Bulletins de l'Ilec

Le droit de la concurrence en Grande-Bretagne / Alignement sur le droit européen - Numéro 350

01/02/2004

Par le cabinet Vogel & Vogel avec la collaboration d’Anne de Beaumont

LES PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES La prohibition des ententes. Avant 1998, les accords entre entreprises étaient jugés en fonction de leur forme et non, comme c’est désormais le cas, selon leurs effets sur le marché. Sous l’ancien régime, il était ainsi possible de réécrire un accord afin de contourner la prohibition. Désormais, le chapitre I du Competition Act (“Prohibition”) interdit les accords entre entreprises, les décisions d’associations et les pratiques concertées susceptibles d’affecter le commerce et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au Royaume-Uni, ou dans une partie substantielle de celui-ci. Les prix imposés, les partages de marché et les trucages d’offres publiques sont particulièrement visés par cette prohibition, qui s’applique aux accords tant verticaux qu’horizontaux. L’exclusion de certains accords. Aux termes des lignes directrices publiées par l’Office of Fair Trading (OFT), celui-ci n’interdira pas les accords lorsque la part de marché combinée des entreprises concernées n’excède pas 25 % . Cette politique ne s’applique cependant pas aux accords sur les prix ou sur les partages de marché, ni en cas d’effet cumulatif anticoncurrentiel. Si ce seuil est dépassé, l’OFT peut encore, au terme d’une analyse au cas par cas, accepter l’opération. Les exemptions individuelles et collectives. Comme en droit européen, les accords peuvent être exemptés lorsque, en dépit de leurs effets anticoncurrentiels, ils présentent certains avantages pour la concurrence. Une exemption individuelle peut être prononcée par l’OFT, après notification d’un accord. Le Competition Act permet également au secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie (DTI) d’édicter une ordonnance d’exemption par catégories, à l’instar des règlements communautaires. Afin d’assurer la complémentarité des droits britannique et européen, un troisième type d’exonération existe : l’exemption parallèle. Dès lors qu’un accord bénéficie d’une exemption sur le plan communautaire, la prohibition du chapitre I ne s’applique pas. Selon la section 9 du Competition Act, qui reprend les conditions énumérées à l’article 81§3 du traité CE, un accord peut bénéficier de l’exemption s’il améliore la production ou la distribution de biens ou de services ou s’il promeut le progrès technique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. En outre, il ne doit pas imposer aux entreprises des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, ni donner aux signataires la possibilité d’éliminer la concurrence. L​‌’ABUS DE POSITION DOMINANTE La prohibition du chapitre II, calquée sur celle de l’article 82 du traité CE, interdit l’exploitation abusive d’une position dominante et non la détention d’une telle position. Contrairement aux droits français et allemand, il n’existe aucune disposition sur l’abus de dépendance économique. Les critères pour déterminer le pouvoir de marché et l’existence d’une position dominante sont les mêmes qu’en droit européen. Pareillement, les prix prédateurs, les conditions discriminatoires ou déloyales constituent un abus. Les lignes directrices publiées par l’OFT citent d’ailleurs l’affaire United Brands c. Commission européenne de 1978 : une entreprise est en position dominante lorsqu’elle se comporte de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs sur un marché. Elle est présumée en position dominante lorsque sa part de marché atteint 40 % . Les exclusions et exemptions. S’il n’existe aucune possibilité d’exemption, les lignes directrices de l’OFT indiquent néanmoins qu’un comportement qui s’est vu accorder une exemption individuelle, au niveau domestique ou européen, ne peut faire l’objet d’une action au titre de la prohibition de l’abus de position dominante en l’absence de circonstances nouvelles. Cette exception ne s’applique pas aux exemptions par catégories. Les situations de monopole du FTA 1973. Avant la réforme opérée par l’Enterprise Act, certaines situations de monopole - monopoles d’échelle et monopoles complexes -, relevaient du FTA. La réforme de 2002 a abrogé les dispositions du FTA relatives aux monopoles et a instauré l’obligation de notification de ces derniers à la Commission de la concurrence. Les pratiques restrictives de concurrence. Les pratiques de prix abusivement bas ou prédateurs ne sont pas interdites en tant que telles. Cependant, elles peuvent constituer un abus répréhensible lorsqu’elles sont le fait d’une ou de plusieurs entreprises en position dominante et qu’elles visent à exclure un concurrent du marché. LES CONCENTRATIONS Le droit applicable au contrôle des concentrations a été substantiellement affecté par la réforme de 2002, qui a abrogé la majeure partie des dispositions du FTA jusqu’alors applicables. Le Contrôle des concentrations. Excepté certains cas précisés par la loi (presse écrite, distribution d’eau), la notification d’une opération de concentration n’est pas obligatoire. Pour qu’une concentration tombe sous le coup de la procédure de contrôle, il faut que deux entreprises ou plus cessent d’être distinctes, que l’opération ne soit pas encore effective ou qu’elle ait eu lieu moins de quatre mois avant la notification ou encore qu’elle ait été mise en œuvre sans publicité et sans que l’OFT en ait été informé. Les seuils de contrôle alternatifs, exprimés en parts de marché et en valeurs d’actifs n’ont pas été modifiés par l’Enterprise Act : une concentration sera soumise au contrôle si la part de marché de la nouvelle entité atteint au moins 25 % des ventes ou achats des biens ou services en cause. Si ce chiffre était déjà atteint avant l’opération, sa simple augmentation suffit à déclencher la procédure. Une concentration dont le montant des actifs acquis dépasse 70 millions de livres fera également l’objet d’un contrôle. Aux termes de l’Enterprise Act, une fusion doit être prohibée ou son autorisation soumise à des engagements si elle entraîne une diminution substantielle de la concurrence sur le marché. Il reviendra à l’autorité de contrôle (la Commission de la concurrence) d’analyser le marché pertinent, de constater l’existence de barrières à l’entrée ou d’une puissance d’achat et d’évaluer les parts de marché des parties. LA MISE EN OEUVRE DU DROIT DE LA CONCURRENCE BRITANNIQUE Les autorités chargées de l’application du droit. Plusieurs organes sont susceptibles de faire respecter les règles de concurrence britanniques. Il s’agit, en premier lieu, des autorités de concurrence : l’OFT, la Commission de la concurrence et le DTI. Les autorités de régulation sectorielles et les tribunaux peuvent également intervenir. Par ailleurs, l’Enterprise Act a mis en place le Tribunal d’appel de la concurrence en remplacement du tribunal d’appel de la Commission. L’Office of Fair Trading (OFT) peut se saisir d’office ou sur le fondement de plaintes, et reçoit les notifications d’accords entre entreprises. Il peut décider de l’application du droit de la concurrence à une affaire et de l’opportunité d’accorder une exemption. Il peut prononcer des sanctions, allant de l’adoption de mesures conservatoires à l’imposition de sanctions pécuniaires. Il est également chargé du contrôle des concentrations concurremment avec la Commission de la concurrence. La Commission de la concurrence (Competition Commission), nouvel organe administratif, a été mis en place en 1998 pour remplacer la Commission des monopoles et des fusions (Monopolies and Mergers Commission). Avant la réforme de 2002, la Commission servait de cour d’appel pour les questions de concurrence. Elle est désormais chargée de conduire les enquêtes dans ce domaine. Elle ne peut cependant déclencher la procédure d’office, mais doit être saisie par une autre autorité, l’OFT dans la plupart des cas. Le Tribunal d’appel de la concurrence (Competition Appeal Tribunal ou CAT), créé le 1er avril 2003, est chargé de connaître les appels interjetés à l’encontre des décisions de l’OFT ou des autorités de régulation sectorielles. Il est également compétent pour connaître les actions en dommages-intérêt introduites par les particuliers ou les associations de consommateurs pour violation du droit de la concurrence. Le secrétaire d’État au Commerce et à l’Industrie (DTI) est chargé, sous le contrôle du Parlement dans certains cas, de se prononcer sur la validité de certaines opérations de concentration, en particulier dans le secteur de la presse écrite ou lorsque l’intérêt général est en cause. Les autorités de régulation sectorielles partagent certaines compétences avec l’OFT pour les secteurs des télécommunications, du gaz et de l’électricité, de l’eau et du rail. Les tribunaux : les décisions du Tribunal d’appel de la concurrence sont susceptibles d’un recours sur les points de droit et le niveau des sanctions pécuniaires devant la cour d’appel, puis la Chambre des lords. Les tribunaux doivent être saisis, lorsque des sanctions pénales sont envisagées. Selon la procédure choisie, un jury sera ou non convoqué. Des poursuites pénales, à l’initiative des particuliers, ne peuvent cependant être intentées qu’avec l’accord de l’OFT. LA PROCEDURE En matière de pratiques anticoncurrentielles, le Competition Act confère à l’OFT des pouvoirs d’enquête lui permettant de déterminer si une infraction a été commise. Il peut demander la communication de documents, se rendre sur les lieux sans mandat et effectuer une perquisition sur décision judiciaire. L’OFT ne peut pas lancer d’enquête s’il ne dispose pas de justifications raisonnables de suspecter une infraction. Par « justifications raisonnables », il faut entendre, par exemple, des copies d’accords secrets fournis par le membre d’une entente, des plaintes ou le témoignage d’employés. Les parties à un accord ne sont pas obligées de le notifier. Cependant, une exemption individuelle ne peut être accordée qu’après notification, laquelle permet en outre d’échapper à la condamnation à des sanctions pécuniaires. L’Enterprise Act a mis en place une nouvelle procédure au bénéfice des organisations de consommateurs reconnues : les « super-plaintes ». Lorsque les droits des consommateurs risquent d’être mis à mal par certaines pratiques sur le marché, ces organismes, dont la liste sera établie par le DTI, pourront saisir l’OFT. Enfin, des enquêtes relatives à la structure du marché, et non au seul comportement individuel de certaines entreprises, peuvent être réalisées par la Commission à la demande de l’OFT. En matière de concentrations, la notification préalable d’une opération de concentration n’est, en général, pas obligatoire, sauf dans le secteur de la presse écrite. Il existe deux types de notifications : la notification volontaire, à l’initiative des parties, pour laquelle la procédure de contrôle n’excède pas quarante-cinq jours, et la notification volontaire légale, pour les concentrations qui n’ont pas encore été réalisées, qui doit donner lieu à une décision dans les vingt jours. L’OFT est l’organe principal d’examen des concentrations. Il délègue cependant, lors de l’examen approfondi d’une opération, ses pouvoirs d’enquête à la Commission de la concurrence. Cette dernière peut également être saisie par le DTI dans les affaires mettant en cause l’intérêt général. A cette fin, la détermination du marché affecté est cruciale. Comme dans la plupart des législations dans le monde, le marché pertinent est défini en fonction des produits ou services concernés, et selon une zone géographique. Les effets horizontaux et verticaux de l’opération, ses conséquences pour l’accès au marché de concurrents et la protection de l’intérêt général sont pris en compte. Les parties peuvent proposer des engagements destinés à remédier aux effets anticoncurrentiels de la concentration. Enfin, en application de l’Enterprise Act, le respect de certains engagements permet d’échapper à la saisine de la Commission de la concurrence pour enquête approfondie. Ces engagements, destinés à remédier aux effets négatifs d’une concentration, sont proposés à l’OFT, qui engage une procédure de consultation auprès des tiers avant de les accepter ou de les refuser. LES SANCTIONS Mesures conservatoires et injonctions : depuis la réforme de 1998, l’OFT peut ordonner les mesures conservatoires qu’il estime nécessaires pour prévenir un préjudice sérieux et irréparable, protéger l’intérêt général ou à la demande du plaignant. Lorsque l’infraction a été établie, il peut ordonner aux coupables d’y mettre fin, avec ou sans délai. Le non-respect de la décision de l’OFT entraîne la saisine des tribunaux, avec risque de sanctions pénales. La nullité d’une partie ou de la totalité de l’accord peut également être décidée. En matière de concentrations, la Commission de la concurrence peut également prononcer des mesures conservatoires destinées à empêcher les entreprises participantes de réaliser l’opération avant le feu vert définitif des autorités de contrôle. Dommages et intérêts : les tiers qui ont subi un préjudice en raison d’un accord ou d’un comportement anticoncurrentiel peuvent demander réparation devant un tribunal. Dans ce cas, les lignes directrices de l’OFT rappellent que le tribunal saisi devra se prononcer en tenant compte de la jurisprudence européenne sur la responsabilité des entreprises coupables d’atteinte à la concurrence. Une action en réparation peut être engagée devant le CAT lorsque les autorités de la concurrence se sont déjà prononcées sur le caractère anticoncurrentiel de la pratique poursuivie. Sanctions pécuniaires : les infractions aux chapitres I et II sont punies par une amende atteignant au maximum 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en cause. Les PME et les entreprises parties à un accord d’importance mineure, au titre de l’interdiction du chapitre I, ou coupables d’un comportement d’importance mineure, en application de l’interdiction du chapitre II, peuvent bénéficier d’une immunité. Cette disposition ne s’applique pas en cas d’accord sur les prix. Un accord est d’importance mineure lorsque le chiffre d’affaires combiné des parties ne dépasse pas 20 millions de livres. Un comportement est qualifié d’importance mineure lorsque l’entreprise coupable réalise un chiffre d’affaires de 50 millions de livres au maximum. A l’instar du droit américain, européen et maintenant français, le droit britannique prévoit une immunité totale ou partielle pour les entreprises qui dénoncent un cartel ou fournissent les preuves de son existence, respectivement avant le début de l’enquête et avant le prononcé d’une condamnation. Sanctions pénales : en matière de pratiques anticoncurrentielles, comme en matière de fusions, les personnes coupables d’obstruction au cours de l’enquête peuvent être condamnées à des amendes et à des peines de prison, plus ou moins sévères selon l’infraction. Ainsi, l’obstruction à une perquisition ordonnée par un juge est punie par un emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans. La fourniture, durant l’examen, de faux renseignements concernant une concentration est un délit également passible d’une amende et de deux ans de prison. Lorsque la personne poursuivie a été mise en examen, les peines d’emprisonnement sont plus longues et le montant de l’amende est à la discrétion du juge. Sanctions à l’encontre des dirigeants d’entreprise : l’Enterprise Act autorise les juges à interdire aux dirigeants d’entreprise, coupables d’avoir violé le droit de la concurrence, d’exercer leur activité pour une période pouvant atteindre quinze ans.

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