Le développement durable : un impératif stratégique - Numéro 323
01/04/2001
L’aptitude au changement est possible et, surtout, souhaitable. En exergue du colloque, un résumé de la pensée de la sociologue Margaret Mead : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde ; c’est même de cette façon que cela s’est toujours produit. » Le « petit groupe » peut, comme l’atteste ce colloque, prendre la forme d’une entreprise mondiale (Carrefour) ou d’une ONG (WWF). Il peut aussi se résumer à deux personnes, Ben Cohen et Jerry Greenfield, créateurs en 1978 des glaces patronymes, ou Anita et Gordon Roddick, fondateurs en 1976 de The Body Shop. « Les expériences d’aujourd’hui sont les pratiques de demain », pronostique Elisabeth Laville, co-fondatrice et directrice d’Utopies. En 1988, Ben & Jerry’s consacre, pour la première fois, une grande partie de son rapport annuel aux impacts sociaux et environnementaux de sa politique. Accueillie alors avec étonnement voire ricanement, cette pratique est, depuis, entrée dans les mœurs comme le montrent les rapports de grands groupes (Shell, Procter & Gamble, Ford, etc.) qui consacrent une partie à leur participation au développement durable. La France ne fait pas cavalier seul, puisque la future loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) obligera, après décret d’application, - tradition culturelle oblige - les entreprises cotées au premier marché à consigner dans leur rapport annuel 2001 leur action en faveur de la politique environnementale. Aux Etats-Unis, pays du capitalisme « pur et dur », un dollar sur huit est, aujourd’hui, investi dans des entreprises qui respectent un certain nombre de critères éthiques et environnementaux. Au pays de l’Oncle Sam fut également créé, il y a un an, un indice boursier dédié à ces entreprises. « Preuve que l’on peut concilier développement durable et performance économique », tranche, pour rassurer les récalcitrants, Elisabeth Laville. 1968 : année, dit-on, révolutionnaire ! Elle marque la naissance du Council on Economic Priorities (CEP) fondé pour oeuvrer en faveur d’une autre économie. A son crédit, le premier guide du « shopping for a better world » et la norme sociale SAI 8000 (Social Accountability International) destinée aux pays en voie de développement. Alice Tepper-Marlin, fondatrice et directrice du CEP, se félicite de l’élaboration de codes internes de bonne conduite aussi bien chez Toy’s R Us ou Reebok. Secteurs souvent mis en cause pour leurs pratiques qui ne respecteraient pas les droits de l’homme : le sport et le textile. Au nombre des « prototypes », le fabricant de chaussure de sport Timberland. Ken Parker, numéro deux de la société, plaide pour un partage de la valeur créée entre tous les acteurs - les stakeholders - et non plus seulement entre les actionnaires (les shareholders). « Notre action, explique Ken Parker, repose sur quatre valeurs clés : l’humanité, l’humilité, l’intégrité et l’excellence. Notre discours s’adresse également à nos fournisseurs. » Signe de l’humilité : rien de la polutique environnementale de la société ne transparait dans le discours publicitaire. Cette valeur est aussi revendiquée par Carrefour, le numéro deux mondial de la distribution qui s’affirme « responsable ». Il revient à Chantal Jaquet, directeur santé, sécurité et environnement, de souligner « la dimension éthique » que le groupe fait sienne depuis plus de vingt ans : « Présent dans 27 pays, comptant plus de 2 milliards de consommateurs, Carrefour joue un rôle social majeur en démocratisant la consommation. Produits sans OGM, biodiversité, traçabilité, produits bio, filières avec le monde agricole sont autant de manifestations de sa responsabilité », ajoute Chantal Jaquet. En matière de recyclage des déchets (prospectus et emballage), Carrefour travaille en partenariat avec WWF. A noter une nouvelle technique de déréférencement : en cas de non respect des normes sociales, le fournisseur est écarté au bout de trois mois ! Il revient au sémillant Daniel Richard, ancien Pdg des 3 Suisses, aujourd’hui président du WWF et de Sephora, de saluer le rapprochement d’acteurs, longtemps frères ennemis : les ONG et les entreprises. Au cœur du changement, le président de l’entreprise a, seul, « la révélation de sa mission » et peut transformer « la contrainte en talent ». L’esprit de sacrifice doit-il, pour autant, l’emporter sur l’esprit de jouissance ?
Jean Watin-Augouard