Bulletins de l'Ilec

Nouvelles régulations économiques : vers la moralisation des pratiques commerciales ? - Numéro 330

01/12/2001

Plus que la concurrence sur un marché, ce sont les partenaires commerciaux que la loi NRE vise et, surtout, les fournisseurs et les distributeurs dont les rapports méritent d​‌’être « moralisés ».

DE LA LOI GALLAND A LA LOI NRE La crise des fruits et légumes de l’été 1999 et les Assises de la distribution du 13 janvier 2000 ont mis en lumière plusieurs pratiques abusives. La loi Galland, signée le 1er juillet 1996, avait déjà pour objectif d’assurer la loyauté et l’équilibre des relations commerciales. Elle y est en partie parvenue, en permettant l’éradication de la revente à perte par exemple. Mais un effet pervers est rapidement apparu : le gonflement des marges arrière par l’intermédiaire de la coopération commerciale. Les âpres négociations entre industriels et commerçants ne portaient plus sur le prix de vente des marchandises, mais sur la rémunération des services spécifiques que le distributeur rend à son fournisseur. Cette coopération, qui à l’origine était marginale, peut, de nos jours, atteindre jusqu’à 35 % et plus du prix de vente du fournisseur (2). Dans son rapport sur l’évolution de la distribution, la commission de la Production et des Echanges de l’Assemblée nationale a identifié plusieurs abus, qui se sont développés avec le mouvement de concentration dans le secteur de la distribution et portent sur le déréférencement, les ruptures de relations commerciales, la dépendance économique ou encore les délais de paiement (3). VERS LA MORALISATION DES PRATIQUES COMMERCIALES ? Afin de mettre un terme aux pratiques commerciales abusives et dans le but affiché de protéger les PME, la loi NRE renforce la réglementation de trois manières. Elle crée un organe paritaire : la Commission des pratiques commerciales. Elle introduit de nouvelles règles de fond. Elle consacre le retour de l’État dans la relation commerciale bilatérale. La composition de la Commission des pratiques commerciales n’est pas encore connue. Elle sera déterminée par un décret d’application, dont la publication est annoncée depuis longtemps déjà pour bientôt. Aux termes de la loi NRE, elle sera composée de deux parlementaires, un pour chaque chambre, de représentants de toute la filière, de l’agriculteur au distributeur, de magistrats et de personnes qualifiées. Outre le ministre de l’Economie, celui du secteur concerné et le président du Conseil de la concurrence, la Commission pourra être saisie par des organisations professionnelles, des associations de consommateurs et par tout producteur, fournisseur ou revendeur qui s’estime lésé par une pratique commerciale. Elle pourra également se saisir d’office. Il est étonnant que les tribunaux, qui sont compétents pour connaître des pratiques restrictives, n’aient pas reçu la faculté de saisine, alors que le Conseil de la concurrence en dispose par l’intermédiaire de son président. La Commission sera chargée de rendre des avis et de formuler des recommandations sur les documents commerciaux et publicitaires, ainsi que sur les pratiques commerciales entre producteurs, fournisseurs et distributeurs. Ses recommandations porteront sur des questions d’ordre général, comme le développement des bonnes pratiques. Quant aux avis, qui vérifieront la conformité au droit de la pratique litigieuse, ils n’auront aucune force obligatoire et ne lieront pas le juge. La refonte de l’article L. 442-6 (4) se traduit par trois modifications : le renforcement des dispositions existantes, l’instauration de nouvelles sanctions et l’accroissement des pouvoirs de l’administration. La loi NRE introduit à l’article L. 442-6-I un alinéa 2 qui, dans son point a, précise la définition des pratiques discriminatoires : est désormais prohibé le fait d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage qui ne correspond à aucun service rendu, ou est disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Sont visées par ce texte la coopération commerciale fictive ou abusive et les « corbeilles de la mariée », exigées à l’occasion de la fusion de deux distributeurs. Le point b du même alinéa permet aux opérateurs victimes d’abus de dépendance économique ou de puissance d’achat de saisir le juge, afin d’obtenir la réparation du préjudice occasionné par ces pratiques, sans avoir à prouver une atteinte au marché, autrefois requise par l’article L. 420-2, al. 2. Ce texte, qu’il reviendra au juge d’interpréter (5), vise tant la dépendance du fournisseur que celle du distributeur. La rupture brutale des relations commerciales était déjà prohibée par l’article 36-5 de l’ordonnance de 1986. Son régime est néanmoins modifié de deux manières : le délai minimal de préavis en cas de rupture de relations commerciales préétablies pourra être défini par des accords interprofessionnels ou, à défaut, par arrêté, et la durée de ce préavis est doublée pour les produits vendus sous MDD, afin de permettre aux entreprises de disposer du temps nécessaire pour se reconvertir et trouver de nouveaux débouchés. Enfin, la loi NRE introduit des cas de nullité de plein droit pour trois types de pratiques abusives : les remises ou accords de coopération rétroactifs, les clauses de droit d’accès au référencement et celles qui prohibent la cession de créances à des tiers. Le nouveau régime applicable aux pratiques restrictives est assorti d’un renforcement des pouvoirs du ministre. La jurisprudence lui avait à plusieurs reprises (6) refusé la possibilité de se substituer aux parties pour demander l’annulation du contrat litigieux et obtenir des dommages-intérêts en faveur de la victime des pratiques abusives : il ne pouvait qu’agir en cessation. La loi NRE renverse cette jurisprudence et reconnaît explicitement le droit pour le ministre de l’Economie de demander la nullité des clauses ou des contrats illicites, la répétition de l’indu et la réparation des dommages subis. Elle va même plus loin, en autorisant le ministre ou le parquet à demander le prononcé d’une amende civile, qui peut atteindre 2 millions d’euros. Si d’aucuns se sont offusqués de dispositions qui mettent à mal le principe « nul ne plaide par procureur », force est de constater que le législateur a entendu les doléances de nombre de fabricants qui, victimes de pratiques abusives, n’osaient porter leur litige devant les tribunaux, par peur de représailles. Espérons que le ministre fera de même. LACUNES ET EFFETS PERVERS DES NOUVELLES REGLES A peine la loi NRE promulguée, des articles de doctrine se sont multipliés, faisant état de l’imperfection des nouvelles dispositions (7). Comme avec toute loi, des tentatives de contournement sont à attendre, mais il est vrai que la rédaction de la partie concurrence du Code de commerce autorise en elle-même quelques interrogations. En premier lieu, les nouvelles règles semblent s’attaquer aux conséquences des dérives et non à leurs causes. Ainsi, ni le législateur ni, apparemment, les personnes interrogées n’ont fait remarquer que la puissance de la distribution est liée à la pénurie du linéaire, engendrée par les concentrations importantes qui ont touché le secteur dans les années 1996 à 1999, mais aussi par le gel de l’ouverture des grandes surfaces instauré par les lois Royer et Raffarin. L’idée que le linéaire constitue une facilité essentielle, à l’instar de ce qui se passe dans les industries de réseau, a fait son chemin8. Pourtant, le législateur ne s’est nullement préoccupé de cette question. En deuxième lieu, l’imprécision des termes employés par la loi NRE, à propos des pratiques discriminatoires et de l’abus de dépendance ou de puissance d’achat, laissera beaucoup de latitude au juge pour en interpréter les dispositions. Le tribunal de commerce de Nanterre a ainsi jugé, le 20 septembre dernier, que si les dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce prévoient, parmi les sanctions, la nullité du contrat, celle-ci ne peut être demandée que par le ministre et non par une partie à la convention. Ce faisant, il a réécrit une disposition qui semblait pourtant dénuée d’ambiguïté. On est d’autant plus en droit de s’inquiéter, pour la sécurité juridique des opérateurs commerciaux, de l’interprétation de dispositions équivoques. Alors que les nouvelles règles visent à protéger les PME, au moyen du doublement des préavis de rupture commerciale au bénéfice des fabricants de MDD, il y a fort à parier que les distributeurs aggraveront la précarité des contrats, en particulier par la signature de conventions à durée déterminée qui leur permettront de ne pas pérenniser leurs relations commerciales, tout en restant dans la légalité. Enfin, puisqu’il est évident que les entreprises n’assigneront pas leurs partenaires, par crainte de représailles, la mise en œuvre des nouvelles règles dépendra essentiellement de la volonté de l’État de les faire respecter, qu’il s’agisse de l’action prévue à l’article L. 442-6 ou de la saisine de la Commission des pratiques commerciales. Si le nouveau droit des pratiques restrictives introduit par la loi NRE est bienvenu, la question de sa mise en œuvre demeure entière. Seul le temps permettra de juger de l’efficacité de l’intention législative. (1)Philippe Marini, Rapport sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, Sénat, 4 octobre 2000, p. 195. (2)Jean-Yves Le Déaut, Rapport sur l’évolution de la distribution, commission de la Production et des Echanges de l’Assemblée nationale, 11 janvier 2000. (3) Nous n’aborderons pas la question de la transposition de certaines dispositions de la directive du 20 juin 2000 sur les délais de paiement. Les problèmes fiscaux qu’elle soulève pourraient à eux seuls faire l’objet d’un article. (4) Ex-article 36 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. (5) Peut-être à la lumière des décisions des autorités européennes : ainsi, Bruxelles a estimé, dans sa décision Carrefour-Promodès du 25 janvier dernier, qu’un fournisseur qui réalise plus de 22 % de son chiffre d’affaires avec un seul distributeur est en situation de dépendance économique. (6) Paris, 9 juin 1998, confirmée par Cass. com. 5 décembre 2000 (ITM c/ ministre de l’Economie), et Versailles, 21 décembre 2000 (Auchan c/ ministre de l’Economie). (7) Cf., par exemple, Philippe Marini, « La loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques : un texte qui reste à parfaire », Les Petites Affiches, n°198, 4 oct. 2001, p. 4. (8) Cf. Jean-Paul Tran Thiet, « Linéaires et réseaux, des ressources rares », le Bulletin de l’Ilec n°309, janvier 2000.

Vogel & Vogel, avec la collaboration d​‌’Anne de Beaumont

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