Bulletins de l'Ilec

Éditorial

Compétitivité, le mot et les critères - Numéro 430

01/10/2012

Les chiffres récents1 de la balance commerciale agroalimentaire seraient plutôt flatteurs pour les « IAA »  (industries agroalimentaires) françaises, au regard des performances de certains gros postes de notre commerce extérieur, à commencer par l’automobile. Et depuis une demi-douzaine d’années, tandis que l’industrie manufacturière dans son ensemble voyait s’amenuiser sa production de 6 % , l’agroalimentaire aurait vu la sienne croître de 5 ou peu s’en faut.

L’augmentation de la part de l’industrie agroalimentaire est toutefois relative, nuance Philippe Rouault, qui remarque qu’au cours des derniers exercices « il y a eu peu d’effet volume pour les produits transformés » et met en garde contre les effets industriels de la diminution des volumes de production dans l’élevage. Pour Marc le Fur aussi, le temps est encore aux « difficultés majeures » dans les industries agroalimentaires. Et de mettre en relief les éléments d’un énième différend franco-allemand.

Constituée de produits transformés à hauteur de 80 % à l’importation et de 70 % à l’exportation, notre balance commerciale agroalimentaire est excédentaire. Elle l’est dans les produits transformés comme elle l’est dans les produits bruts. Le Japon ne se lasse pas de nos vins, l’Arabie a besoin de notre orge. Les proportions sont toutefois dissemblables : l’excédent des produits bruts dépasse de quatre ou cinq fois celui des produits transformés, qui pèsent, dans nos échanges extérieurs, quatre fois plus. Y aurait-il dans l’univers alimentaire une moindre compétitivité de l’industrie comparée à l’agriculture ? La frontière entre les deux ensembles, bien sûr, a sa part d’arbitraire, sans laquelle aucune recension comptable n’est possible, et il est vrai qu’aucune céréale ne se commercialise brute, sans additifs utiles à sa conservation, et que le vin nous apparaît comme un produit naturel de la vigne depuis la plus haute antiquité agricole.

Se poser la question de la compétitivité industrielle ou agricole oblige aussi à s’interroger sur la valeur du mot. La compétitivité, dont le nom s’écrit dans plus de rapports que celui de liberté n’a de supports dans le poème d’Eluard2, se laisse apprécier sous divers angles. Est-on fondé à n’en juger qu’à la balance commerciale ? La compétitivité des IAA est-elle dissociable de celle de l’agriculture ? Faut-il préférer la performance à l’exportation, ou l’autosuffisance d’une production relocalisée ? Après tout, observe Alexandre Law, de l’Ania, « 80% de notre chiffre d’affaires est généré sur le marché domestique ». Oui, mais « hors inflation, la croissance du chiffre d’affaires des IAA françaises provient essentiellement des exportations », remarque Benoît Jullien.

A l’heure où nous bouclions le présent Bulletin, le ministre délégué à l’Agroalimentaire, premier du titre, n’avait pas encore pu répondre aux quelques questions sur ces thèmes que nous lui avions adressées. Le Salon international de l’agroalimentaire ouvrait ses portes près de Paris et Guillaume Garot avait fort à faire pour dissiper l’inquiétude qu’une salve de taxes et de critiques à motivations sanitaires avaient suscitée chez ses interlocuteurs du secteur.

Si faiblesse il y a dans les IAA françaises au regard de leurs concurrentes, il est permis de douter que la qualité sanitaire des recettes y soit pour grand-chose. Même si la dimension nutritionnelle de l’innovation, ainsi que l’indique Alexandre Law, est un facteur décisif de compétitivité.

La difficulté serait plutôt que la capacité d’innover peut manquer à des entreprises souvent de petite taille qui en auraient pourtant la volonté et le talent, tout comme leur manque l’équipement suffisant pour le grand large. Y suppléer par la « mutualisation de moyens », observe Benoît Jullien, n’est pas une panacée ; quant aux dispositifs d’aide aux exportations, « les sommes qui y sont destinées restent très en deçà des enjeux ».

Le profilage de la nouvelle Banque publique d’investissement aura peut-être apaisé tant soit peu les tensions et mis du baume au cœur des candidats à un coup de pouce, ou à l’« accompagnement » qu’Alexandre Law appelle de ses vœux. Il était acquis qu’elle aurait vocation à s’adresser aux PME et ETI. Son imminent président, Jean-Pierre Jouyet3, a assuré que l’agroalimentaire figurait parmi les « filières de croissance » qu’elle privilégierait, annonce confirmée ensuite dans un communiqué solennel commun aux ministres du Commerce extérieur, de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire4. Des PME, le secteur en compte dix mille.

1. http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/conjinforap201210cmxt.pdf.
2. Soixante-six (Poésie et Vérité, 1942).
3. Le Monde du 19 octobre 2012.
4. http://agriculture.gouv.fr/L-agroalimentaire-une-filiere.

François Ehrard

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