Bulletins de l'Ilec

Cap sur la transparence - Numéro 360

01/02/2005

Entretien avec Christian Jacob, ministre des PME, du Commerce, de l’Artisanat, des Professions libérales et de la Consommation

Pourquoi, après le rapport Canivet, avoir réuni une nouvelle commission (Chatel) ? Qu’en attendre de plus ? Christian Jacob : Le rapport Canivet a pris la forme d’auditions des acteurs économiques suivies de propositions de juristes. Sur un sujet aussi important, avec des intérêts catégoriels aussi antagonistes, il fallait un temps au cours duquel les partenaires puissent confronter leurs arguments, face aux propositions du rapport. Faut-il privilégier la concertation entre les partenaires ou opter pour la loi ? C. J. : Depuis plusieurs années, la concertation entre partenaires, en dépit de l’effort des ministres successifs, n’a jamais permis de dégager un accord permettant de faire baisser concomitamment les marges arrière et les tarifs, afin de réduire les prix consommateurs. La circulaire Dutreil a échoué sur ce point. J’ai moi-même eu beaucoup de difficultés. En janvier dernier, fournisseurs et distributeurs n’ont pas trouvé d’accord sur l’application des accords du 17 juin pour l’année 2005. Un toilettage du Code de commerce, dans le sens d’une plus grande transparence des relations commerciales, est donc nécessaire aujourd’hui. Quel bilan pour la Commission d’examen des pratiques commerciales ? C. J. : Cette institution est encore jeune et son action devra encore s’affirmer. Pour ma part, je suis favorable à son renforcement, sous son nom actuel ou un autre, afin de lui permettre d’observer l’évolution des prix, des marges arrière et de l’emploi dans la distribution, et de rendre des avis sur les évolutions réglementaires à prendre pour pacifier les relations commerciales. Pourquoi êtes-vous hostile au prix « triple net », forme selon vous de « blanchiment » ? C. J. : Comme l’a expliqué le rapport Canivet, il y a deux systèmes juridiques purs en matière de droit commercial : le seuil de revente à perte tel que calculé dans la loi Galland et le triple net. Néanmoins, le passage de l’un à l’autre représenterait un bouleversement aux conséquences économiques non mesurables. Le gouvernement ne souhaite pas rallumer une guerre des prix que la loi Galland avait éteinte, au risque de sacrifier l’emploi dans le commerce de proximité et les PME du secteur agroalimentaire. S’il faut aider distributeurs et fournisseurs à trouver une voie pour restituer une partie des marges arrière au consommateur, nous sommes d’accord. S’il s’agit d’abuser de la technique des prix d’appel, qui trouble le consommateur et frappe notre tissu économique de petites entreprises de distribution et de transformation, nous ne sommes pas d’accord. Que préconisez-vous pour clarifier les relations entre distributeurs et industriels ? La diversité, au sein de chaque catégorie d’acteurs, n’ajoute-t-elle pas à la difficulté de trouver un terrain d’entente ? C. J. : Ce dossier est en effet extrêmement complexe et le rôle du Gouvernement ne consiste pas à chercher à tout prix un consensus impossible mais à choisir la meilleure réforme dans l’intérêt général. Comment définir la « bonne » coopération commerciale ? C. J. : La seule bonne coopération commerciale est celle qui offre un réel service au fournisseur qui paie pour cela. La baisse des prix ne risque-t-elle pas d’avoir des effets pervers en termes de baisse des investissements publicitaires, de lancement de produits reporté, d’embauches freinées ? C. J. : Une redynamisation du marché permise par un freinage raisonné des marges arrière et des tarifs serait positive pour le commerce. L’envie de consommer pourrait être aiguisée. En revanche, comme je m’en suis rendu compte lors d’un déplacement aux Pays-Bas, une forte baisse des prix non maîtrisée peut avoir des effets déflationnistes dramatiques (effondrement de l’emploi, des investissements et des référencements). Est-il possible de relancer la consommation uniquement en donnant du pouvoir d’achat supplémentaire ? Ne risque-t-il pas d’être détourné vers l’épargne de précaution ? C. J. : Les efforts du gouvernement en faveur du pouvoir d’achat sont favorables aux Français, qui demeurent libres d’utiliser ces gains comme ils le souhaitent. Pourquoi se focaliser sur les prix des grandes marques dans la grande distribution quand d’autres secteurs, indûment protégés de la concurrence, pratiquent des tarifications abusives ? C. J. : Le gouvernement travaille actuellement sur tous les aspects. Faut-il modifier la loi Raffarin ? Et toucher au seuil de 300 m2 ? C. J. : La loi de Jean-Pierre Raffarin a bâti un dispositif réglementaire très efficace qui oblige tous les acteurs locaux concernés par une création ou une extension de magasin à s’interroger sur les avantages économiques apportés par le projet. Cet outil évite un équipement commercial anarchique mais n’empêche pas le développement des nouveaux magasins. Quatre millions de m2 ont été attribués entre 1998 et 2004 par les commissions départementales d’équipement commercial (CDEC) et la Commission nationale (CNEC), pour un parc installé de 18 millions de m2. Quel est le seuil optimal en termes de part de marché pour les concentrations ? C. J. : Les autorités de régulation de la concurrence doivent pouvoir examiner la pertinence des acquisitions, non seulement au niveau national mais aussi au niveau de marchés locaux. Ne faut-il pas craindre que, à la suite des vœux du président de la République, des groupes de consommateurs et leurs associations intentent des actions collectives contre les « pratiques abusives observées sur certains marchés », le prix pouvant être considéré comme une pratique abusive s’il est jugé trop élevé ? C. J. : Un groupe de travail sera prochainement constitué, composé de juristes et d’institutions représentatives des consommateurs et des entreprises, qui réfléchira à l’ouverture de ce type d’actions contentieuses. Il devra proposer tous les verrous nécessaires pour éviter les recours abusifs. L’intérêt des entreprises est aussi que les consommateurs, se sentant bien protégés par des représentants armés pour les défendre, consomment dans un climat de confiance.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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