Codes de bonne conduite : quand l’Europe donne le la - Numéro 321
01/02/2001
Que préconise le Conseil du Commerce de France pour le cas français ?
Baudouin Monnoyeur : Il est vrai que notre pays, fier de sa tradition de droit écrit et codifié, a préféré, comme son histoire l’atteste, faire confiance à la sagesse du législateur et à l’impartialité du juge pour établir les règles de vie en société et notamment le droit commercial. Avec une telle conception, les conséquences excessives de rapports de force inégaux comme le non-respect des contrats ou du droit de la concurrence sont examinés par les tribunaux sur recours de la partie qui s’estime lésée. Peu à peu, la jurisprudence transforme des jugements sur des cas individuels en règles constamment appliquées, qui finissent par constituer ce que l’on nomme la doctrine, en chaque matière. Les pays, dont le droit a été moins codifié dans le passé, ont adopté des modes moins procéduriers de règlements des conflits, comme la médiation, pour tenter d’éviter une procédure contentieuse longue, ou pour s’en dispenser par un arbitrage ayant valeur souveraine et définitive entre les parties. En matière professionnelle, ces deux formes de règlement des litiges ont prospéré dans la mesure où elles interviennent dans le cadre de relations habituelles entre des personnes morales ou physiques informées et responsables. Pour tenter, encore en “amont”, d’éviter les excès inévitables dans les relations d’intérêt et dans les rapports de force, de nombreuses professions ont élaboré des chartes déontologiques, des codes de bonne conduite ou de bonne pratique destinés à guider, voire “encadrer” les relations entre professionnels dans leurs rapports permanents. Lecas du bricolage est un exemple à suivre. A cet égard, les initiatives prises récemment par certaines professions nous semblent la voie à suivre : il s’agit du code de bonne conduite signé entre les industriels et les distributeurs du bricolage ainsi que de l’instance professionnelle de dialogue et de médiation pour les biens de consommation durables créée par la Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution, la Fédération des Industries Mécaniques et de la Fédération des Industries Electriques, Electroniques et de Communication ; c’est en tout cas le rôle du Conseil du Commerce de France que d’encourager les initiatives de ses adhérents en vue de développer ces pratiques contractuelles. Ainsi, le code de bonne conduite entre professionnels du bricolage comporte des dispositions portant notamment sur les points suivants : règlement des litiges, livraisons, tarifs, délai de référence pour le règlement, effets commerciaux et titres de paiement, escompte et pénalités, délais de règlement, estimation du risque, environnement, éthique.
Le rapport du député Jean-Yves Le Déaut, sur “l’évolution de la distribution”, souligne le manque d’ardeur à négocier et la difficulté de faire accepter les obligations. La réglementation est-elle la seule voie possible ?
B. M. : Dans la mesure où le droit commercial et le droit de la concurrence ont, depuis longtemps, précisé les droits et obligations de chacun, et où les tribunaux ont constitué une doctrine et une jurisprudence sur la plupart des sujets de dérive et de conflit, il n’était pas anormal que les commerçants distributeurs et leurs clients ou fournisseurs ne ressentent pas le besoin de définir des obligations nouvelles, et ce d’autant plus que notre pratique française de codification et de contrôles de toutes sortes est particulièrement riche et complexe. Néanmoins, il apparaît clairement, aujourd’hui, que ce n’est pas en accroissant encore la réglementation, par essence rigide et vite décrochée de la réalité, que l’on va pouvoir accompagner la complexité toujours accrue et la rapidité d’évolution des rapports de l’échange. Seuls les professionnels - producteurs, fournisseurs, grossistes, intermédiaires du commerce et des services, distributeurs, commerçants de proximité - peuvent faire évoluer constamment et dans le sens qu’ils souhaitent leurs propres relations économiques. Dans ce sens, la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques, texte de circonstance “fourre-tout” où le meilleur côtoie le pire, n’est pas une réponse moderne à la question - légitime souvent - qu’elle pose dans l’exposé de ses motifs. Quant à la Commission d’Examen des pratiques commerciales qu’elle instaure, on peut s’interroger sur sa véritable utilité, compte tenu des missions respectives du Conseil de la Concurrence et de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). Si cette commission voyait le jour, à tout le moins devrait-elle avoir une composition véritablement paritaire entre les représentants de l’industrie et ceux du commerce et ne pas privilégier la représentation de l’Administration et des juridictions au détriment d’une large représentation professionnelle. Par ailleurs, l’accent devrait être mis sur son rôle d’incitation à l’élaboration de codes de bonne conduite interprofessionnels. Le Conseil du Commerce de France, qui regroupe plus de 120 fédérations d’entreprises de commerce dans la plupart des métiers et sous toutes leurs formes d’exercice (commerce de gros et international, commerce à prédominance alimentaire, commerce de centre-ville, vente à distance, franchise, coopératives de commerçants, commerce électronique, etc), se donne notamment pour mission de favoriser les accords interprofessionnels particulièrement au sein de chaque grande filière : alimentaire, sport, bricolage, textile, ameublement…De la même manière, il suscite les rencontres entre acteurs dans le cadre des grands enjeux actuels : préparation à l’Euro, sécurité du commerce, évolution de la monétique…
Quelle différence faites-vous entre code d’éthique et code de bonne conduite. Les codes de déontologie de la franchise et du bricolage relèvent de quelle catégorie ?
B. M. : Les codes de bonne conduite donnent les voies et moyens de rapports équilibrés entre les parties en matière de pratiques commerciales : règlement des litiges, conditions de livraisons, délai de référence pour le règlement, escomptes et pénalités, règles de déréférencement, etc… Les codes d’éthique s’attachent, de leur côté, aux conditions dans lesquelles les produits sont fabriqués et demandent aux entreprises, qui y souscrivent, une vigilance toute particulière afin d’éviter que lesdits produits ne résultent, par exemple, du travail forcé, du travail des enfants, du pillage des ressources naturelles. La difficulté est toutefois de s’assurer que les produits répondent bien aux critères éthiques. Le code de la franchise relève de la première catégorie, tandis que celui du bricolage relève à la fois des deux catégories.
La taille atteinte par certains grands groupes de distribution et la puissance d’achat qui en découle feraient peser des menaces sur les fournisseurs. Mythe ou réalité ?
B. M. : Permettez-moi de relever quelques fausses querelles. Un déréférencement, s’il est conduit normalement, n’est que l’exercice légitime du choix d’un autre fournisseur qui apporte une meilleure prestation. Les argumentations sur la taille des acteurs ne sont pas toujours empreintes de la meilleure foi possible : nombre de petits producteurs de spécialités se sont remarquablement développés avec leurs partenaires des grandes enseignes alimentaires. De même, certaines enseignes regroupent, aujourd’hui, à la fois des grandes entreprises succursalistes et des franchises de magasins plus modestes qui restent bien la propriété de leurs franchisés ! Ces derniers se sentent bien dans leur rôle de commerçant de proximité et acceptent souvent, avec fierté, le qualificatif de petit commerce. N’oublions pas que certains groupes industriels ne seraient pas aujourd’hui ce qu’ils sont s’ils n’avaient pas eu comme clients la puissance d’achat et de vente du grand commerce et ce, même avant l’apparition des hypermarchés. N’oublions pas aussi que la course à la taille d’achat est parallèle à la course à la taille de vente et que le jeu économique normal entraîne des pouvoirs de négociation de part et d’autre. Enfin, beaucoup d’encre et de salive ont été dépensées sur les problématiques de partage de marge entre producteurs et distributeurs. Il faut rappeler que si les investissements des uns et des autres - et les risques pris - diffèrent par leur ampleur et leur étalement dans le temps, la rentabilité de ces investissements se mesure de la même manière. Dès lors, les marges réalisées ne sont que le reflet d’un équilibre nécessaire, et non la rémunération “injustifiée” d’un rapport anormal de l’échange. Il serait enfin naïf de croire que les comportements des acteurs ont toujours été irréprochables, de part et d’autre.
L’arrivée de l’Euro va accentuer les comparaisons de prix entre les différents pays européens. L’heure n’est-elle pas à l’harmonisation des règles du jeu ?
B. M. : Le rassemblement de l’ensemble des commerçants de notre pays au sein du Conseil du Commerce de France démontre, aujourd’hui, la volonté commune de faire progresser l’équilibre des rapports de l’échange, dans la construction d’une Europe économique ouverte et concurrentielle. Il faut s’adapter rapidement à cette Europe du commerce et anticiper ses exigences. Nous attendons beaucoup des Pouvoirs Publics pour qu’ils comprennent l’impérieuse nécessité d’une harmonisation des règles juridiques, fiscales, douanières, comptables, normatives. Nous nous y employons également au sein d’Euro-Commerce, actuellement présidé par Paul-Louis Halley.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard