L’environnement, un des régulateurs du marché mondial - Numéro 323
01/04/2001
L’environnement est, aujourd’hui, l’affaire de tous. Comment concilier devoir écologique et impératif économique ? Jean-Charles Hourcade : L’argument économique est à la fois réel et spécieux. En fait, l’expérience montre que les industriels s’adaptent plutôt spontanément quand on leur donne des objectifs environnementaux clairs et qu’ils disposent de temps pour modifier leurs comportements. Le vrai problème est institutionnel, c’est celui de la crédibilité des incitations. Comme pour la crise de la vache folle, les problèmes d’environnement sont souvent niés dans un premier temps, puis on débouche sur des attitudes et mesures irrationnelles avec des coûts économiques et sociaux exorbitants. Lorsqu’on anticipe à temps, comme dans le cas de la couche d’ozone dès que le problème avait été identifié et détectés les techniques et les hommes pour résoudre la crise, tout se passe plus aisément. Ainsi, l’éviction des C.F.C. fut réalisée en quelques années après la première alerte chez Du Pont de Nemours en 1973. Les dirigeants avaient isolé la question en engageant des recherches et ce avant que la crise des aérosols n’éclate au grand jour. Il est vrai que dans ce cas précis, la situation était relativement simple, puisque la crise ne portait que sur un produit et ne concernait qu’une seule industrie dans quelques pays. Aujourd’hui, l’effet de serre renvoie à l’énergie et le problème est d’une toute autre ampleur et appelle une coordination mondiale. Comment coordonner des milliards de consommateurs et des micro-décisions ? Jean-Charles Hourcade : Trois outils peuvent être utilisés pour stabiliser les anticipations : les normes techniques, les taxes et les quotas. Exemple de normes techniques : celles appliquées au moteur de la voiture. Elles ne peuvent être pertinentes que si le prix de l’énergie augmente. Si tel n’est pas le cas, la voiture, plus compétitive que le rail ou tout autre moyen de transport, sera davantage utilisée et les émissions ne seront pas réduites ! Les performances technologiques ont donc parfois des effets pervers. Recourir aux seules normes techniques relève d’une politique à courte vue car l’industriel a intérêt à négocier les normes les moins strictes possibles. De plus, il a intérêt à imposer celles qui l’arrangent par rapport à ces concurrents. Exemple : la question des pluies acides. La solution des pots catalytiques n’était peut-être pas la plus pertinente, mais le gouvernement allemand a su les imposer. Les industriels ne sont pas à l’abri d’une norme imposée de manière arbitraire par un pays. Le dilemme se pose de la même manière, aujourd’hui, avec la listéria, les fromages au lait cru ou la vaccination des moutons. Au nombre des 96 mesures adoptées par le gouvernement Jospin pour réduire les émissions de gaz à effet figure l’écotaxe ou TGAP qui ne semble pas recueillir l’adhésion de tous les acteurs. Jean-Charles Hourcade : De fait, le gouvernement a très mal géré la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et ce, pour plusieurs raisons : ont été exemptés les consommateurs et les gros pollueurs, ces derniers au nom de la compétition internationale ; la TGAP a été détournée de sa vocation première : l’objectif de recycler son produit pour baisser les charges sociales est judicieux mais pour qu’une telle taxe soit macroéconomiquement efficace, elle doit toucher tous les acteurs, y compris les consommateurs finaux. De manière générale, la politique fiscale a plusieurs avantages : elle permet de contrôler la demande, elle est transparente et rend responsables tout le monde. Le consommateur, comme l’industriel, doit recevoir un signal clair. Autre avantage, celui du double dividende généré par l’action sur l’environnement et l’emploi. Les permis d’émissions négociables (PEN) sont-ils un « droit à polluer » ? Jean-Charles Hourcade : En aucun cas ! Les PEN s’intègrent dans le troisième outil, le plus contraignant des systèmes : les quotas. Une norme technique confère un droit illimité à polluer. Une taxe n’empêche jamais de polluer. Le quota, en revanche, limite le dévelopement des émissions. Mais ce système n’est viable que si des permis d’échange sont introduits pour le rendre flexible, à savoir donner la possibilité à un pays soumis à des quotas de les respecter en important des permis additionnels des pays où les coûts d’abattement des émissions sont plus bas. Reste que leur mise en place n’est pas chose aisée qui demande des systèmes d’observation, de mesure et de régulation. Comment l’Etat va-t-il réallouer les permis aux industries selon qu’elles relèvent de la sidérurgie ou de l’informatique ? Comment arbitrer entre taxe et quota ? Jean-Charles Hourcade : Quand la situation est périlleuse, comme le fut l’affaire de l’ozone, le recours aux quotas est pertinent car il faut agir très vite. Pour d’autres pollutions, comme l’effet de serre, les impacts sont réels mais incertains : toute tonne de carbone émise ne va pas nous conduire à la castastrophe. Il vaut mieux dans ce cas privilégier la coordination par les prix c’est-à-dire par les taxes, car on peut alors observer le niveau d’effort des gens. A chaque fois que l’on a besoin de temps, et d’une bonne anticipation, la voie fiscale est la meilleure. Qui doit assurer la coordination internationale ? Jean-Charles Hourcade : C’est la grande question. Normalement, ce rôle appartient aux Etats. Mais ils n’ont toujours pas pris conscience des problèmes et leur mode de fonctionnement est inopérant. Le monde industriel, lui, est prêt à jouer le jeu de la coordination et reste ouvert aux système d’anticipations fiables. Quant à l’OMC, la réticence des mouvements antimondialistes à la voir se charger des dossiers d’environnement laisse empêche pour l’instant de trouver des moyens de rétorsions sérieux vis-à-vis de ceux qui ne jouent pas le jeu, comme les Etats-Unis actuellement. Cela laisse la voie libre aux partisans du marché pur et dur. (1) Directeur du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED).
Jean Watin-Augouard