Bulletins de l'Ilec

Contrôle des concentrations : la France au diapason du droit communautaire - Numéro 328

01/10/2001

Entretien avec Jérôme Gallot, directeur général de la DGCCRF.

La loi NRE adopte une nouvelle définition de la concentration qui n’est autre que la définition communautaire. Pourquoi ce changement ? Jérôme Gallot : L’un des principes qui nous ont guidés lors de l’élaboration de la partie « concurrence et concentration » de la loi NRE était de nous inspirer du droit communautaire. Cela vaut pour un certain nombre de dispositions relatives au droit de la concurrence, stricto sensu, mais également pour le droit des concentrations. Il en est ainsi de la définition d’une concentration dont la précédente, franco-française, pouvait poser quelques difficultés de compréhension et d’articulation par rapport au droit communautaire. De fait, nous n’avions pas la même lecture de la définition que le Conseil de la concurrence. Le choix de la définition communautaire est doublement motivé, fondé sur une plus grande homogénéité par rapport au droit européen et sur un souci de simplification pour l’ensemble des opérateurs économiques. Va-t-on vers un droit uniforme et l’instauration d’un guichet unique ? J.G. : Nous affirmons notre volonté que le droit national soit homogène avec le droit communautaire. Cela vaut pour le montant maximal des sanctions en droit des concentrations, l’obligation de notification, ou le caractère suspensif de l’exercice des droits attachés à la prise de contrôle, avant que l’autorité de concurrence ne donne son approbation. Nous estimons que le droit communautaire confère plus de sûreté. Il nous paraît plus sain de ne pas être confrontés à une multiplicité de définitions ou de réglementations. Pourquoi ce choix n’a-t-il pas été fait plus tôt ? J.G. : Les règles de concurrence ne se modifient pas d’un coup de baguette magique. Le droit de la concurrence était et est encore, malgré tout, une idée neuve en France. L’ordonnance du 1er décembre 1986 n’est pas si ancienne ! Il n’est donc pas très sain de modifier les règles du jeu trop vite, dans la précipitation, avant que les acteurs économiques aient eu le temps de se les approprier. Reste que, au bout de quinze ans de fonctionnement, il n’est pas déraisonnable de les changer. Il est, en outre, assez rare que l’on modifie le droit de la concurrence par voie législative. Il faut une certaine maturité pour éviter les débordements. L’heure est venue de rendre le régime français des concentrations conforme aux standards internationaux, en évitant tout particularisme. Des adaptations, oui, des dérogations, non ! Innovation majeure dans ce nouveau droit : la notification préalable et obligatoire. Va-t-on vers davantage de bureaucratie ? J.G. : Avant la loi NRE, le système reposait sur la notification optionnelle, qui avait ses mérites et ses inconvénients. La notification préalable et obligatoire est une disposition clé de la réforme. Il ne faut pas y voir la volonté de bureaucratiser davantage ni d’accroître les contraintes pesant sur les entreprises. La justification est fondée sur la transparence et le bon fonctionnement du marché. La transparence car, jusqu’à présent, la notification des opérations de concentration n’était pas obligatoire. Aussi, les acteurs économiques et les tiers — compétiteurs, clients — n’en étaient pas forcément informés. Cette procédure facultative était synonyme d’opacité absolue. Deuxième argument : le fonctionnement du marché. Nous allons réaliser des tests en interrogeant tous les partenaires économiques susceptibles d’être intéressés par l’opération. L’existence d’une notification de concentration sera rendue publique sur le site Internet du ministère des Finances. Jusqu’à présent, quand une opération de concentration posait des problèmes importants de concurrence, nous indiquions aux entreprises concernées qu’il était opportun de leur part de notifier l’opération. Ce conseil leur donnait une sécurité juridique, car l’administration était enserrée dans un carcan temporel. Mais il n’y avait pas toujours de notification, et parfois une opération particulière, qui ne faisait pas la une des journaux économiques, pouvait avoir des effets pervers sur le marché. La procédure était donc un peu confidentielle et inégale, et par conséquent historiquement datée. Depuis le règlement communautaire sur le contrôle des concentrations, il nous est apparu nécessaire de passer à une deuxième phase, signe d’une plus grande maturité du dispositif français. Trop de transparence ne nuit-il pas à l’économie de marché ? La stratégie d’une entreprise ne doit-elle pas demeurer secrète face à la concurrence ? J.G. : La transparence est une notion qui, dans sa relation avec la concurrence, mériterait des analyses très fines. Une transparence trop forte peut avoir des effets anticoncurrentiels. Mais, par rapport à la problématique des concentrations, la transparence est une valeur première, car elle permet à tous les acteurs économiques du marché d’être informés et de faire valoir leurs droits ou leurs observations. C’est également un garde-fou utile pour protéger les droits du consommateur. Reste que le droit de la concentration est plus exigeant que le droit de la concurrence, puisqu’il prohibe la constitution d’une position dominante, alors que le droit de la concurrence condamne l’abus de position dominante. Nous avons trouvé un compromis pour que le jeu de la concurrence puisse être concilié avec les impératifs de l’économie et de la compétitivité. Si la règle du jeu peut être contraignante, nous essayons d’en faire une application économiquement justifiée. Ce nouveau droit des concentrations va-t-il induire un surcroît de travail ? J.G. : Deux problèmes se posent : l’approfondissement de certains dossiers et la nécessaire rapidité de traitement. Dans près de 95 % des cas, les opérations de concentration qui nous seront notifiées poseront peu de problèmes et seront rapidement réglées, dans le délai dit de première phase (cinq semaines), au reste raccourci par rapport au délai actuel (deux mois). Pour les affaires qui vont poser de réels problèmes de concurrence, l’exigence qui prédomine est celle du respect des droits de la défense et de l’approfondissement du dossier. Nous avons prévu, sur le modèle communautaire, une deuxième phase, durant laquelle le Conseil de la concurrence sera saisi : le délai de procédure est allongé, afin qu’il puisse rendre son avis. Ce qui importe le plus est que tous les acteurs puissent faire valoir leurs arguments et être entendus. Avec le nouveau système, nous allons passer d’une centaine de notifications informelles dont moins de cinq étaient soumises au Conseil de la concurrence à au moins cent notifications. Cela suppose un renforcement tant quantitatif que qualitatif de la DGCCRF. Un défi que nous aurons à relever dès que le décret d’application de la loi NRE sera sorti, courant décembre. Autre changement majeur, l’abandon des parts de marché. J.G. : De fait, la suppression des seuils en termes de part de marché milite en faveur de la simplification. Les seuils exprimés en termes de chiffre d’affaire sont, aujourd’hui, en valeur absolue, beaucoup moins élevés, augmentant de ce fait le nombre des concentrations à controler. Ils suppriment l’incertitude sur la définition et la segmentation du marché. Avec le nouveau critère de la puissance d’achat, certaines fusions autorisées dans la grande distribution seraient-elles aujourd’hui interdites ? J.G. : Toutes les opérations de concentration dans le secteur de la distribution ont été contrôlées à Bruxelles et à Paris. La problématique du seuil en termes de part de marché n’était que secondaire, puisque les seuils en valeur absolue ont joué. La problématique de la puissance d’achat était déjà intégrée dans nos raisonnements. Sa mention dans la loi est donc une forme de consécration légale d’un raisonnement jurisprudentiel. Comment évaluer comme « suffisante » la contribution d’une concentration au progrès économique ? J.G. : L’analyse se fait au cas par cas. Le législateur a voulu, tant aujourd’hui qu’en 1986, maintenir la référence au progrès économique, en ajoutant aujourd’hui une référence à l’emploi. Ce sont des concepts assez larges, car il ne faut pas brider l’autorité ministérielle, le contrôle des concentrations devant rester de la compétence du ministre. Une chose est de regarder le bilan concurrentiel d’une opération, une autre est de mesurer les impératifs qui pondèrent la seule analyse concurrentielle. Le pouvoir de décision aux mains du ministre est-il une spécificité française ? J.G. : Non, la décision donnée au pouvoir politique est majoritaire en Europe, à l’exception de l’Allemagne. Pourquoi l’autosaisine du Conseil de la concurrence n’a-t-elle pas été retenue ? J.G. : En France, depuis quinze ans, il y a deux autorités de concurrence : le Conseil de la concurrence, souverain sur les décisions prises en matière de pratiques anticoncurrentielles, et la DGCCRF, qui rend un avis en tant que commissaire du gouvernement. Pour les questions relatives aux concentrations, la problématique est inversée : le pouvoir de décision est laissé au ministre, avec avis systématique du Conseil de la concurrence s’il y a lieu d’attendre la deuxième phase. Il ne faut pas alourdir à l’excès cette procédure : nous avons besoin du Conseil de la concurrence pour nous éclairer lorsque les problèmes sont importants et lorsque nous avons des interrogations sur des segments de marché. L’autosaisine n’apporterait rien de plus dès lors qu’il y a déjà une autorité de la concurrence : la DGCCRF. Il est préférable de jouer au mieux de la complémentarité entre les autorités de la concurrence. La solution trouvée est adaptée à la spécificité du système français. Quand le Conseil de la concurrence rend un avis favorable, arrive-t-il que vous vous y opposiez ? J.G. : Cela arrive quelquefois, mais les parties peuvent contester la décision administrative devant le Conseil d’Etat. Au reste, nous observons davantage de saisines du Conseil d’Etat, comme l’attestent les affaires Coca-Cola/Orangina et Heineken/Fischer. Depuis le 11 septembre, certaines opérations de concentration risquent d’être reportées. Des voix s’élèvent pour préconiser un gel des procédures… J.G. : Les incertitudes pesant sur la croissance économique sont apparues depuis déjà plusieurs mois. Elles freinaient les mouvements de fusion ou d’acquisition. Les conséquences du drame du 11 septembre dernier ne seront perceptibles que l’année prochaine. Les acteurs économiques ne doivent pas s’exonérer, même temporairement, d’un corpus de règles, et nous devons éviter les dérogations.

Anne de Beaumont et Jean Watin-Augouard

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