Fidélité digitale - Numéro 460
28/10/2016
La numérisation et l’individualisation des données clients sont-elles porteuses d’une nouvelle et prochaine révolution des pratiques promotionnelles, comme elle l’a été avec la carte de fidélité ou le coupon électronique ?
Grégory Thurin : L’individualisation de la donnée ouvre d’après moi la porte à une explosion d’innovations, et il en émergera non pas une mais plusieurs inventions et évolutions, chacune aussi importante à long terme que la carte de fidélité à l’enseigne.
En effet, l’individualisation de la donnée, qui découle de la généralisation progressive du numérique, ouvre la porte à de grands changements dans les pratiques promotionnelles.
J’irai jusqu’à dire que la carte de fidélité enseigne est une invention au sens traditionnel – le métier à tisser –, tandis que l’individualisation de la donnée est porteuse d’une révolution, au même titre que l’énergie mécanique a déclenché la révolution industrielle : un changement radical qui lui-même donne naissance à un grand nombre de nouvelles inventions – dont le métier à tisser à vapeur – qui ensemble forment cette révolution.
Il est encore trop tôt pour en connaître la liste, mais il semble bien qu’une grande variété d’outils va naître de ce changement.
Ils seront tous différents mais auront des caractéristiques communes, qui étaient rares dans les outils existant jusque-là: au minimum, la possibilité de personnaliser la promotion, et des conditions bien plus proches du temps réel.
D’une manière moins évidente, je parierais aussi que l’individualisation de la donnée mènera – si elle ne mène déjà – à l’apparition d’une troisième caractéristique clé. Là où les campagnes promotionnelles sont structurées pour toucher « tous les consommateurs (dans la cible) au bon moment », beaucoup toucheront à l’avenir « les bons consommateurs, à tout moment ». La temporalité perd de son importance quand il devient possible de toucher chaque consommateur à un moment différent et adapté. Se répandront probablement des systèmes de campagnes permanentes qui, comme nous le faisons déjà avec FidMarques et comme cela existe dans la publicité en ligne, consistent par exemple toute l’année sans interruption à déclencher l’offre d’une promotion auprès d’un consommateur qui, habitué d’une marque, l’aurait abandonnée pendant plus de quatre mois.
Cette révolution digitale peut-elle permettre aux marques d’y recouvrer une certaine maîtrise comme elles en avaient quand prévalaient les « promotions consommateurs » avec systèmes de points, etc. ?
G. T. : Je suis convaincu que c’est possible, mais je manque certainement d’objectivité sur le sujet : nous avons justement créé PurchEase pour permettre aux marques de retrouver avec le consommateur un contact individuel, direct et fondé sur la donnée d’achat. Nous créons, avec et pour les marques, des programmes de fidélité transactionnels selon le même principe que les programmes d’enseignes (déjà plus de trente), grâce auxquels une marque peut recouvrer la maîtrise de la relation consommateur, dans la durée, avec l’accès à la donnée d’achat. Je crois donc totalement à cette possibilité.En revanche, je ne crois toutefois pas que le retour à une telle maîtrise soit inéluctable. Le fait que la donnée soit individuelle ne présume pas du fait que les marques pourront en bénéficier. Et des questions se posent à ce sujet. Qui contrôlera ces données ? Seront-elles comme aujourd’hui uniquement propriété des enseignes ? Assorties alors d’un accès limité et sous conditions, sans permettre un vrai flux de données au niveau individuel et nominatif qui seul permet un contact individuel et individualisé ?
Ou bien est-ce que, avec la participation du consommateur, l’accès à ces données va s’ouvrir, et permettre aux marques de les obtenir en propre, dans un accord gagnant-gagnant entre la marque, le consommateur et même l’enseigne ?
Aujourd’hui, les premiers outils proposés par certaines enseignes apportent un début d’individualisation, mais ils ne semblent pas ouvrir la voie à un réel accès à la donnée individuelle en propre et sous le contrôle de la marque, bien au contraire.
Le potentiel est là, mais la maîtrise ne viendra que si ces nouvelles possibilités s’expriment dans des systèmes ouverts, nourris par les enseignes ou directement par les consommateurs. Ces systèmes ouverts ne se développeront que par une démarche volontariste des marques. Dans le cas contraire, ces nouveaux outils ne viendront que renforcer la dépendance vis-à-vis de ceux qui disposent de l’accès aux données individuelles.
1. http://fidmarques.com.