Le droit des relations commerciales en Espagne - Numéro 347
01/10/2003
La transparence des relations commerciales
La notion de transparence des relations commerciales comprend l’idée que les partenaires économiques, producteurs et distributeurs pour l’essentiel, doivent pouvoir négocier en toute connaissance de cause. Il est nécessaire à l’acheteur de connaître les conditions de vente pratiquées par son fournisseur, par exemple les prix auxquels sont vendus les marchandises ou les services, les modalités de livraison ou encore les conditions de règlement. Il n’existe pas, en Espagne, de dispositions similaires à celles de l’article L. 441-6 du Code de commerce français, relatif aux conditions de vente, ou de l’article L. 442-3 qui pose l’obligation de facturation. En effet, la liberté contractuelle est un principe fondamental du droit privé en Espagne. Elle découle du principe d’autonomie de la volonté ainsi que du droit de la personne au libre développement de sa personnalité, qui est inscrit à l’article 10 de la Constitution espagnole. C’est pourquoi l’article 1255 du Code civil espagnol dispose que les parties peuvent stipuler dans leur contrat tous les pactes, clauses ou conditions à leur convenance, sous réserve de ne pas enfreindre la loi ou porter atteinte à la morale ou à l’ordre public. En outre, le Code civil considère qu’il existe un contrat dès l’instant où une ou plusieurs personnes consentent à s’obliger (article 1254) et que les contrats se concluent par le simple échange des consentements (article 1258). Quelques lois, tout en respectant ce principe de la liberté contractuelle, traitent cependant de la facturation, des conditions générales ou encore des délais de paiement.
La facturation et les conditions générales de vente
Les conditions de facturation sont abordées par le décret royal n° 2401/1985 du 18 décembre 1985. Ce texte pose l’obligation de facturation aux fins de la taxation de la valeur ajoutée et indique les mentions qui doivent nécessairement figurer sur la facture : le nom ou la raison sociale, le numéro d’identification fiscale et l’adresse des parties ; la description de l’opération et de sa contrepartie totale ; le lieu et la date de délivrance de la facture. La référence aux conditions générales des contrats se retrouve dans la loi n° 7/1998 du 13 avril 1998 (5). Cette loi, qui transpose, en droit espagnol, la directive communautaire n° 93/13/CEE du 5 avril 1993 sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (6), traite également des conditions générales de contrats conclus entre professionnels. Aux termes de ce texte, sont des conditions générales les clauses préétablies et introduites dans une pluralité de contrats par l’une des parties. Ces clauses, quelle que soit la qualité du cocontractant, ne doivent pas être abusives. L’exposé des motifs de la loi pose comme principe que « la protection de l’égalité des parties est nécessaire à la justice des contenus contractuels » et « constitue un impératif de la politique juridique dans le domaine de l’activité économique ». Confronté au principe de la liberté contractuelle, le législateur a donné une indication très vague du contenu des conditions générales : elles doivent être incluses dans le contrat, être connues (ou bien, dans le cas de contrats non écrits, il doit être possible de les connaître), et elles doivent être rédigées de manière transparente, avec clarté, concision et dans un langage simple. Il résulte de ce texte que les conditions générales des contrats entre professionnels ne doivent pas être abusives. Par ailleurs, la loi n° 7/1998 n’oblige nullement les cocontractants à communiquer leurs conditions générales.
Les délais de paiement
Le Code de commerce organise en France les conditions de vente entre les parties : l’article L. 442-6 condamne, entre autres, la discrimination dans les délais de paiement et l’abus dans les conditions de règlement ; l’article L. 441-3 confie au vendeur le soin de fixer le délai de paiement qui, en absence de mention sur la facture ou de convention entre les parties, ne peut excéder trente jours en application de l’article L. 441-6. En Espagne, les conditions de règlement sont régies par la loi n° 7/1996 du 15 janvier 1996 relative à la protection du commerce de détail (7). La loi n° 7/1996 précise, dans son article 17, que les délais de paiement contractuels ne peuvent excéder trente jours pour les produits périssables. Pour les autres marchandises, la durée du délai de paiement est laissée à l’appréciation des parties, mais, lorsque cette durée dépasse soixante jours à compter de la date de remise et de réception des marchandises, « le paiement doit être consigné dans un document contenant une action cambiaire faisant mention expresse de la date de paiement indiquée dans la facture ». Lorsque le délai contractuel est supérieur à quatre-vingt-dix jours, ledit document sera endossable à l’ordre. Les délais de paiement supérieurs à cent vingt jours, peuvent être garantis à la demande du vendeur, par un aval bancaire, une assurance-crédit ou une caution. Le non-respect de ces dispositions est considéré comme une infraction grave, aux termes de l’article 65 de cette loi (cf. infra). Enfin, comme en France, tout retard de paiement peut donner lieu au règlement d’intérêts de retard fixés par la loi : ils ne peuvent être inférieurs à une fois et demie l’intérêt légal (article 17.5). Un projet de loi destiné à transposer en droit espagnol la directive n° 2000/35/CE (8) a été présenté par le gouvernement à la chambre des députés (9). Contrairement à la loi de 1996, il s’appliquera à toutes les transactions commerciales et pas uniquement au commerce de détail. Les délais de règlement, conformément aux exigences de la directive transposée (10), seront fixés à trente jours (article 5 du projet). Les intérêts seront exigibles dès le premier jour de retard de paiement. Leur taux correspondra au taux fixé par le contrat ou, à défaut, au taux légal de la principale facilité de refinancement appliquée par la BCE à son opération de refinancement la plus récente, majoré de sept points (11). Le projet de loi prévoit que le créancier pourra demander un dédommagement raisonnable pour tous les frais de recouvrement engagés à la suite d’un retard de paiement du débiteur (12). Contrairement à la directive qu’il transpose, le projet édicte des dispositions relatives aux clauses abusives : les clauses qui dérogeront aux obligations légales relatives à la durée du délai de paiement et au taux des intérêts de retard seront nulles lorsqu’elles présenteront un caractère abusif préjudiciable au créancier. Pour apprécier le caractère abusif de la clause, il sera tenu compte de la nature du produit ou service, des garanties fournies par le débiteur et des usages commerciaux, ainsi que des raisons objectives qu’a le débiteur de s’écarter des règles fixées par le législateur. L’article 9 du projet de loi précise que les conditions générales contenant de telles clauses seront également nulles. Le projet de loi résout enfin la question de l’application concurrente de ses dispositions avec celles de la loi n° 7/1996 dans son article additionnel : dans les affaires régies par les deux lois, il faudra appliquer en premier lieu l’article 17 de la loi de 1996, les dispositions de la loi sur les délais de paiement ayant un caractère supplétif. Un amendement a déjà été présenté, visant à octroyer aux associations professionnelles la légitimation active (13) pour les actions en nullité ou en cessation des pratiques accompagnées de délais abusifs.
La loyauté des relations commerciales
La loi sur la défense de la concurrence 16/1989 du 17 juillet 1989 (14), à l’instar du Code de commerce français, prohibe les comportements portant sur les prix à l’occasion d’ententes anticoncurrentielles et d’abus de position dominante sur le marché espagnol (15), et les actes de concurrence déloyale qui en découlent (16). Deux autres textes régissent la loyauté des relations commerciales en Espagne : la loi n° 3/1991 du 10 janvier 1991 sur la concurrence déloyale (17) et la loi n° 7/1996. Selon le préambule de la loi n° 3/1991, qui regrette cet état de fait, le législateur espagnol a été traditionnellement absent dans le domaine de la concurrence déloyale. L’adoption de la loi n° 32/1988 du 10 novembre 1988 sur les marques et celle de la loi n° 34/1988 du 11 novembre 1988 sur la publicité avaient contribué à donner corps à une matière jusqu’alors fragmentée, mais celle-ci s’est rapidement révélée désuète et dépourvue de force dans les faits. La loi n° 3/1991 a donc complété le mouvement de réformes, en réglementant l’ensemble des pratiques commerciales et en protégeant la libre concurrence dans l’intérêt de tous les acteurs de la vie économique. L’article 2 de cette loi dispose que sont considérés comme actes de concurrence déloyale les comportements déloyaux mis en œuvre sur le marché à des fins concurrentielles. L’article 5 précise qu’est considéré comme déloyal tout comportement objectivement contraire aux principes de bonne foi. Parmi les pratiques condamnées par ce texte figurent la vente et la revente à perte. La vente à perte est prohibée lorsqu’elle est susceptible d’induire en erreur sur le niveau de prix des autres produits commercialisés et lorsqu’elle vise à discréditer ou à éliminer la concurrence (article 17). La rédaction de cet article est suffisamment large pour viser à la fois la vente à perte, la revente à perte, mais aussi les prix prédateurs et les prix abusivement bas. Mais la loi prohibe ces pratiques uniquement lorsqu’elles sont déloyales.
La loi sur la protection du commerce de détail
A ce texte s’ajoutent les dispositions spécifiques de la loi n° 7/1996 sur le commerce de détail. Là encore, la lecture du préambule donne des indications sur les intentions du législateur espagnol. Les objectifs de la loi sont multiples : elle ne prétend pas uniquement établir des règles du jeu dans le secteur de la distribution et régir de nouvelles formules contractuelles. Elle vise également à la modernisation des structures commerciales espagnoles, en contribuant à corriger les déséquilibres entre les grandes et les petites entreprises et, surtout, à maintenir la concurrence libre et loyale : « Il est inutile de rappeler que les effets les plus immédiats et tangibles d’une situation de concurrence libre et loyale se matérialisent dans l’amélioration continue des prix, de la qualité et des autres conditions de l’offre et du service offert au public, ce qui représente, en définitive, l’action la plus efficace au profit des consommateurs. » Dans cet esprit, le titre premier, chapitre III, de la loi n° 7/1996 établit, dans son article 14(18), l’interdiction de principe de la vente à perte : « 1. Nonobstant ce qui est indiqué dans l’article précédent [sur la libre détermination des prix], il sera interdit d’offrir ou d’effectuer des ventes au public à perte, à l’exception des cas prévus dans les chapitres IV et V du titre II de cette loi, à moins que celui qui le fasse cherche à atteindre des prix d’un ou de plusieurs concurrents ayant la capacité suffisante d’affecter de façon significative ses ventes ou qu’il s’agisse d’articles périssables arrivant aux dates proches de leur péremption. (…) 2. Aux effets indiqués dans le point précédent, on estime qu’il y aura vente à perte lorsque le prix appliqué à un produit est inférieur à celui de l’acquisition selon la facture, déduction faite de la partie proportionnelle des remises y figurant, ou au prix de remplacement si celui-ci est inférieur au premier cité, ou au coût réel de production si l’article a été fabriqué par le commerçant lui-même, majorés des parts des impôts directs grevant l’opération. 3. On ne tiendra pas compte, aux effets de la déduction dans le prix visé au paragraphe précédent, des rémunérations ou bonifications, quel que soit leur type, qui représenteraient une compensation pour les services rendus. 4. Les offres conjointes ou les cadeaux offerts aux acheteurs ne devront en aucun cas être utilisés pour éviter l’application des dispositions figurant dans cet article. » Comme en droit français (19), certaines ventes sont expressément exclues du champ d’application de cet article : il s’agit des ventes de produits détériorés, défectueux, démodés ou obsolètes, et des ventes à perte de denrées périssables, ainsi que des ventes liquidatives, c’est-à-dire des ventes ordonnées par décision de justice ou administrative (cf. chapitres IV et V du titre II de la loi). L’article 14 exclut enfin de la prohibition l’hypothèse de l’alignement sur les prix d’un concurrent qui a la capacité d’affecter de manière significative les ventes de l’auteur de la vente à perte (20). Enfin, l’article 14 prohibe bien la revente à perte, puisqu’il vise les ventes faites au public. Il précise le prix de référence à retenir pour le calcul du seuil de vente à perte : il s’agit du prix qui figure sur la facture, déduction faite des remises21. Les sommes versées au titre de la coopération commerciale ne peuvent être intégrées au prix figurant sur la facture afin d’abaisser le seuil de revente à perte (article 14(3)).
Des difficultés d’application
Le problème est que les lois n°3/1991, sur la concurrence déloyale, et n° 7/1996, sur le commerce de détail, ne donnent pas la même définition de la vente (ou revente) à perte. Dès lors se pose la question de la sécurité juridique des entreprises, qui, selon leur position dans la chaîne de production, risquent de voir un même comportement sanctionné au titre de l’une de ces lois, des deux ou pas du tout. Les autorités ont résolu ce problème de manière singulière : la loi n° 3/1991 n’a donné lieu à aucune jurisprudence. En revanche, les distributeurs ont, à plusieurs reprises, été condamnés à des amendes au titre de l’article 14 de la loi n° 7/1996 (22). Les autorités compétentes et les sanctions sont bien différentes selon la loi appliquée. Dans le cadre de l’article 18 de la loi sur la concurrence déloyale, une action en justice peut être intentée par la victime. Cette dernière peut demander la cessation ou l’interdiction de l’infraction, la suppression des effets de l’acte déloyal, la rectification des informations trompeuses ou fausses, et bien sûr la condamnation du coupable d’actes déloyaux au paiement de dommages-intérêts. Sous l’empire de la loi n° 7/1996, c’est surtout le portefeuille de l’auteur de l’infraction qui est visé. La vente et la revente à perte sont considérées par l’article 65 comme des « infractions graves », la récidive entraînant la qualification d’« infraction très grave » (23). Par ailleurs, des pratiques relatives aux prix, prohibées par la loi n° 16/1989 au titre de la prohibition des ententes ou des abus de position dominante (24), ont également été sanctionnées par les tribunaux espagnols. Une entreprise en position dominante a ainsi été condamnée à une amende de 580 millions de pesetas par le Tribunal de défense de la concurrence, pour s’être rendue coupable de prix prédateurs, prohibés par l’article 6, 2), a) de la loi de 1989 (25). Enfin, l’Espagne étant constituée de régions autonomes, des législations spécifiques, inspirées du droit national, peuvent coexister avec celui-ci. Ainsi, l’article 40 de la loi n° 16/1999 du 29 avril 1999, relative au commerce intérieur de la communauté de Madrid (BOCM n° 115 du 18 mai 1999), prohibe la vente et la revente à perte en se référant expressément à l’article 14 de la loi n° 7/1996.