Prime de marque et repère mental - Numéro 357
01/10/2004
L’évaluation financière des marques est sortie tout droit du monde des grands cabinets mondiaux de stratégie pour entrer dans la kyrielle des classements annuels qui font les titres des magazines grand public. Autrement dit, le sujet est passé de calculs complexes, et souvent controversés, où se mêlent actifs tangibles et intangibles, au palmarès médiatique. La valeur des marques vaut mieux que ce passage accéléré entre deux modèles antagonistes, car les choses sont moins spectaculaires et plus simples qu’il n’y paraît. Surtout, l’évaluation des marques peut se révéler un outil simple et efficace d’analyse de la force d’une marque, comparée avec d’autres marques du segment de marché. Il convient d’abord d’accepter de n’évaluer que la marque en question, et non tout son environnement. Des critères peuvent être retenus qui permettent de distinguer ce qui est dû à la marque et ce qui est dû à l’entreprise. Ils s’imposent d’eux-mêmes, quand on considère la définition stratégique de la marque. Une marque est un repère mental sur un marché. Autant dire que deux notions essentielles se complètent : une approche de communication et une approche de marketing stratégique. Deux paramètres simples, parfaitement connus et faciles à vérifier peuvent être retenus : la notoriété et la prime de marque (equity), c’est-à-dire le sur-prix qu’accepte de payer le consommateur pour avoir le produit de cette marque plutôt qu’un produit standard. Cette approche est le reflet de l’adaptation à la problématique de « valeur patrimoniale des marques », inscrite dans les travaux de Kevin Keller, qui a développé une réflexion sur le passage des critères du branding (gestion des marques) au comportement d’achat des consommateurs. La notoriété est le premier critère de communication, et elle est, dans toutes ses composantes, la conséquence de l’histoire de la marque, de sa visibilité en linéaire et des investissements de communication. La prime de marque est un élément objectif de l’attachement du consommateur à « sa » marque. Il est généralement admis qu’un consommateur disposé à payer plus cher les produits d’une marque admet implicitement l’unicité ou la supériorité de la marque. Cette supériorité se situe sur le plan de la perception, c’est pourquoi nous pouvons parler de repère mental, qui peut être analysé sur un plan transactionnel (qualité des produits), identitaire (effet tribu, relation entre la marque et ses consommateurs) et aspirationnel, celui des idées portées par la marque. Une fois la notoriété connue, il faut considérer les investissements en communication nécessaires pour reconstituer cette notoriété sur le segment de marché. Les études de piges (type Secodip des notoriétés acquises et des investissements publicitaires) permettent d’approcher ce type de calcul. La question à se poser est celle-ci : pour obtenir tel score de notoriété, quels investissements publicitaires seraient nécessaires si l’on partait de zéro ? La prime de marque réelle résulte, elle, de l’observation attentive des prix réellement pratiqués en linéaires pour les produits de la marque étudiée, par rapport aux produits standards comparables (ou jugés ainsi par le public consommateur de produits de ce segment). Une marque de fromage type camembert qui réaliserait un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros en France et qui aurait une survaleur de 9 % (écart entre les prix moyens des produits de cette marque à un instant t et les prix d’une MDD) aurait une prime de marque annuelle de 18 millions d’euros. Un paramètre complémentaire doit intervenir dans le calcul global de la valeur patrimoniale : l’échelle de visibilité. L’entreprise et l’expert chargés de ce travail doivent analyser la durée prévisible de cet avantage concurrentiel et l’imminence des risques éventuels : nouvelle donne dans la distribution, arrivée probable de nouveaux acteurs, chute des prix et batailles promotionnelles… En règle générale, il est possible de définir une échelle de visibilité (un coefficient multiplicateur) entre 1 et 7 (un à sept ans). Reprenons le cas d’école de la marque de camembert. Les calculs de reconstitution du « capital notoriété » conduisent à des investissements globaux de 50 millions d’euros, répartis sur deux ans pour optimiser la durée de mémorisation. Le calcul pour la prime de marque visible va dans le même sens. L’échelle de visibilité de la prime de marque, compte tenu des contraintes du marché, des acteurs en place, des contrats passés avec la distribution, peut être estimée à trois ans. Ce qui conduit à une évaluation par prime de marque de 54 millions d’euros. La bonne surprise de ce type d’évaluation financière de la valeur patrimoniale est que, sur une trentaine d’études réalisées depuis deux ans (analyse du fond de marque, de son identité, de son territoire mercatique, de sa position stratégique, de son cycle de vie), la différence entre les calculs par la notoriété et les calculs par la prime de marque n’ont pas dépassé 20 % . La communication nourrit le marketing de la marque, qui entretient sa notoriété. Y aurait-il un cercle vertueux entre communication et marketing stratégique ? Dans le cas de la marque de camembert, l’écart est inférieur à 10 % , et la valeur patrimoniale de la marque se situe entre 50 et 54 millions d’euros. Il importe de sortir de la complexité des méthodes d’évaluation financière des marques, si l’on souhaite développer l’utilisation opérationnelle de l’évaluation, et ne pas se restreindre à un usage confidentiel, au moment des cessions d’activités et des fusions-acquisitions. * Directeur du Branding Experts Center Institute, enseignant au Celsa et à HEC, auteur de la Marque (Vuibert, « Explicit »), les Marques, mythologies du quotidien : comprendre le succès des grandes marques (Village mondial).