Argentine : quand tradition latine peut rimer avec autorégulation - Numéro 322
01/03/2001
Le 14 septembre 2000, l’Argentine était le premier pays d’Amérique Latine à se doter d’un code de bonne conduite dans les relations producteurs-distributeurs. Quelles étaient, à l’époque, les mauvaises pratiques fustigées et depuis quand existaient-elles ? Carlos Winograd : Les pratiques commerciales les plus pernicieuses et les plus récurrentes concernaient les délais de paiement, l’absence de coopération logistique et les questions relatives à la dévalorisation des marques induite par la politique de prix des distributeurs. Plus grave, le conflit était permament car les acteurs ne dialoguaient pas. Le Secrétariat à la Concurrence a donc décidé de réunir autour d’une table les plus grands groupes industriels et les distributeurs afin d’établir un agenda pour régler les principaux problèmes. Afin de nous guider, nous avons étudié les différentes expériences menées pour résoudre les conflits et mis dans la balance les inconvénients et les avantages des mécanismes utilisés pour corriger les mauvaises pratiques. Après un débat intense, un code de bonnes pratiques commerciales a été écrit conjointement par les industriels et les distributeurs. Qui a été à l’initiative du code ? Carlos Winograd : Il y a un an, le président De la Rua nous a fait part de ses préoccupations concernant les conflits récurrents dans le secteur de la distribution. Décision fut alors prise au sein du Secrétariat pour s’attaquer aux problèmes du secteur, sans solutions depuis presque vingt ans. Notre travail s’est déroulé en trois temps : diagnostic de la situation argentine, étude de l’expérience internationale et proposition d’une politique adaptée aux conditions particulières du pays. Nous avons ainsi étudié la loi Galland en France et les réglementations d’autres pays, tels que celles de l’Espagne et des Etats-Unis. Tradition latine oblige, l’Argentine a tendance à résoudre les problèmes par voie législative. Reste que l’application de la législation laisse à désirer dans la mesure où les lois, de portée générale, n’appréhendent pas les problèmes vécus au quotidien. Nous nous sommes donc inspirés des codes de bonne conduite dont celui du Royaume Uni. Il nous est apparu que deux instruments majeurs pouvaient contribuer à résoudre les conflits : la flexibilité et la rapidité. J’ai ainsi consacré beaucoup de temps à convaincre, individuellement, tous les acteurs des bénéfices d’une action commune. L’effet de surprise passé, industriels et distributeurs n’ayant jamais entendu parlé de code volontaire, il a fallu vaincre leur méfiance et les persuader que travailler ensemble était possible et souhaitable. En définitive, si le Secretariat est à l’origine de l’idée d’un code volontaire, la volonté des industriels et des distributeurs lui a donné vie. Quel est le champ couvert par ce code ? Qui l’a signé jusqu’à ce jour ? Carlos Winograd : Le code porte sur les relations entre fournisseurs, supermarchés et hypermarchés, qu’ils soient de petite, de moyenne ou de grande taille. La plupart des grandes chaînes de supermarchés, les plus importants syndicats professionnels, représentant des centaines d’entreprises ont, à ce jour, paraphé le code. Mais toutes les semaines, se présentent au Secrétariat de nouveaux signataires du code. L’impact le plus remarquable est celui du changement des conduites considerées comme étant normales. En effet, le code commence à établir les fondements d’une nouvelle éthique commerciale et d’un équilibre écomonique meilleur. A mesure que les nouvelles pratiques se mettent en place, les anciennes sont jugées coûteuses en termes d’image commerciale. Même ceux qui n’ont pas encore signé le code commencent à mettre leurs pratiques commerciales en accord avec les règles établies. Quel sera le rôle du tribunal arbitral créé par le code? Carlos Winograd : Le tribunal a pour objectif d’établir un système de résolution des conflits simple, rapide et accepté par les parties. Les signataires du code peuvent dénoncer les pratiques abusives devant un tribunal composé de trois arbitres : le premier, choisi par les fournisseurs, le second par les supermarchés et le troisième, le président, désigné par les parties. Quand un cas se présente, on cherche à résoudre le conflit d’abord par la médiation. Si elle n’aboutit pas, le tribunal doit émettre son avis après une courte période d’environ trois mois. Ses résolutions, qui prennent la forme d’amendes ou d’ordre à cesser les conduites, ont force de loi. Il faut remarquer que la rapidité du processus de résolution des conflits constitue un avantage très important, en termes de temps passé et de coûts, par rapport au système judiciaire. Dans beaucoup de pays, et en particulier dans le notre, la résolution d’un conflit par la voie judiciaire pourrait prendre plus de deux ans. De même, celui qui dénonce une pratique abusive pourrait être victime de représailles commerciales destinées à calmer ses ardeurs et celles des victimes potentielles. Lorsque l’on considère les coûts d’avocats, le temps passé, la connaissance limitée qu’a la justice des relations industrie-commerce et l’incertitude du résultat, on comprend pourquoi le nombre de conflits commerciaux portés devant la justice soit, dans les faits, très réduit. Quels sont les obstacles à la mise en oeuvre du code ? Carlos Winograd : Le succès du code dépend de la volonté des acteurs. Notre rôle a consisté à proposer un mécanisme institutionnel inconnu en Argentine et d’impulser, par notre action, le processus de négociation, jusque-là totalement absent. Aussi bien les fournisseurs que les distributeurs nous ont manifesté leur conviction que le code est la meilleure des solutions connues. A eux de démontrer qu’ils sont aptes à résoudre par eux-mêmes leurs problèmes et, surtout, capables de défendre ce code qui fut laborieux à construire. S’ils y parviennent, contribuant ainsi à améliorer le bien être du consommateur, on pourra parler d’une rupture dans les mécanismes de résolution des conflits commerciaux en Argentine. Comment évolue le rapport de forces entre distributeurs et fournisseurs ? Carlos Winograd : Le code de bonnes pratiques va sans doute placer dans une position plus favorable les sociétés ayant un faible pouvoir de négociation, que ce soit du côté des fournissseurs ou des distributeurs. Il ne faut pas oublier que les petites et moyennes entreprises de la distribution peuvent également contester certaines pratiques abusives des grands fournisseurs. Le code n’a pas laissé de côté cette dimension.
Jean Watin-Augouard