Parier sur une offre adaptée - Numéro 359
01/01/2005
Comment définir l’obésité ? Frédéric Saldmann : L’obésité est devenue depuis quelques années, une préoccupation mondiale. Ce n’est plus une mode, comme dans le passé avec le « light », mais un enjeu. Dans mon livre les Nouveaux Risques alimentaires, j’ai écrit, il y a quelques années, que la première cause de mortalité due à l’alimentation n’était pas à rechercher dans les intoxications mais dans l’obésité. La preuve en est qu’aux états-Unis les assurances vie sont calculées en fonction du poids de l’assuré. L’obésité met le pronostic vital en jeu, sournoisement car le « malade » ne souffre pas. Comment se mesure-t-elle ? F. S. : Elle se mesure d’après l’indice de masse corporelle, le poids en kilos rapporté à la taille. Entre 18 et 25, l’individu est normal, le surpoids apparaît entre 25 et 30, l’obésité entre 30 et 35. Au-delà, l’obésité est dite morbide. Un jeune obèse à l’âge de vingt ans réduit son espérance de vie, de vingt ans pour l’homme et de huit pour la femme. Depuis quand suscite-t-elle une forte préoccupation ? F. S. : En moins de trois ans, 650 000 nouveaux cas d’obésité ont été recensés en France, ce qui porte à 5,4 millions le nombre de Français atteints. Entre 1997 et 2003, la proportion d’obèses est passée en France de 8,2 à 11,3 % . La fréquence de l’obésité massive a doublé, passant de 0,3 à 0,6 % de la population. Si l’augmentation est toujours de 5 % par an, 20 % de la population française sera obèse en 2020, soit le pourcentage actuel aux états-Unis. Les conséquences financières ne sont pas négligeables, puisque 2,5 milliards sont consacrés à soigner cette pathologie. Qui est particulièrement touché ? F. S. : L’obésité touche toutes les classes d’âges et particulièrement en Ile-de-France et dans le Nord, chez les femmes entre 15 et 45 ans et chez les hommes de plus de 45 ans. La première cible touchée est de nature génétique, quand l’obésité frappe tous les membres de la même famille. N’oublions pas également les milieux défavorisés. Quelles sont ses causes ? F. S. : L’obésité est une tendance structurelle, pas seulement française, puisqu’elle touche 300 millions de personnes dans le monde. En France, l’obésité infantile a augmenté de 375 % entre 1980 et 1996. La sédentarité, une consommation excessive de produits gras ou sucrés, faible en fruits et légumes, une activité professionnelle de moins en moins physique, tous ces facteurs concourent à l’obésité. Il faut faire sept kilomètres en courant pour perdre l’équivalent calorique d’un croissant. Y a-t-il des bons et des mauvais produits ? F. S. : Tous les produits sont bons. Tout est une question de proportion. Notre tendance est d’accumuler trop de nourriture et trop vite, car nous n’aimons pas nous priver d’un plaisir. Comment éviter les procès d’intention à l’égard de l’industrie agroalimentaire ? F. S. : Elle sert de bouc émissaire. L’industrie alimentaire réalise actuellement des prouesses pour essayer de proposer des alternatives. Coca-Cola, pour ne pas le citer, offre un soda standard, un soda allégé et un autre sans caféine. En vingt ans, grâce à la sélection génétique et à une alimentation différente, les cochons ont perdu 25 % de leur gras, allégeant d’autant les produits de charcuterie. Le lait, entier il y a vingt ans, est aujourd’hui à 95 % écrémé ou demi-écrémé. Les standards évoluent. Que faire pour lutter contre l’obésité ? F. S. : Quatre-vingt-quinze pour cent des gens qui veulent maigrir échouent, car ils fixent la barre trop haut. La conception de la nutrition va changer dans les prochaines années. Elle sera fondée non plus sur l’interdiction mais sur l’autorisation. Il faut que chaque individu apprenne à se nourrir par rapport à ce qu’il est. La génétique nous apprend que les gens ont des sensibilités différentes et ne réagissent pas de la même manière aux aliments. L’offre standardisée est derrière nous. Il faut construire une alimentation adaptée à chacun pour répondre à une attente de solutions durables face à l’obésité. Le temps de l’après-guerre, celui où il « fallait manger », est révolu. Une nouvelle conception de l’alimentation se dessine, fondée sur le besoin de liberté et de plaisir. Quel nouveau type d’alimentation ? F. S. : D’ici cinq à dix ans, nous allons assister à une révolution de la demande des consommateurs au regard de l’obésité. Les produits qui ne répondent pas au besoin de réduction de la charge calorique quitteront la consommation quotidienne pour être réservés à la consommation festive et être marginalisés. Il faut concevoir des aliments qui permettent, en douceur, de travailler sur des facteurs aussi bien de goût que de satiété, pour tenir compte des paramètres de chaque individu. Aujourd’hui, les produits allégés poussent au grignotage. Mais des recherches, universitaires ou privées, sont effectuées dans le monde qui vont bouleverser nos modes alimentaires, en proposant une nouvelle génération d’aliments. La nutrition doit être fondée sur le sur-mesure et non sur le prêt-à-porter. Car, à côté du phénomène de l’obésité, il est des consommateurs qui se trouvent trop maigres et cherchent à grossir. Il faut donc proposer des produits qui répondent à toutes les attentes. Les mesures préconisées par la récente loi de santé publique vous paraissent-elles de nature à éradiquer le fléau ? Est-ce suffisant de supprimer dans les écoles les distributeurs automatiques et de taxer les produits de grignotage et les sodas sucrés ? F. S. : L’interdit du péché appelle le péché, que ce soit chez l’adolescent ou chez l’adulte. La solution réside dans les aliments dits intelligents, qui offrent une pluralité de choix et informent le consommateur sur leur composition. En matière de prévention, la meilleure méthode est l’information. Les alicaments sont-ils intelligents ? F. S. : Certains. Il faut bien différencier ceux qui ne sont que de la poudre aux yeux et les vrais produits offrant un choix nouveau et un avantage nutritionnel.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard