Demain, les réseaux - Numéro 354
01/06/2004
Délocalisation, désindustrialisation, déclin ? La France est-elle entrée dans un scénario catastrophe ? Non, répond la Datar. Son rapport, La France, puissance industrielle. Une nouvelle politique industrielle par les territoires, entend battre en brèche quelques idées reçues. Non, la France ne produit pas moins de biens industriels qu’hier : la part de l’industrie dans le PIB est restée stable au cours des vingt dernières années (19,5 % en 2002, au lieu de 20,1 % en 1978). Si l’emploi industriel direct diminue, comme dans d’autres pays industrialisés, il faut tenir compte du quasi-doublement des emplois d’intérim (de 150 000 à 300 000) et du recours croissant à l’externalisation de fonctions des entreprises industrielles vers le secteur des services : services généraux, comptabilité, entretien et maintenance, logistique, recouvrement de créances… Entre 1982 et 1999, l’emploi a augmenté de 901 675 dans la production « immatérielle », de 736 724 dans les services, de 1 317 000 dans les services collectifs, et il a baissé de 1 310 017 dans la production « concrète ». chassé-croisé Trois groupes de secteurs se singularisent : le groupe textile-bois-métallurgie-combustible accuse une baisse de 500 000 emplois ; l’automobile-chimie-édition, une perte de 100 000 emplois ; l’agroalimentaire-pharmacie-parfumerie-électronique-énergie une hausse de 60 000 emplois. Dans ces trois secteurs, deux grandes catégories d’activités peuvent être identifiées : celles (mécanique, biens électriques et électroniques, chimie) pour lesquelles l’évolution de l’emploi résulte des mutations techniques et de l’évolution conjoncturelle des marchés, et dont les principaux compétiteurs sont des pays développés ; celles (dont le textile), pour lesquelles la concurrence des pays émergents constitue un risque de délocalisation et de désindustrialisation. Entre 1989 et 2001 les pertes d’emplois au niveau régional ont été plus que compensées par les créations dans les autres secteurs : le Nord-Pas-de-Calais affiche ainsi une perte de 40 000 salariés industriels mais l’emploi régional progresse de 180 000. Constat identique en Ile-de-France, qui enregistre un solde net de 400 000 emplois malgré une chute de 250 000 emplois industriels. On assiste, sur une période plus longue, 1978 à 2002, à un chassé-croisé entre les services et l’industrie, puisqu’en 2002 l’industrie pèse ce que pesaient les services en 1978 : 15 % . Cinquième puissance industrielle du monde, la France voit sa part de marché rester stable entre 1970 et 1999 avec, certes, une position moins bonne dans le secteur des produits technologiques. « Si certains secteurs traditionnels régressent, d’autres se développent et cette évolution n’est pas perceptible par un appareil statistique qui utilise des nomenclatures trop anciennes. Aussi, le terme de “désindustrialisation” est impropre pour caractériser les mutations des pays développés », souligne le rapport. Il reste que la France doit relever un double défi : faire face simultanément à une forte concurrence par les prix dans les activités à grande intensité de main-d’œuvre, et à une forte concurrence dans les secteurs à grande intensité technique. En raison de son effet d’entraînement, l’industrie est plus que jamais nécessaire au développement économique et social. L’effet de levier des activités industrielles est plus élevé que celui des activités de services : pour 1 euro de production, l’industrie consomme près de 0,7 euro de produits intermédiaires, contre 0,4 euro pour les services. Les phénomènes d’entraînement sur le reste du tissu économique amplifient, notamment au niveau local, les évolutions de l’appareil industriel. Compte tenu des processus d’externalisation, la question n’est pas, selon le rapport, « tant de séquencer les activités économiques selon leur nature industrielle ou tertiaire que d’agréger l’ensemble des activités, industrielles et tertiaires, qui concourent à la création de l’offre destinée à un marché final. » La croissance de l’économie française dépend de la compétitivité de cet ensemble. L’évolution de l’industrie traduit plus une transformation en profondeur de la chaîne de valeur qu’une perte de substance industrielle. En matière de délocalisation, l’analyse des flux directs d’investissements entrants et sortants invalide la thèse selon laquelle les entreprises françaises se délocaliseraient de façon massive tandis que le site France ne serait guère attrayant. Selon une étude réalisée par la Direction des relations économiques extérieures (DREE), les délocalisations représentaient, en 1999-2000, moins de 5 % des investissements directs sur les marchés proches (Peco et Maghreb) et moins de 1 % sur les marchés lointains. Si les investissements susceptibles de représenter des délocalisations sont principalement destinés aux pays en voie de développement, ceux-ci n’accueillaient, à la fin de l’année 2000, que 10 % du stock des investissements directs français. Parallèlement, toujours selon la DREE, les dix secteurs industriels qui ont le plus investi à l’étranger entre 1997 et 2000 ont créé 100 000 emplois sur le territoire national. Selon le CEPII, 1 euro d’investissement à l’étranger dans une branche industrielle induit 0,59 euro d’exportations supplémentaires, pour seulement 0,24 euro d’importations. A contrario, un euro d’investissement étranger en France se traduit par 0,34 euro d’importations et seulement 0,22 euro d’exportations. « La vraie question est de savoir si la redistribution des activités industrielles peut, ou non, donner naissance à des spécialisations européennes. » Sur fond d’émergence de l’économie de la connaissance, c’est la capacité d’innover et de rendre efficaces les interactions entre la recherche et la production qui conditionne la présence sur les marchés mondiaux. L’innovation dans les procédures de production est intimement liée à celle des produits, et la recherche dépendante de la satisfaction de la demande finale. Si la France occupe, en 2001, la troisième place en Europe dans les domaines scientifiques derrière l’Allemagne et la Grande-Bretagne, avec une part de 15,6 % , et le deuxième rang dans les domaines technologiques, sa situation s’est dégradée depuis 1995. « L’économie de la connaissance érige le savoir non plus comme un facteur de production, mais comme une production à part entière, qui fait de l’innovation non pas une étape de l’accumulation d’un stock de valeurs, mais un processus continu déterminant le développement concurrentiel. » Elle rend obsolète l’organisation taylorienne de la production fondée sur le découplage fonctionnel des processus de fabrication, pour imposer une division des fonctions organisée autour de « blocs de savoirs scientifiques », fondés sur des champs de compétence spécialisés (biotechnologies, optronique…), dont l’acquisition passe par la coproduction des savoirs utiles et le partage des risques associés à l’innovation. Les 96 systèmes productifs locaux (SPL) lancés par la Datar en 1998 regroupent 525 000 emplois et 18 000 entreprises. On en dénombre quarante dans les industries mécaniques, l’agroalimentaire et le bois-ameublement. Le secteur automobile, représenté seulement par deux SPL, totalise néanmoins près de 35 % de l’emploi total. Créée en 1993, la Cosmetic Valley, en Eure-et-Loir, avec cent sociétés et six mille salariés, est devenue le pôle le plus dynamique de France pour les industriels du secteur cosmétique. En 2002, c’est un pôle centré sur la pharmacie, Polepharma, qui a vu le jour à Dreux. Toutes ces initiatives de regroupement, particulièrement dans le domaine de la recherche et de l’innovation, permettent aux PME d’aller au-delà de ce que chacune pouvait faire séparément. « Le système devient ainsi plus que la somme de ses éléments. » Les parts de marché et la compétitivité de l’ensemble s’améliorent, des solutions productives inédites émergent. Point de passage obligé pour la réussite du développement des pôles de compétitivité : une gestion efficace des interfaces, entre le monde de la recherche et celui des entreprises, entre les entreprises elles-mêmes, avec les responsables des territoires concernés. Dotée d’un potentiel concentré sur un trop petit nombre de domaines où son rayonnement est international, la France devrait mener une stratégie territoriale apte à favoriser la création de nouveaux pôles de compétitivité.
Jean Watin-Augouard