Bulletins de l'Ilec

Produit de saison bataillé - Numéro 483

30/08/2019

Dans le jouet, l’émergence des purs acteurs de la vente en ligne a accentué une guerre des prix déjà tendanciellement prégnante depuis plus de dix ans. Entretien avec Bruno Bérard, directeur général de Playmobil France

Quelle est la part des grandes surfaces à dominante alimentaire (GSA) sur le marché français du jouet ? Et de la vente en ligne ?

Bruno Berard : Le marché se répartit en trois circuits majeurs : les grandes surfaces spécialisées (GSS) avec une part de 36 %, les GSA avec 31 %, ces deux catégories étant en perte de parts de marché au profit des pure players en ligne qui comptent pour 19 %. Les 14 % restants sont le fait d’une grande diversité d’intervenants (multispécialistes, grands magasins, soldeurs, librairies, magasins de presse, stations-services, etc.). La totalité des ventes en ligne, qui comprennent donc les sites des distributeurs GSA, ceux des spécialistes et des autres en plus des pure players, est estimée à 27 % du marché total du jouet.

Le jouet est-il exposé à la guerre des prix ?

B. B. : Le jouet a toujours été exposé à la guerre des prix depuis la fin de la loi Galland. Il y a à cela plusieurs raisons durables. D’abord la forte saisonnalité, avec plus de 60 % des ventes annuelles réalisées entre novembre et décembre : cette période connaît une très forte concurrence, pour une cible au cœur des stratégies de tous les distributeurs, GSA, GSS et plateformes de vente en ligne : les familles avec enfants.

Le jouet est un produit d’attraction pour les GSA, avec comme premier argument le prix, dans la perspective de tirer les ventes dans d’autres catégories plus rentables. Le jouet est un facteur de création de trafic pour les pure players en ligne, avec le même argument prix mais dans une stratégie de conquête fondée sur le choix, le prix et le service.

La montée en puissance rapide et puissante du circuit internet, avec en intervenants majeurs Amazon, CDiscount et la Fnac, a renforcé la guerre des prix en raison de la concurrence frontale que se livrent ces trois intervenants, pour des enjeux qui dépassent largement l’activité qu’ils réalisent avec le jouet.

La guerre des prix s’exerce par la valeur faciale des produits, par les « NIP » (cagnottage au produit) financés ou pas par les industriels, par des opérations promotionnelles souvent initiées par eux en fin d’année (20 % de remise, le troisième produit gratuit, le deuxième à 50 %…), enfin par des offres des GSA de 30 voire 50 % de remise en cagnottage à partir de 50 euros d’achat tous jouets confondus…

Le mois de janvier est aussi une période de forte remise, mais dans une démarche motivée d’abord, pour la plupart des acteurs du marché, distributeurs et industriels, par les soldes destinés à écouler les stocks résiduels de la saison.

La diversification des circuits expose-t-elle davantage le jouet à la pression sur les prix ?

B. B. : Sur le marché du jouet, la diversification est le fait de circuits qui s’ouvrent depuis quelques années à une offre de jouets nouvelle ou plus riche, tels les supermarchés, les soldeurs, les soft-discounteurs, les discounteurs non alimentaires, les magasins de presse, les librairies, les multispécialistes, les boutiques d’aéroport, etc.

La concurrence de ces circuits sur les autres ne s’exerce pas prioritairement par le prix, mais par la proximité, l’achat d’impulsion ou la recherche d’une bonne affaire portant généralement sur des produits en fin de vie – mais pas identifiés comme tels par les consommateurs. Ce constat varie toutefois significativement selon les marques et les politiques commerciales des industriels.

Dans le jouet, quelle concurrence exercent les déstockeurs (en ligne ou pas) sur les grandes surfaces traditionnelles ?

B. B. : Les offres présentes sur les sites ou dans les magasins des déstockeurs portent principalement sur des produits en fin de vie ou sur des produits d’impulsion, elles ne constituent donc pas une concurrence frontale pour les distributeurs GSA et GSS.

Quelle est la part de la promotion dans les ventes de jouets, et est-elle stable ?

B. B. : Il n’existe pas d’indicateurs de type panel sur le poids de la promotion dans le jouet. On peut cependant estimer qu’au moins 20 % des ventes s’y font sous promotion prix ou cagnottage, et que ce poids évolue à la hausse chaque année, par l’effet conjugué de la demande de financement faite par les distributeurs aux industriels, de l’offre promotionnelle des marques face à leurs concurrents et des actions de cagnottage conduites dans l’ensemble du jouet par les distributeurs en fin d’année.

Cela se traduit notamment, durant le pic saisonnier, par plus de produits avec cagnottage dans les catalogues de Noël des distributeurs, par une inflation du taux de remise en cagnottage pour les produits sélectionnés dans ces catalogues, et par une offre « NIP » sur les achats de jouets dans leur ensemble dont le pourcentage augmente et dont la période de validité commence plus tôt dans la saison.

En 2018, la tendance du marché en novembre était à 
– 13 % : une tendance jamais connue auparavant qui a poussé nombre de distributeurs à renforcer dès le même mois leurs dispositifs promotionnels…

La loi Égalim, qui limite la promotion dans les rayons alimentaires, a pour conséquence directe une inflation des demandes promotionnelles dans le non-alimentaire, et dans le jouet : inflation du taux de remise en pourcentage par rapport au prix fond de rayon, inflation du nombre de produits concernés.

Le jouet gagnerait-il à voir les hypermarchés adopter pour lui une stratégie de « magasin dans le magasin » ?

B. B. : Bien que le jouet soit moins soumis que d’autres catégories non alimentaires au désinvestissement des hypers en non-alimentaire, toute réduction de l’assortiment de produits présentée par les magasins constitue une perte, sur un marché qui est tiré d’abord par l’offre.

A contrario, une stratégie de magasin dans le magasin pourrait être pertinente pour un spécialiste du jouet, en ciblant des hypermarchés ne figurant pas dans les zones de chalandise de son réseau existant. Cela lui permettrait de conquérir des parts de marché par une croissance territoriale, en limitant son recours aux dépenses d’investissement de capital. Ce serait de nature à augmenter l’offre du marché en quantité et en qualité, et donc à servir le développement global des ventes.

Dans cette période de rationalisation contrainte ou proactive des réseaux de magasins, les enseignes spécialisées sont plus orientées vers la performance organique et la digitalisation de leur réseau, gardant les magasins rentables ou susceptibles de le devenir rapidement et fermant les autres. Il serait cependant étonnant que leurs dirigeants, tous entrepreneurs, ne réfléchissent pas aux « plus » et aux « moins » de cette stratégie de magasin dans le magasin.

Le projet de loi économie circulaire prévoit (art. 9) une REP spécifique pour le jouet : quel enjeu financier pour votre secteur, dans les conditions présentes du marché ?

B. B. : Le jouet est déjà soumis à des REP, par exemple celle des déchets des équipements électriques et électroniques, pour lesquels les industriels cotisent à un éco-organisme. L’élargissement d’une REP à tous les jouets se traduira par une contribution additionnelle à un éco-organisme agréé, mais ses critères de calcul n’ont pas encore été définis.

Le projet de loi vise à accélérer le recyclage et le réemploi des jouets. Le réemploi est déjà fortement répandu, soit par les dons, soit par la vente entre particuliers. Une forme industrialisée et commerciale du réemploi pose la question des normes applicables au metteur en marché : elles devront être pour le remetteur en marché les mêmes que pour le fabricant d’origine. La sécurité des enfants en dépend.

Le projet prévoit aussi l’obligation pour les fabricants d’incorporer des matériaux recyclés dans la fabrication du jouet. C’est une question délicate, car les matières recyclées ne seront pas nécessairement issues de produits répondant à l’ensemble des normes et des exigences physico-chimiques applicables au jouet, définies par la réglementation européenne.

La diversification des circuits de distribution expose-t-elle particulièrement le jouet au risque de contrefaçon ?

B. B. : Il est certain que les grands distributeurs, structurés, portent une attention particulière à la conformité des produits qu’ils distribuent, conformité à l’ensemble des normes et absence de risque de contrefaçon par rapport à des produits de marque.

Les risques pour le consommateur et pour les marques viennent plus des circuits alternatifs, moins structurés ou pas structurés du tout (comme les marchés). L’action permanente des douanes sur les filières d’approvisionnement autres que celles des marques fait ressortir que les cas de non-conformité ont lieu quasiment exclusivement dans ces circuits.

L’autre secteur à risque, ce sont les places de marché des grands acteurs de l’internet. Leur référencement est tellement massif qu’ils n’ont pas mis en place toutes les procédures pour s’assurer que le vendeur commercialise des produits aux normes CE, par exemple, ou des produits non contrefaits. Cependant, pour les plus professionnels d’entre eux, une procédure permet de signaler les produits contrefaits et déclenche un déréférencement du produit concerné, voire du vendeur. Ces places de marché en ligne progressent dans le traitement des risques, mais les risques sont loin d’être annihilés.

Des études sont en cours partout en Europe pour prendre la dimension du problème. La fédération britannique du jouet vient ainsi de publier ses résultats : sur deux cents produits (hors produits de marque) vendus sur les places de marché en ligne, 58 % ne respectaient pas les normes applicables et 22 % posaient des problèmes de sécurité. Cela pose la question délicate de la responsabilité des plateformes de vente, en complément de celles de vendeurs qui souvent ne sont pas européens.

Propos recueillis par François Ehrard

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