Bulletins de l'Ilec

Le ferment d’une union sacrée - Numéro 351

01/03/2004

Entretien avec Philippe Caduc, président-directeur général de l’Agence pour la diffusion de l’information technologique (Adit)

Quelle est votre définition de l’intelligence économique ? Philippe Caduc : Ce concept peut se définir comme l’ensemble des outils, des méthodes, des savoir-faire qui permettent à une entreprise, une organisation ou un état de mieux anticiper l’évolution de leur environnement, de mieux traiter les réseaux et les flux d’information qui s’organisent autour d’eux. L’enjeu est pour eux de mieux mettre en avant leurs valeurs, leurs produits, leur influence, leurs idées, leurs normes dans cet environnement. L’intelligence économique repose donc sur trois piliers : anticipation, maîtrise de l’information et influence. Le concept ne s’inspire-t-il pas de la stratégie militaire, qui intègre, depuis longtemps, toutes les questions relatives à la recherche et à la protection des informations sensibles ? P. C. : Le concept de guerre économique me paraît mal posé. Que l’on parle de compétition, d’affrontement, d’adversité économique se justifie, puisque c’est le quotidien de tout chef d’entreprise. La guerre, elle, détruit l’autre. C’est tout le contraire de la compétition économique. Quand l’Adit a-t-elle été créée ? Quelles sont ses missions ? P. C. : L’Adit a été créée en 1992 afin de doter la France d’un instrument capable de servir les intérêts de ses entreprises, à savoir collecter les informations utiles, conduire des investigations sur la concurrence, accompagner les entreprises de manière opérationnelle lors des grands appels d’offres internationaux. Société nationale (100 % du capital est aux mains de l’état), l’Adit sert les intérêts nationaux, c’est-à-dire ceux de toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes, en leur apportant des services sur mesure. Quand une entreprise a des projets d’expansion, l’Adit peut intervenir pour sécuriser ses investissements, anticiper les risques et l’accompagner dans son développement. L’intelligence économique est un vrai métier, que les entreprises ne peuvent exercer en interne en raison de ses coûts élevés. Le concept ne doit pas être confondu avec le renseignement, qui relève exclusivement des prérogatives de l’état. Avant de diffuser l’information, il faut d’abord la collecter. Comment l’Adit opère-t-elle ? P. C. : Une agence d’intelligence économique n’est rien si elle ne dispose pas de capteurs en mesure de réaliser des investigations dans le monde entier. L’Adit dispose donc de réseaux internationaux, grâce à ses sept mille experts à travers le monde, en mesure de traiter, pays par pays, thème par thème, tous les sujets importants. L’Adit est également en contact avec les services scientifiques de nos ambassades. L’Agence est le distributeur exclusif en France de toutes les données produites par les conseillers et attachés scientifiques présents dans une centaine de pays. L’adjectif « technologique » n’est-il pas réducteur ? P. C. : Absolument. Cela correspondait à l’objet premier lors de la création de l’Agence, en 1992. Aujourd’hui, l’Adit ne décline plus son sigle, puisqu’elle a élargi son domaine de compétences et traite aussi bien des questions de nature stratégique, commerciale, mercatique, industrielle, technologique, juridique. Comment expliquer le retard français par rapport aux Anglo-Saxons ? Le dernier rapport de la Datar souligne que la France ne joue pas assez la carte des synergies locales. Il préconise la mise en réseau, à l’échelle du territoire, des entreprises, des collectivités locales, des centres de recherche et de formation, pour créer des pôles de compétitivité. N’est-ce-pas déjà engagé par l’Adit, dans cinq régions ? P. C. : Aujourd’hui, seules quelques franges de la société française, dans la haute administration, les grandes entreprises, intègrent au quotidien le concept d’intelligence économique. C’est encore très peu le cas au niveau intermédiaire de l’administration et très rare dans les PME. A la différence des états-Unis ou du Royaume-Uni, la demande sociale d’intelligence économique n’est pas pressante en France. La complicité observée de longue date entre les services de renseignements américains, la diplomatie et les entreprises stratégiques pour conquérir des marchés à l’international est, pour l’heure, plutôt rare chez nous. Les choses semblent cependant évoluer dans un sens positif, depuis la création de l’Adit comme l’attestent le rapport Carayon, la nomination d’Alain Juillet au poste de haut responsable de l’intelligence économique, les projets mis en œuvre pour créer des pôles d’excellence au niveau régional, dans cinq régions, sur l’initiative du ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy. Il faut apprendre aux entreprises à chasser en meute ! L’intelligence économique a-t-elle sa pertinence à l’échelon européen ? P. C. : L’intelligence économique peut et doit être européenne quand il s’agit d’anticiper et de maîtriser l’information, pour atteindre la masse critique, mais elle demeure du ressort de la nation en termes d’influence. Le patriotisme, aujourd’hui, est économique. L’état retrouve-t-il une légitimité ? L’intelligence économique ne va-t-elle pas enfin réunir pour un même défi l’état et l’entreprise ? P. C. : C’est la première fois que j’observe une véritable union sacrée, une sorte de paix des braves entre les administrations, les entreprises, les chambres de commerce, les unions patronales, etc. Il faut maintenant communiquer les bons réflexes à tout cadre d’entreprise, à tout citoyen, lycéen, étudiant, chercheur, fonctionnaire, afin que, comme le souhaite le rapport Carayon, l’intelligence économique soit l’affaire de tous.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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