Territoires attrayants, territoires d’élection - Numéro 479
15/02/2019
Votre cabinet publiait dans les Échos du 24 août dernier une tribune intitulée « Pour la création d’un volontariat industriel »1 , et il s’est félicité de l’annonce par le gouvernement, le 22 novembre, de l’expérimentation d’un « volontariat territorial en entreprise ». En quoi les deux notions se recoupent-elles ?
David Machenaud : L’idée du « volontariat industriel » que nous défendons depuis deux ans est de favoriser et massifier l’accès des jeunes aux PME industrielles. Le volontariat territorial en entreprise annoncé par le gouvernement poursuit le même objectif : flécher, pour les jeunes talents, l’accès aux PME. Si les deux notions sont finalement très similaires dans leur principe, il reste à voir comment ce volontariat territorial en entreprise évoluera. Nous espérons pouvoir contribuer à cette évolution, qui serait très utile à l’industrie.
En quoi le sera-t-il spécialement ?
D. M. : De manière générale, la performance de notre industrie est indispensable à la bonne santé économique de notre pays. C’est un secteur qui par la diversité des emplois qu’il génère et son ancrage territorial peut apporter l’une des réponses les plus solides à la fracture sociale qui fait l’actualité aujourd’hui, au fossé entre les métropoles d’un côté et ce qu’on appelle la France périphérique de l’autre.
Pourtant, l’industrie connaît aujourd’hui le problème majeur d’un manque d’attractivité et en conséquence d’un déficit de ressources formées. La quatrième révolution industrielle que nous vivons constitue une fantastique opportunité. Nouvelles technologies, émergence de modèles plus horizontaux et agiles : notre industrie est en mutation vers cette « industrie du futur » qui offre de fantastiques gains de performance, notamment en termes d’accès à de nouveaux marchés et de service au client.
Loin de Germinal, nos usines sont propres, connectées, brassent des profils variés pour travailler sur de passionnantes problématiques stratégiques, technologiques et managériales. Elles représentent un formidable terrain d’apprentissage, particulièrement en début de carrière. L’enjeu est de permettre aux industriels et aux jeunes talents de se rencontrer. C’est tout l’objet de ce volontariat.
Quels sont les secteurs industriels les plus demandeurs ?
D. M. : Si chaque secteur industriel a ses problématiques, ils font tous face à une mutation qui nécessite une hybridation des compétences entre industrie et technologie, et rend ce dispositif particulièrement utile. Par exemple l’aéronautique a besoin de fraiseurs, de chaudronniers, comme de managers de proximité capables d’assurer main dans la main cette mutation.
Le « volontariat territorial » doit-il s’inspirer du « volontariat international en entreprise » ?
D. M. : Absolument, au moins en termes de visibilité et de facilitation. Le VIE a permis à des milliers de jeunes d’envisager une expérience à l’étranger, et aux entreprises prenant part au dispositif de bénéficier facilement de leurs compétences, dans un cadre défini. Les jeunes doivent avoir conscience de toutes les opportunités que peut offrir notre tissu industriel de PME et pouvoir y accéder facilement. Cela passe par la création d’un modèle transparent, encadré en termes de temporalités et de rémunérations, et compréhensible par tous.
Le volontariat en entreprise doit-il être une façon de favoriser la synergie de compétences à l’échelon de bassins d’emplois ou de « territoires d’industrie » ? Faut-il privilégier un recrutement de volontaires à l’échelon territorial ou régional, expression de synergies entre écoles et entreprises voisines, ou plutôt la mobilité inter-régionale, à l’instar du VIE, qui mise sur l’envie de dépaysement et élargirait les possibilités d’adéquation des compétences aux besoins ?
D. M. : Il faut éviter la confusion entre le volontariat international en entreprise et le volontariat industriel, dont l’objectif est de répondre à l’opacité d’un tissu industriel très divers et flou pour un jeune étudiant. Le premier apport d’un volontariat industriel serait de rendre transparents et d’organiser les besoins épars du tissu industriel, de même que l’offre de compétences nouvellement formées.
S’il peut aboutir à un rapprochement entre compétences et besoins sur un même territoire, cela représentera un formidable apport, mais il faut prendre en compte qu’un natif d’une région part souvent faire ses études hors de celle-ci. L’important pour lui sera de trouver rapidement des opportunités, notamment la fonction qu’il pense importante pour son propre développement. Rechercher une opportunité dans sa propre région constitue une étape supplémentaire, qui relève de l’attachement – c’est ce que j’ai moi-même fait quand j’ai rejoint une PME toulousaine en sortant de mon école parisienne.
La deuxième option, un volontariat en entreprise misant sur la mobilité inter-régionale, serait-elle d’avance exclue par les problèmes de logement ?
D. M. : Effectivement, la question du logement représente un enjeu important, mais encore une fois, les étudiants ont une mobilité plus importante que le reste de la population. Les mois suivant une remise de diplôme peuvent être le bon moment pour se forger de nouvelles compétences et découvrir un nouveau territoire. Reste à envisager les aménagements qui permettront cela.
Le « volontariat territorial en entreprise » vise à orienter les étudiants en écoles d’ingénieurs ou de commerce vers les PME. Fallait-il s’en tenir à ces filières, pour ce qui concerne l’enseignement supérieur ?
D. M. : L’essentiel du problème pour les industriels réside dans le manque de formations aux métiers de l’industrie, pour les opérateurs, techniciens, et managers de proximité en devenir. Les filières de formation propres à ces métiers se sont asséchées ces dernières années. Or sans ressources formées, pas d’aiguillage possible par un volontariat industriel. Il faut redorer l’image de l’industrie, remonter les filières de formation, et faire comprendre que ces métiers sont à la fois intéressants et évolutifs.
Les PME industrielles ont également des besoins qui invitent à inciter les jeunes issus d’écoles d’ingénieurs et d’écoles de commerce à les rejoindre. Elles doivent aborder la transformation industrielle en cours en hybridant organisations industrielles et technologies, tout en étant capables de développer des propositions de services en France et à l’étranger, et les jeunes diplômés de ces filières sont une opportunité pour prendre ces virages. Sans parler des besoins de transmission, dans ces entreprises : les profils ingénieurs et écoles de commerce pourront éventuellement devenir les cadres capables de porter ces projets.
Pourquoi ne solliciter que de futurs ingénieurs et cadres si l’industrie manque d’opérateurs qualifiés (numérique, chaudronnerie…) ?
D. M. : La question qui se pose pour les opérateurs qualifiés est avant tout celle de la formation. Nous devons créer davantage de filières de formation en lien avec les besoins du marché. Cela se fait en amont de ce volontariat, dont l’objectif est de faire le lien entre les ressources formées existantes et les opportunités cachées dans un tissu de PME touffu, et opaque pour un jeune. Il s’agit donc de deux exercices différents, dont l’objectif est le même : permettre le développement de compétences dans un secteur industriel qui regorge d’opportunités d’emplois encore méconnues et inexploitées.
Pourquoi privilégier les PME et TPE ?
D. M. : Elles doivent être privilégiées pour trois raisons. D’abord, les PME représentent plus de 25 % de l’emploi industriel1, mais elles demeurent invisibles en tant que débouchés pour les jeunes en études supérieures, qui vont plus facilement vers les grands groupes ; en conséquence, servir les PME industrielles, c’est servir l’économie, et cela peut être très intéressant pour un jeune.
Ensuite, les PME se caractérisent généralement par leur structuration autour d’une compétence, souvent technique. L’apport d’un jeune bien formé, engagé, qui arrive au bon moment, peut avoir un impact énorme et lui permettre de disposer d’une marge de manœuvre substantielle, par comparaison avec la norme qui règne dans les grands groupes.
Enfin, le volontariat industriel ou volontariat territorial en entreprise représente un moyen de répondre au problème de transmission auquel sont confrontées de nombreuses PME industrielles, en dynamisant la pyramide des âges. Commencer un parcours dans une PME industrielle peut ouvrir la voie à des postes auxquels ces jeunes n’auraient pas pensé accéder.
Pour les PME industrielles, ce volontariat permettrait de réussir l’hybridation entre organisation industrielle et numérique, la mise en place de strates managériales destinées à favoriser la croissance ou la refonte de la dynamique commerciale. Pour les étudiants, ces entreprises représentent un formidable terrain de jeu et d’apprentissage, puisque par leur taille elles leur permettent de pratiquer différents métiers rapidement et de voir l’impact de leur action jusque dans le compte de résultat.
Le ciblage en termes de classes d’âges correspond-il à ce que vous avez identifié comme pertinent en réfléchissant à un « volontariat industriel » ?
D. M. : Il nous semble pertinent dans la mesure où l’industrie a du mal à attirer de jeunes talents. C’est ce qui a motivé l’organisation de l’exposition l’Usine extraordinaire en novembre dernier. Par ailleurs, il semble plus simple d’envisager ce type d’expérience juste après avoir reçu un diplôme, comme pour le VIE, qu’après plusieurs années de vie professionnelle et souvent d’autres projets.
Opeo a indiqué vouloir prendre part à la mise en place de cette expérimentation : quelle est sa capacité à mettre en relation étudiants et PME industrielles ? Et pour quelles prestations de services précisément, rémunérées sur quels budgets ?
D. M. : À ce stade, nous sommes simplement ravis que l’idée aboutisse et attendons d’en savoir davantage sur les modalités de l’expérimentation pour envisager de manière concrète les moyens de la soutenir. Il n’est pas pour le moment question de développement de prestation de services. Il nous arrive déjà de faire le lien entre de jeunes diplômés et des PME que nous accompagnons. C’est pour nous davantage de la création de liens que du commerce. C’est d’ailleurs tout l’enjeu d’Opeo, qui est un projet au service du tissu industriel avant d’être un business de conseil.
Ambitionnez-vous de couvrir les « 124 territoires d’industrie » désignés le 22 novembre ? D’autres cabinets sont-ils susceptibles de se mobiliser dans le même sens ?
D. M. : Nous pensons que l’idée vaut la peine d’être poussée par tous ceux qui œuvrent pour l’industrie, à commencer bien sûr par nos confrères du conseil. Si nous pouvons susciter de l’envie chez un maximum de cabinets à même d’entreprendre des actions, nous aurons atteint un bel objectif. Nous recherchons avant tout le redressement de l’industrie, et il passe à notre sens par la capacité à agir en faveur de ce type de projets.