La valeur de l’intangible - Numéro 357
01/10/2004
Les spécialistes de l’évaluation des marques ont toujours eu comme préoccupation de développer des méthodes qui s’appuient sur le rôle de la marque, ses forces, sa spécificité, son histoire. Sont-ils pour autant parvenus à évaluer le patrimoine des marques ? Un bref aperçu des différentes approches montre que le patrimoine y occupe une place marginale. Une première manière d’évaluer une marque consiste à identifier les dépenses engagées pour la développer. Par analogie avec l’évaluation des entreprises à partir des montants figurants dans les comptes, cette approche est souvent qualifiée de méthode patrimoniale. Pour lui donner une véritable dimension d’analyse de la valeur du patrimoine de la marque, certains experts ont poussé très loin l’étude des paramètres : nature et nombre d’année des dépenses à prendre en compte, coefficient à appliquer pour actualiser les dépenses les plus lointaines… Il reste pourtant difficile de considérer que de telles méthodes rendent compte du patrimoine de la marque. Celui-ci se résume rarement à des dépenses de communication. La méthode dite des coûts de reconstitution, qui revient à estimer les investis-sements à réaliser pour créer une marque comparable, est sous cet aspect encore moins pertinente. En supposant qu’il y a à priori reproductibilité de la marque, elle est antinomique avec la notion de patrimoine, qui renvoie à une histoire unique. Le deuxième type de méthode d’évaluation des marques s’appuie sur les références de marché. L’existence d’un marché actif et transparent serait sans doute le meilleur révélateur de la valeur du patrimoine des marques. On peut imaginer qu’il permettrait de coter la rareté, à l’image du marché de l’art ou du marché immobilier. Il n’existe pas, hélas, de marché actif pour les marques. Cela ne veut pas dire que les marques ne se vendent pas, mais que ces ventes sont souvent intégrées dans des opérations complexes qui ne permettent pas d’identifier les conditions de cession spécifiques à la marque. Les marques font aussi l’objet de locations sous forme de contrats de licence, avec des loyers exprimés en pourcentage des ventes. Ces taux de redevance sont cependant peu utiles pour apprécier la valeur du patrimoine d’une marque. Ils sont, en effet, essentiellement fonction de la rentabilité du marché où la marque est exploitée. Une marque de vêtements très récente pourra ainsi être licenciée à un taux de redevance proche de 20 % , alors qu’une marque beaucoup plus ancienne et plus notoire se verra appliquer un taux voisin de 10 % . Le troisième type de méthode s’appuie sur la rentabilité prévisionnelle des marques. Il a aujourd’hui la préférence de la quasi-totalité des experts en évaluation, et il est préconisé par les normes comptables internationales. Sa généralisation a eu comme premier effet bénéfique d’améliorer la réputation des évaluations de marques, en introduisant de la rigueur financière dans un univers où dominait un certain impressionnisme. La mise en œuvre de telles méthodes, sous forme de modèles d’évaluation détaillés, a aussi permis de faire progresser l’étude des relations entre la valeur financière de la marque et ses leviers de valeur. La généralisation des méthodes de rentabilité paraît ainsi, en première approche, une évolution favorable à la prise en compte du patrimoine dans la valorisation financière de la marque. Ce résultat est pourtant loin d’être acquis, car le succès des méthodes de rentabilité est aussi celui d’une conception de la marque comme un « actif financier », se réduisant à un flux de revenus prévisionnels associé à un niveau de risque. Cette conception n’est pas seulement une régression méthodologique. En assimilant la valeur de la marque à un calcul d’actualisation, elle conduit à accroître le sentiment que la valeur des marques est très volatile, et le doute de la communauté financière sur… le sérieux et l’intérêt d’une valorisation financière des marques ! L’enjeu est d’importance, car les normes comptables internationales considèrent l’évaluation des marques à partir de leur rentabilité prévisionnelle comme étant la meilleure expression de leur juste valeur, et comme un guide pour le suivi de son évolution. L’approche devrait de plus en plus servir de référence dans les bilans des sociétés. Mais en coupant la marque de son histoire, cette conception enlève à la valorisation financière sa légitimité en tant qu’outil de gestion des marques. Certes, la marque doit être évaluée avec autant de rigueur financière que les autres actifs. Les paramètres qui fondent cette valeur doivent cependant être profondément ancrés dans la réalité de la marque et de son marché. Le modèle développé par Sorgem Evaluation montre comment les caractéristiques du marché et de la marque peuvent intervenir pour déterminer les trois paramètres d’une évaluation fondée sur les résultats futurs : la part des résultats revenant à la marque ; l’évolution de ces résultats ; le taux d’actualisation, qui correspond au risque associé aux prévisions de résultats. Si cette approche fait le lien entre la valeur financière de la marque et sa valeur stratégique, elle mérite d’être améliorée, pour permettre au patrimoine de devenir un élément fondateur, et surtout stabilisateur, de la valeur d’une marque. Les moyens pour y arriver constituent un chantier d’étude dans lequel les responsables de la communication, du marketing et de la finance doivent mettre en commun leur expérience. Pour que ce rôle du patrimoine soit reconnu par la communauté financière, il faut toutefois que les entreprises prennent conscience de son existence, et le valorisent pour en faire un outil mercatique de communication, de fidélisation et de promotion.