Agir sur la source et non sur l’outil - Numéro 341
01/02/2003
Quelles sont les causes de la croissance des transports ? Dominique Bourg : Nous sommes confrontés à un faisceau de causes. L’une des plus évidentes est le coût relativement modeste des transports de marchandises. Cause plus profonde : notre société, caractérisée par de plus en plus de contacts virtuels (internet), n’en voit pas pour autant reculer les relations en présence. Exemple probant : le commerce électronique se traduit par des transports physiques accrus. Avec l’augmentation de la vitesse, la croissance des échanges tous azimuts est une des deux tendances lourdes de nos sociétés. Quels sont ses effets négatifs ? D. B. : Le premier tient à l’augmentation des gaz à effet de serre. La part du CO2 revenant aux transports, dans les pays industriels, va passer de 30 à 40 % dans une dizaine d’années. C’est le levier sur lequel il faut agir, dès aujourd’hui, car il est le seul à pouvoir donner des résultats positifs immédiats. Au nombre des autres effets négatifs citons l’effet sanitaire et la pollution des villes – malgré les efforts accomplis pour rendre les moteurs propres –, les conséquences sur la biodiversité, la pollution sonore. Le découplage, préconisé par la Commission européenne, est-il souhaitable ? D. B. : La déconnexion des flux de matière, des flux d’énergie et des flux financiers est certes souhaitable, mais sa mise en œuvre relève du parcours du combattant. L’économie de fonctionnalité n’est pas un problème de technique mais de gestion, et au-delà d’acceptabilité sociale : les produits ne doivent plus être vendus mais loués. Or une part importante du transport est due au fait que l’on vende des objets et non des services. Au service vendu devrait correspondre un objet loué, conçu de telle sorte qu’il dure le plus longtemps possible et exige le moins de maintenance possible. Les flux financiers pourraient alors continuer de croître, alors que les flux de matière et d’énergie, et partant les transports, diminueraient. Doit-on tendre vers une dématérialisation de l’économie ? D. B. : Le seul moyen de découpler ne réside pas en aval (les transports) mais en amont. L’écologie industrielle, peut, elle aussi, servir de levier technique pour réduire la croissance des transports. A l’aval, le seul levier efficace est la politique des prix, à travers les taxes. Est-il possible d’attribuer des valeurs monétaires aux dommages et aux nuisances de pollution ? Comment « réinternaliser » les coûts ? D. B. : De fait, les coûts externes dus au transport s’élevaient, en France, il y a une dizaine d’années, à 20 milliards de francs. La TIPP n’a aucune justification et aucune transparence par rapport à ce problème. Il est impératif que les instruments fiscaux aient des visées pédagogiques et comportementales claires. Que peut-on attendre des transports « intelligents » ? D. B. : Si un pays comme la Hollande est, aujourd’hui, très en avance dans les applications des nouvelles techniques de l’information et de la communication au domaine des transports, il ne faut pas pour autant se faire d’illusions. Le progrès technique sera toujours dépassé par la croissance des flux si aucune action n’est entreprise en amont du système. Le modèle américain peut-il être une référence pertinente pour une répartition modale radicalement modifiée ? D. B. : Le trafic marchandises nord-américain recourt beaucoup plus au train que son homologue européen. Cela tient pour une part à la géographie, mais également à la quasi-inexistence du trafic ferroviaire voyageurs. En contrepartie, les Américains utilisent plus l’avion que les Européens pour les dessertes domestiques. Quoi qu’il en soit, nous manquons en la matière d’une volonté politique forte. Comment concilier la liberté de circuler (choix micro-économique) et la prise en compte des enjeux collectifs ? D. B. : Il y a effectivement contradiction entre deux intérêts légitimes : la réduction des émissions de gaz à effet de serre imputables aux transports, et l’enrichissement mutuel des peuples produit par la démocratisation de la mobilité que nous connaissons. Cela implique un changement de comportement du consommateur final… D. B. : Il est difficile de savoir tout ce que cela peut impliquer. L’économie de fonctionnalité mettrait par exemple en question le caractère absolu de la propriété. D’un autre côté, elle susciterait une extension de la sphère marchande et poserait problème pour les plus pauvres. Il convient donc de lancer une vaste réflexion, appuyée sur un programme de recherches.
Jean Watin-Augouard