Bulletins de l'Ilec

Coi ! - Numéro 393

01/09/2008

LME : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage… »

Le législateur français, que de mauvais esprits imaginent mieux à la buvette que dans

l’Hémicycle, sacrifie en fait à Boileau. Jugez-en : il refonde le droit des pratiques commerciales, qui remonte à des décrets-lois de 1952, avec l’ordonnance Balladur de 1986, amendée (plutôt dans le bon sens) en 1992, par une loi Sapin portant sur un sujet qui ne peut être considéré comme un détail, les délais de paiement – quelques milliards d’encours, à l’époque du franc, qui balancent de l’amont en aval, sous l’œil des banquiers qui passent leur tour.

Bientôt l’histoire s’accélère. Chacun en est d’accord : il y a quelque chose de pourri du côté des modes de formation du prix, dans la relation verticale entre fournisseurs et distributeurs. L’idée s’insinue que l’affrontement contre-nature qui, à partir des années 90, oppose, dans la relation concurrentielle verticale, fournisseurs et distributeurs, groupes de pression respectifs des uns et des autres, tient non pas à l’étrangeté des uns par rapport aux autres, mais à leur similitude, à leur gémellité. Isaac a grugé Isaïe. Immense progrès dans la civilisation car, auparavant, Caïn avait trucidé Abel. L’incontestable violence économique manifestée dans ce que le droit désigne comme « pratiques restrictives » tient sans doute à davantage qu’au seul appât du gain, encore que ce facteur ne doive pas être sous-estimé. En sorte que, volens nolens, le combat continue.

« Polissez-le sans cesse et le repolissez… »

En 1996, quatre ans après, arrive la loi Galland. Le contexte macro-économique est à la déflation. Nonobstant un climat politique en théorie peu propice à ce que Michel Glais qualifie de « restes d’économie administrée », car la droite a retrouvé le pouvoir, un tour de vis supplémentaire est donné au droit des pratiques restrictive, avec l’interdiction de fait de la revente à perte, jusque-là prohibée seulement en principe.

« Ajoutez quelquefois, et souvent effacez… »

Et c’est alors que la machine s’emballe. En 2001 la loi NRE ajoute un chapitre répressif au droit des pratiques restrictives. Une circulaire Dutreil plus loin, en 2005, intervient la loi Dutreil, qui abaisse le seuil de l’interdiction de la revente à perte, sans guère changer plus avant. La réforme est tout de même sensible, car est ouverte la voie vers le triple net, qui sera atteint avec la loi Chatel du 3 janvier 2008. Mais pour le reste toujours rien, ou presque : le droit des pratiques fait de la résistance. La grande réforme annoncée sous les termes de « simplification » (en fait la libéralisation), « allégement » (en fait le nettoyage d’un texte surabondant) et « dépénalisation » est renvoyée à une loi Chatel 2 qui se trouvera insérée dans la fameuse LME du 4 août 2008. Nous en sommes là.

Constat liminaire : il n’y a ni simplification, ni allégement, ni dépénalisation. Les instruments de sanction – au civil il est vrai – sont même renforcés. Quant à la libéralisation, elle a failli intervenir de façon tout à fait radicale : dans la première version du projet de loi il était question, non pas de supprimer le droit des pratiques, mais de le rendre inutile, non pas d’interdire les marges arrière, mais de les faire caduques, en dérégulant totalement la discussion tarifaire, aussi discriminatoire fût-elle.

Dans leur sagesse, les deux assemblées en décidèrent autrement. Elles rétablirent des bornes à l’expression de la puissance économique, exigeant que la négociation commerciale procède d’un échange de bons procédés (appelés « obligations » pour éviter le terme « contreparties », trop connoté) et non pas de l’extorsion unilatérale d’avantages justifiés par rien d’autre que le déséquilibre du rapport des forces. Mais le texte initial, d’inspiration ultralibérale, n’a pas été gommé pour autant. D’où la perplexité des nos auteurs devant une loi qui, tel un shampoing, semble appliquer la formule du deux en un.

Muriel Chagny utilise les substantifs « obscurité », « ambiguïté », et aussi les adjectifs « contradictoire », « elliptique », pour conclure à la Boileau par un « l’éphémère sied à l’appréhension législative des relations commerciales ». Joseph Vogel qualifie la facturation de question « complexe » et « mystérieuse ». Selon lui, « si les intentions de la loi LME sont parfaitement louables, elle soumet les entreprises à une forte insécurité juridique » ; et fiscale, est-il permis d’ajouter. Michel Glais, moins critique, n’en concède pas moins, à propos du concept de « déséquilibre significatif » : « La tâche du magistrat ne sera guère facile. » Selon lui toutefois, la LME est un progrès, en ce sens qu’elle s’efforce de rompre avec « l’économie administrée ». Elle marque une étape. Est-ce à dire qu’il faudra bientôt retourner devant le Parlement ?

Un autre domaine qui échappe mal à l’instabilité des règles est l’urbanisme commercial, également réformées par la LME, dans le sens d’une libéralisation toutefois bien tempérée. Jacques Perrilliat, membre de la Cnec et fin connaisseur du dossier, présente le texte comme une « complète mutation par rapport aux lois antérieures, lois Royer, Raffarin ». Enfin un peu de cette modernité tant annoncée ? Pas vraiment, car, ajoute le préfet : « Parler de modernité pour cette loi est peut-être exagéré. » Qu’en termes galants ces choses là sont dites ! Du côté positif, il faut souligner que « les risques de corruption sont faibles », le mérite en revenant toutefois plus à la loi Sapin qu’à la LME. Du côté, sinon négatif, du moins dubitatif, il y a la prise en compte de l’urbanisme, et à ce stade « on peut imaginer toutes les hypothèses, même l’échec. Ou bien les élus auront la force d’âme de se mettre d’accord sur de vrais schémas, ou bien la loi ne sera pas appliquée ». Où Boileau s’efface devant Lamartine : « Objets inanimée, avez-vous donc une âme ? »

Nonobstant le coup de patte de Patrick de Saint-Martin – « Le plus préjudiciable au petit commerce est à chercher du côté des hommes politiques et des commerçants eux-mêmes » –, c’est bien avec les élus qu’il convient de conclure.

Pour Luc Chatel, le ministre qui a porté le dossier, la LME s’inscrit dans le droit fil des lois précédentes. La multiplication des textes résulte d’une volonté pédagogique, point de l’incertitude quant au cap à tenir, qui pourrait s’énoncer par le slogan « En avant toute ! ». Le ministre nous déclare : « D’une part la négociabilité libère la négociation “à l’avant” et permet aux distributeurs de faire à nouveau du commerce, en margeant sur la revente des produits aux consommateurs. D’autre part les marges arrière sont définitivement dégonflées par la remontée des “services distincts”. » Lesquels « services distincts » n’en sont plus. Devenus « autres obligations », ils rejoignent à l’avant les « obligations » tout court, dans le rôle des contreparties qui figurent par nature sur la facture de marchandises. Et c’est ainsi qu’est mis un terme à « la spécificité bien française de la “facturologie” ». La loi n’est ni ambiguë ni complexe mais « suffisamment souple », tout en s​‌’avérant inflexible, tant il est vrai que des garde-fous ont été disposés, de façon à sanctionner « les abus de puissance d’achat ou de vente au travers des “déséquilibres significatifs” entre les droits et les obligations des parties ». Quant à la police des monopoles locaux ou quasi tels de la distribution, elle sera assurée par l’Autorité de concurrence, dotée de nouveaux pouvoirs dont celui, en vérité exorbitant par rapport au respect dû au droit de propriété, de prononcer des « injonctions structurelles ». Dura lex, sed lex. La démonstration est imparable. Infalsifiable ?

Jean-Paul Charié, dont l’inépuisable enthousiasme est venu à bout d’un exercice qui s’apparentait, par sa difficulité, au théorème de Fermat, sans contredire en rien le ministre, fait entendre une musique un peu différente. Il rassure ceux qui craignent que la liberté ne tourne à la licence, au bénéfice des plus forts, lorsqu’il énonce : « La liberté doit s’arrêter à l’équilibre entre les différentes obligations réciproques… Toute baisse de prix ou tout résultat sur un prix doit répondre à des obligations globales. » C’est bien grâce à lui que la négociation de quelque chose (un avantage financier) contre rien du tout (pas de service) a été empêchée par le texte. C’est un petit pas accompli par le législateur, sous la forme d’un amendement introduit dans le projet du gouvernement, mais c’est un grand pas en faveur de la loyauté de l’économie de marché. Le rapporteur ne saurait trop en être loué.

Là où, en revanche, il fait peur, c’est lorsqu’il affirme : « Voyons si la loi tient ses promesses et si la fausse coopération commerciale disparaît. Nous pourrons alors envisager d’alléger le formalisme des contrats. » Serait-ce à dire, une fois de plus, qu’une loi nouvelle attendrait dans les tuyaux ? Devant pareille perspective, n’en déplaise à Boileau, votre trop bavard éditorialiste demeure coi.

Dominique de Gramont

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