Bulletins de l'Ilec

Hors la valeur ajoutée, point de salut - Numéro 354

01/06/2004

Entretien avec Jean-Hervé Lorenzi, membre du Conseil d’analyse économique

Comment définir l’industrie française et son territoire ? Quels sont ses atouts et ses handicaps ? Jean-Hervé Lorenzi : L’industrie aujourd’hui n’a pas changé. Il reste à définir si ce qui est externalisé relève ou non de l’industrie. La définition est donc liée aux services associés ou non. Si notre industrie demeure puissante, elle a néanmoins un problème de spécialisation par rapport à la demande mondiale, elle-même déterminée par la demande asiatique. Les exportations de l’Allemagne augmentent, signe d’une bonne spécialisation de l’économie allemande, mais les nôtres n’affichent pas la même croissance. Le mot « industrie » ne doit-il pas reprendre son sens premier « habileté » ? La célèbre classification de Colin Clark (primaire, secondaire, tertiaire) n’est-elle pas caduque ? Le concept d’économie post-industrielle est-il pertinent ? J.-H. L. : Non, la classification de Clark demeure pertinente. L’hôtellerie ne peut être classée dans le secteur industriel. Le concept d’économie post-industrielle n’a pas de sens, puisque les deux tiers de la productivité de l’économie française sont le fait de l’industrie, qui assure 70 % des exportations. Les gains de productivité sont moins élevés dans les services que dans l’industrie. La quatrième révolution industrielle est-elle celle de l’économie de la connaissance ? J.-H. L. : Il est clair que le traitement, le stockage et la diffusion de l’information par les nouvelles techniques de communication sont au cœur de la nouvelle croissance. La France est-elle menacée de désindustrialisation ? J.-H. L. : Non, car, en volume, l’industrie représente toujours 20 % du PIB. Mais la menace pourrait être réelle, si nous ne parvenions pas à monter en gamme, à nous spécialiser davantage dans une production de haute valeur ajoutée. Comment définir aujourd’hui la délocalisation ? J.-H. L. : Comme hier, à savoir que c’est une production de biens ou de services réalisée ailleurs pour être réimportée. Elle résulte de la structure industrielle qui se segmente davantage, la production de valeur devant se faire dans les conditions optimales en termes de baisse de coûts. La délocalisation compétitive est de faible ampleur. Quelles sont les caractéristiques de la mondialisation, du « village planétaire « ? J.-H. L. : Ce n’est pas un mythe. La mondialisation se traduit par le déplacement du centre de gravité du monde de l’Europe vers l’Asie. Quand et comment la France va-t-elle se réconcilier avec son industrie ? Comment promouvoir l​‌’audace créatrice, la culture industrielle ? J.-H. L. : Il faut réconcilier la France avec l​‌’idée du progrès scientifique en redonnant leur rôle aux écoles d​‌’ingénieurs. L’élargissement de l’Europe et la montée en puissance de la Chine sont-elles une chance pour l’industrie française ? J.-H. L. : Oui, bien sûr, la croissance mondiale est une chance. La croissance asiatique est vitale pour notre propre activité. Quelle nouvelle politique industrielle pour la France ? Le nouvel impératif industriel passe-t-il par l’Europe, et plus spécifiquement par une union franco-allemande ? J.-H. L. : Il faut réconcilier la France avec l’idée du progrès scientifique en redonnant leur rôle aux écoles d’ingénieurs. Il faut améliorer notre spécialisation, renforcer notre pôle d’innovation et créer un nouvel impératif industriel. Sujet clé : la nationalité des entreprises. Nous ne devons pas réitérer les erreurs du type Péchiney. Aussi l’Etat a-t-il bien agi lors de l’affaire Sanofi-Aventis. Quel sera « le grand espoir du XXIe siècle » ? J.-H. L. : Redonner à l’Europe tout son rôle dans le développement de la technologie.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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