ont besoin d’eux pour cette transformation, les rassurer sur le plan psychologique. Ils doivent dépasser le rôle de développeur et veiller à l’équilibre entre l’évolution technologique et les besoins humains.
Qu’apporte de nouveau sur le plan qualitatif la transformation numérique des emplois ?
R. D. H. : De l’autonomie, grâce à des applications qui permettent à chacun de gérer seul des programmes, d’avoir davantage de pouvoir sur son métier – à la condition qu’elle lui confère une valeur ajoutée. Ces systèmes génèrent un gain de temps qui libère la créativité, à la condition là aussi que les salariés soient placés en situation de faire des propositions.
Nous ne sommes qu’au commencement de la révolution numérique, dans la totale ignorance des métiers de demain. Les maîtres mots sont formation et accompagnement. La formation se développe et s’enrichit d’outils tels que l’e-learning, les moocs, le présentiel. Les plateformes d’apprentissage se diversifient et rendent la formation nomade grâce aux portables et tablettes. Les salariés peuvent se connecter à n’importe quel moment, n’importe où. On se forme plus vite, de façon moins académique, plus opérationnelle, plus synthétique.
Virtualisation du travail individuel, automatisation des processus de communication, messages dématérialisés, vont-ils bouleverser le lien social dans l’entreprise ? Accentuer le risque de « désengagement » des salariés ?
R. D. H. : C’est le vrai risque, et j’observe dans les entreprises un décalage entre l’effort des dirigeants pour apporter de nouveaux outils numériques et la crainte ressentie par les salariés, qui ont à peine le temps de s’approprier un nouvel outil qu’il est dépassé par un nouveau. Le désengagement en résulte. La pédagogie et l’accompagnement manquent cruellement. Pour éviter de subir un turn over, la direction générale doit porter ce changement de manière positive, faciliter l’organisation permettant que du temps soit consacré l’accompagnement des salariés.
La révolution dans le travail porte-elle sur le seul aspect digital ?
R. D. H. : Le facteur différenciant est le temps. Si on court après le temps, la révolution numérique en libère beaucoup, le temps libre augmente. Mais pour quoi faire ? Pour apprendre, être plus autonome, créer davantage ? Pour plus de confort de vie, plus de temps personnel ? Une autre révolution tient à l’envie des gens de créer davantage, or chaque salarié est porteur de créativité ; c’est un vivier de richesse encore mal valorisé.
Les compétences sociales et situationnelles précieuses pour « apprendre à apprendre » sont-elles elles-mêmes labellisables ? Y a-t-il une tendance des grandes entreprises à créer leurs propres écoles de formation ?
R. D. H. : Les entreprises se dotent effectivement de systèmes de formation internes, formation de métiers avec des experts extérieurs, parfois en partenariat avec de grandes écoles. Elles délivrent un certificat qui les mentionne et qui donne beaucoup de fierté aux salariés ainsi formés. Cela crée de l’émulation dans l’entreprise. L’enjeu du programme de formation maison est multiple : se différencier, fidéliser les salariés, les récompenser. Il dispense des signes de reconnaissance et d’appartenance. Le lien social peut ainsi se labelliser.
Quel intérêt verriez-vous au statut d’« entreprise formatrice » labellisée (qui forme au-delà de son personnel) que prône le Livre blanc Agora Industrie ?
R. D. H. : Un intérêt double : la capacité des entreprises à labelliser leur expertise via leurs salariés, et à apprendre à leurs clients. Pour y répondre, elles doivent devenir agiles et apprenantes, favoriser les expérimentations entre l’interne et l’externe, formaliser et adapter leurs labels d’apprentissage à la satisfaction des clients internes (salariés) en se basant sur l’expérience des clients externes. L’amélioration des performances de l’entreprise passe par une ouverture à des procédures collaboratives permettant en permanence l’adaptation aux besoins des clients au sens large (internes et externes). Ces passerelles favorisent la confiance de tous.