La phénoménologie de la marque comme représentation du sacré / L’espace et le temps - Numéro 344
01/06/2003
Le territoire de la marque est un classique du genre. Il faut d’abord l’investir, puis l’occuper, puis l’étendre. Biblique simplicité ! Yahvé provoque la fuite du peuple élu depuis l’Égypte jusqu’à la terre promise. Il soutient ses fidèles contre les Philistins ou les Amalécites. Il est avec son peuple en son pays. En son territoire. Avec le christianisme, la question est reprise à nouveaux frais. La Pentecôte abolit la malédiction de Babel. La promesse vaut pour toutes les nations, ce dont saint Paul tirera la conclusion radicale dans un texte qui demeure radicalement révolutionnaire (Col. III, 5) : « Vous avez revêtu l’homme neuf, qui se renouvelle en vue de la connaissance, à l’image de Celui qui l’a créé. Là il n’y a plus de Grec ou de Juif, de Circoncis ou d’Incirconcis, de Barbare, de Scythe, d’esclave, d’homme libre, mais Christ, qui est tout en tout. » Saint Paul avait inventé, avec deux mille ans d’avance, l’étirement de la marque aux dimensions du monde. Il prophétisait que « tout est en tout », quand l’hypermarché offre « tout sous un même toit ». Faut-il s’étonner que le groupe de Gérard Mulliez ait soutenu les Journées mondiales de la jeunesse, lorsqu’elles prirent place en France, mettant au supplice l’incrédulité médiatique ? Plus encore que la marque, le religieux scande le temps. Le musulman prie cinq fois par jour. Le moine huit fois. Les sacrements marquent les époques de la vie, du baptême à l’extrême-onction. Dans le rite syriaque, il existe huit cents mélopées qui expriment le temps vécu. La mercatique générationnelle colle au cycle de l’existence, quand le Christ avait dit : « Laissez venir à moi les petits enfants. » Mais à la fin des fins, la seule question qui vaille est celle de la vie et de la mort. Dans la tradition juive, les saducéens qui ne croyaient pas à l’immortalité de l’âme s’opposaient aux pharisiens qui la tenaient pour avérée. Le Christ, après avoir réveillé Lazare, trancha la question par sa mort et la résurrection. Saint Paul se chargea du reste. La marque n’a d’autre idée que de conjurer la fuite du temps. À mesure que vieillit la population, elle s’applique à promettre l’équilibre, voire la santé ou l’éternelle jeunesse, quitte à demeurer, à cet égard, dans le cosmétique. Deux marques se sont fait connaître au monde pour offrir le parfum, pourtant sulfureux, de l’éternité. L’une relève de l’artifice (Viagra), l’autre du crime contre l’idée de l’homme (Raéliens). Comme quoi, contre la marque aussi, Bélial, autrement connu comme Belzébuth, Satan ou Mammon, est toujours à l’affût.