Légiférer contre l’obésité - Numéro 359
01/01/2005
LES ACTIONS A L’ECHELON EUROPEEN - La politique de santé publique Le traité de Maastricht, adopté en 1993, a assigné à la Communauté la mission de développer une politique cohérente de santé publique. L’article 129 du traité CE confère à la santé publique une base juridique spécifique et précise que « les exigences en matière de protection de la santé sont une composante des autres politiques de la Communauté ». Se fondant sur cet article, la Commission a présenté une communication concernant le cadre de l’action dans le domaine de la santé publique, qui a abouti à l’adoption de huit programmes, dont ceux consacrés à la surveillance et à la promotion de la santé. À travers ces programmes, la Communauté a cherché à soutenir les activités des États membres, en les aidant à définir et à appliquer des stratégies de protection de la santé. Le traité d’Amsterdam a confirmé et élargi le mandat de la Communauté en matière de santé publique en posant que « la Communauté assure un niveau élevé de protection de la santé humaine dans la définition et la mise en oeuvre de toutes ses politiques et actions » (article 152 du traité CE). Pour donner suite à ce mandat, la communication de la Commission de 1998 sur l’élaboration d’une politique de santé publique a examiné la stratégie qui était alors suivie. Cette communication montrait la nécessité de renforcer les activités consacrées à la nutrition et l’obésité. Elle soulignait combien il était important de définir des instruments spécifiques garantissant le respect des exigences de la protection de la santé, dans la définition et la réalisation de toutes les politiques de la Communauté. Cette communication a ouvert la voie au programme d’action de l’UE dans le domaine de la santé publique proposé par la Commission. Le 23 septembre 2002, le Parlement européen et le Conseil ont adopté un nouveau programme d’action6 pour une période de six ans (2003-2008), qui répond à trois objectifs : améliorer l’information en matière de santé, renforcer la capacité à réagir rapidement aux menaces et promouvoir la santé en prenant en compte les facteurs déterminants. Les actions concernant les réseaux, la coordination des réactions, le partage d’expériences, la formation et la diffusion des informations et des connaissances seront liées et se renforceront mutuellement. L’objectif est de concrétiser une stratégie intégrée en matière de protection et d’amélioration de la santé. L’évaluation de l’incidence sur la santé des propositions faites dans le cadre d’autres politiques et activités communautaires, telles que la recherche, le marché intérieur, l’agriculture ou l’environnement, doit contribuer à assurer la cohérence de la stratégie. - La protection des consommateurs L’Union entend contribuer à la sûreté des produits et services qui sont destinés aux consommateurs européens. La sûreté alimentaire couvre la totalité de la chaîne de production des aliments, depuis la santé des animaux et des plantes jusqu’à l’étiquetage des denrées et la fixation des niveaux maximaux de vitamines et minéraux présents dans les compléments alimentaires et les aliments fortifiés. Les questions de sûreté alimentaire entrent également en ligne de compte dans la délivrance des autorisations d’utilisation, ainsi que dans la définition des niveaux maximaux de résidus pour les pesticides et les médicaments vétérinaires. Des valeurs maximales sont aussi fixées pour certains contaminants présents dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux. Au cours des deux dernières décennies, des règles harmonisant l’étiquetage relatif à la composition des aliments ont été définies au niveau communautaire. De nouvelles dispositions apportant aux consommateurs des informations supplémentaires sur les quantités de certains ingrédients, ainsi qu’une législation sur la viande, ont été adoptées. Le Livre blanc sur la sécurité alimentaire a aussi identifié d’autres domaines où l’information des consommateurs peut être améliorée, notamment l’information sur la teneur en nutriments d’un produit ainsi que les allégations nutritionnelles et sanitaires. Une proposition de règlement a été déposée le 16 juillet 2003. Elle vise à l’harmonisation, à travers la création d’une liste d’allégations autorisées. Pour pouvoir utiliser à bon escient l’étiquetage des produits dans leurs décisions alimentaires et orienter le marché en mettant à profit leur pouvoir d’achat, les consommateurs doivent être éduqués et informés. C’est pourquoi leur éducation fait partie intégrante de la politique menée par la Communauté. Cette politique concerne en premier lieu les enfants et les jeunes. Des mesures destinées à protéger les mineurs des contenus audiovisuels néfastes ont été introduites en 1998. Parallèlement, des propositions limitant certaines formes de publicité sur les aliments s’adressant aux enfants ont été débattues par le Comité des consommateurs. LA POLITIQUE DE SANTE PUBLIQUE NUTRITIONNELLE EN FRANCE Plusieurs rapports récents font état de la nécessité d’une intervention des pouvoirs publics et des principaux acteurs de la nutrition en matière d’obésité. Ainsi, le Haut Comité pour la santé a diffusé, en juin 2000, un rapport intitulé Pour une politique nutritionnelle de santé publique en France : enjeux et recommandations. Après un état des lieux de la situation en France, ce document propose un programme national de nutrition-santé, impliquant, autour du consommateur, les professionnels du secteur, tels les industriels de l’agroalimentaire et les médias. Un autre rapport, présenté par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, invite les pouvoirs publics à lutter efficacement contre l’obésité, en particulier celle des enfants. - Aperçu du dispositif institutionnel Les directions ministérielles De nombreux ministères sont concernés par l’alimentation et la nutrition, principalement ceux de la Santé, de l’Agriculture et des Finances : La direction générale de la santé (DGS) du ministère de l’Emploi et de la Solidarité est chargée, dans son champ de compétence, d’élaborer, de mettre en œuvre et d’évaluer la politique de nutrition et de santé publique. Elle s’appuie sur des compétences essentiellement publiques. Elle fait le lien avec les orientations de politique nutritionnelle définies dans le cadre de l’Union européenne. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie est le chef de file pour la France, dans l’élaboration de la réglementation nationale, communautaire et internationale (Commission du Codex alimentarius) relative aux produits destinés à une alimentation particulière, aux compléments alimentaires, à l’étiquetage nutritionnel et aux allégations nutritionnelles, fonctionnelles et sanitaires. La direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’Agriculture et de la Pêche exerce les compétences du ministère en matière de maîtrise et de promotion de la qualité, et de sécurité des productions animales, végétales et alimentaires, ainsi que pour tout ce qui concerne le bien-être des animaux. Les organes consultatifs L’Agence française pour la sécurité sanitaire des aliments (Afssa), créée par la loi du 1er juillet 1998, a été effectivement mise en place par le décret du 26 mars 1999 et fonctionne depuis le 1er avril 1999. Sous la triple tutelle des ministères de la Santé, de l’Agriculture et de la Consommation, elle évalue les risques sanitaires et nutritionnels des aliments destinés à l’homme et à l’animal en France. Le Conseil national de l’alimentation (CNA) a été mis en place auprès des ministères de l’Agriculture, de la Santé et de la Consommation en 1985. Il est consulté sur la définition de la politique alimentaire et donne un avis sur les questions qui s’y rapportent : il ne se prononce pas sur des produits particuliers, mais élabore des avis de portée générale. Les derniers ont concerné la qualité dans la filière fruits et légumes, les signes de qualité, l’étiquetage des organismes génétiquement modifiés ou la restauration scolaire. - Quelques outils législatifs et réglementaires L’étiquetage des denrées alimentaires L’étiquetage est régi par de nombreux textes législatifs ou réglementaires. Outre les dispositions relatives à la sécurité et à l’information loyale du consommateur, il existe des textes spécifiques, en particulier pour les denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière ou à être utilisées dans les régimes hypocaloriques, les édulcorants, les produits de cacao et de chocolat destinés à l’alimentation humaine, les denrées et ingrédients traités par ionisation, ou en matière d’étiquetage nutritionnel des denrées. Les textes de base en la matière se trouvent dans le Code de la consommation, aux articles R. 112-1 à R. 112-33. Par ailleurs, le décret n°93-1130 du 27 septembre 1993 oblige à apposer sur les denrées alimentaires un étiquetage spécifique, dès lors qu’une qualité nutritionnelle est alléguée dans la présentation du produit. Le décret fournit des seuils de définition sur lesquels l’administration est invitée à se fonder pour évaluer la loyauté de l’information donnée au consommateur. Un arrêté complète ces dispositions. - La lutte contre l’obésité dans la loi relative à la politique de santé publique Dans la loi sur la santé publique du 9 août 2004, le législateur a adopté une démarche résolument préventive. La chaîne industrielle, commerciale et publicitaire est concernée : alors que les distributeurs automatiques de sodas et de confiserie vivent leurs dernières heures, les industriels doivent s’attendre à devoir financer des messages nutritionnels destinés à limiter les effets de la publicité sur les enfants. La responsabilité des entreprises en matière d’obésité rejoint celle qui leur a été imputée dans la lutte contre le tabagisme. L’interdiction des distributeurs dans les établissements scolaires Aux termes de l’article 30 de la loi, les distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants et accessibles aux élèves sont interdits dans les établissements scolaires à compter du 1er septembre 2005. Dans un communiqué diffusé en septembre 2004, l’Afssa rappelle que ses recommandations ont toujours porté sur les distributeurs de boissons sucrées et de produits alimentaires manufacturés, et non sur les distributeurs d’eau ou de fruits, « dont la consommation est encouragée dans le cadre du programme national nutrition-santé ». Les messages publicitaires à destination des enfants La loi du 9 août modifie le Code de la santé publique en y ajoutant un chapitre intitulé « Alimentation, publicité et promotion ». Les messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés, ainsi que les actions de promotions, en faveur de boissons avec ajout de sucre, de sel ou d’édulcorants de synthèses et de produits alimentaires manufacturés, émis et diffusés à partir du territoire français et reçus en France, devront contenir une information à caractère sanitaire (nouvel article L. 2133-1). Par ailleurs, les annonceurs qui désireraient passer outre cette obligation devront payer une contribution au profit de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, destinée à financer la réalisation et la diffusion d’actions d’information et d’éducation nutritionnelles. Le montant de cette contribution est égal à 1,5 % des investissements publicitaires annuels payés par les annonceurs aux régies. L’article 29 de la loi renvoie au décret d’application un certain nombre de précisions d’ordre pratique, qui suscitent de nombreuses interrogations. La loi ne donne en effet aucune indication quant au contenu et à la forme de l’information à caractère sanitaire qui doit apparaître. Les notions de « produits alimentaires manufacturés » ou « actions de promotion » n’ont pas été clairement définies par la loi. Enfin, la loi ne précise pas non plus par qui, ni comment, sera collectée la contribution. Le rapport d’objectifs de santé publique Ce rapport, annexé à la loi du 9 août 2004, a pour objectif de définir le cadre de référence, les principes généraux et les méthodes qui constituent les fondements de la politique nationale de santé publique. Il décrit les objectifs quantifiés et les plans stratégiques qui constitueront la politique de santé publique de la période 2004-2008. En matière d’obésité, il contient des objectifs quantifiables : la réduction de 20 % de la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les adultes, et l’interruption de la croissance de l’obésité et du surpoids chez les enfants. - Vers une législation spécifique en matière de lutte contre l’obésité ? En juillet 2004, le sénateur Claude Saunier a déposé une proposition de loi visant à la prévention et à la lutte contre l’obésité. L’exposé des motifs est sans ambiguïtés : « Le débat parlementaire des derniers mois a été centré sur la réforme de l’assurance maladie. Politiquement contestée, socialement inacceptable, cette “réforme” est techniquement inadaptée et condamnée à l’inefficacité selon l’analyse même des experts du ministère de l’Economie et des Finances. En parallèle, le Parlement a été saisi d’un projet de loi dit de “santé publique” sans ambition ni moyens. L’approche très insuffisante du dossier de l’obésité illustre la myopie gouvernementale et souligne les carences de l’actuelle politique de santé. Compte tenu des déficits actuels des régimes d’assurance maladie, il est malheureusement peu probable que l’importance qu’il conviendrait d’accorder à la prévention sanitaire soit prise en considération, tout au moins de façon assez significative pour être efficace. En d’autres termes, on désespère que les caisses gérant l’assurance maladie puissent avoir, au terme de ce processus, une marge de manœuvre financière suffisante pour consacrer des sommes relativement faibles à la prévention de pathologies qui leur coûtent et leur coûteront de plus en plus cher. L’obésité est une de ces pathologies, tout autant que le tabac ou l’alcool. » Afin de lutter contre ce fléau sanitaire, le sénateur a axé sa proposition autour de trois points : lancer un plan national et en confier la gestion à une « Agence de prévention et de lutte contre l’obésité », réglementer la publicité ou reconsidérer le régime fiscal de certains produits alimentaires. L’auteur estime que les encouragements à certains types d’offre alimentaire qui concentrent des risques particuliers, soit par le biais de la publicité, soit par le truchement de facilités de commercialisation dans des locaux publics, ne se justifient pas. Il juge nécessaire de réglementer plus sévèrement ces propositions alimentaires en interdisant la publicité télévisée pour les produits de grignotage excessivement gras et sucrés, et pour les sodas sucrés. En matière fiscale, il propose de traiter certains aliments de la même manière que les tabacs et les alcools, soit en révisant les taux de TVA applicables, soit en créant une taxe fiscale affectée à l’Agence nationale de prévention et de lutte contre l’obésité, taxe qui pourrait être assise sur les produits alimentaires composés dépassant un taux de calories au gramme ou une proportion de sucres et de graisses fixés par décret. LES FREINS INTERNATIONAUX Les organisations internationales spécialisées, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en particulier, promeuvent une action à l’échelle mondiale. Pour ce faire a été mis en place, dès les années 1960, le Codex alimentarius, qui est devenu la référence mondiale. Il fait autorité pour les consommateurs, les producteurs et les transformateurs de denrées, les organismes nationaux de contrôle des aliments et le commerce international. L’importance d’un tel code pour la protection de la santé a été soulignée en 1985 par la résolution 39/248 de l’Assemblée générale des Nations unies, qui a inspiré des directives pour l’élaboration et le renforcement des politiques concernant la protection du consommateur. Ces directives recommandent aux « gouvernements de tenir compte de la nécessité d’une sécurité alimentaire pour tous les consommateurs, et d’appuyer et, autant que possible, d’adopter les normes du Codex alimentarius », de la FAO et de l’OMS. Dans le cadre du Codex, de nombreux textes ont été adoptés visant à harmoniser les législations des États participants, en particulier dans le domaine de l’étiquetage. La norme générale en la matière est la norme Codex Stan 1-1985 (Rév. 2-1999). Le Codex comprend aussi des lignes directrices et des directives relatives à la nutrition. Ces textes visent à assurer des pratiques loyales dans la vente des aliments, tout en guidant les consommateurs dans le choix des produits. Les accords de Marrakech du 15 avril 1994, qui ont conclu l’Uruguay Round et donné naissance à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont considérablement renforcé la portée internationale des normes du Codex. L’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (accord « SPS ») fait du Codex une référence importante pour la détermination des limites dans lesquelles un État peut adopter des mesures relatives à la sécurité alimentaire, à la santé animale ou à la protection des végétaux ayant une incidence sur le commerce international. Ainsi, le préambule de l’accord SPS se prononce en faveur de l’« utilisation de mesures sanitaires et phytosanitaires harmonisées entre les membres, sur la base de normes, directives et recommandations internationales élaborées par les organisations internationales compétentes, dont la Commission du Codex alimentarius ». L’article 3 précise qu’« afin d’harmoniser le plus largement possible les mesures sanitaires et phytosanitaires, les membres établiront leurs mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base de normes, directives ou recommandations internationales, dans les cas où il en existe » et que « les mesures sanitaires ou phytosanitaires qui sont conformes aux normes, directives ou recommandations internationales seront réputées être nécessaires à la protection de la vie et de la santé des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux, et présumées être compatibles avec les dispositions pertinentes du présent accord et du Gatt de 1994 ». Il ajoute que « les membres participeront pleinement, dans la limite de leurs ressources, aux activités organisations internationales compétentes et de leurs organes subsidiaires, en particulier la commission du Codex alimentarius ». Il en découle qu’un membre, s’il peut « introduire ou maintenir des mesures sanitaires ou phytosanitaires qui entraînent un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaires plus élevé que celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur les normes, directives ou recommandations internationales pertinentes », ne peut le faire qu’à certaines conditions : il doit pouvoir mettre en avant une « justification scientifique » ou montrer que les mesures envisagées traduisent le choix d’un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire qu’il a jugé « approprié ». La détermination du niveau « approprié » de protection est soumise à certains critères définis à l’article 5 : nécessité d’une évaluation des risques, prise en compte de l’objectif de réduction au minimum des effets négatifs sur le commerce, exclusion des distinctions arbitraires ou injustifiables, si de telles distinctions entraînent une discrimination ou une restriction commerciale déguisée ; nécessité d’éviter les mesures « plus restrictives pour le commerce qu’il n’est requis » pour obtenir le niveau de protection « jugé approprié compte tenu de la faisabilité technique et économique ». Ainsi, depuis les accords de Marrakech, dès lors qu’existe une norme Codex, décider de s’en écarter en posant des conditions supplémentaires suppose une réelle capacité d’argumentation sur le plan scientifique.
Anne de Beaumont