Concurrence assainie, prix plus libres - Numéro 366
01/10/2005
Le titre VI de la loi du 2 août 2005 porte sur « la modernisation des relations commerciales ». Que faut-il entendre par « modernisation » ? Luc-Marie Chatel : Il faut d’abord souligner que le secteur de la grande distribution et des échanges commerciaux est l’un des plus concurrentiels qui soient. C’est un milieu qui évolue très vite. D’où le terme de « modernisation », qui peut sembler emphatique : les dernières lois d’importance régissant ce secteur étaient la loi Galland et la loi Raffarin de 1996. Mais ces textes, qui ont tous eu leur utilité et leur efficacité, ont connu des détournements. En dix ans, l’équilibre des relations entre distributeurs et fournisseurs a été marqué par deux types de dérives, particulièrement ces dernières années. D’une part, certains produits ont connu une hausse de prix plus rapide en France que chez nos voisins européens. Le gouvernement s’était saisi de la question, et ses travaux avaient donné lieu à l’ « engagement sur les prix » finalisé par Bercy lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’économie et des Finances. D’autre part, ces travaux ont également permis de mettre au jour des pratiques commerciales opaques, comme les marges arrière, qui ont beaucoup progressé ces dernières années, sans que le droit permette de les appréhender et de les contrôler efficacement. D’où la mise en place de groupes de travail, dont l’objectif était précisément d’étudier ces deux phénomènes et d’apporter des réponses efficaces, qui permettent à la législation encadrant les relations commerciales de s’adapter aux nouvelles conditions d’échange. Ce qui justifie le terme de modernisation. Ainsi, la commission d’experts présidée par Guy Canivet et la mission d’information parlementaire, que j’ai eu l’honneur de présider, ont procédé à l’audition de l’ensemble des acteurs concernés, afin d’avoir une vue exhaustive du sujet et de proposer un texte équilibré entre les intérêts de toutes les parties. Quels ont été les sujets les plus sensibles dans les débats ? L.-M. C. : Tous les sujets abordés par ce titre VI sont importants. Les débats au sein de l’Hémicycle ont montré que les relations commerciales dans leur ensemble sont un sujet sensible. Néanmoins, un article a mobilisé tous les acteurs du secteur : l’ex-article 31, aujourd’hui article 47, relatif au seuil de revente à perte, qui a été modifié par rapport au texte initial. Je tiens à souligner que c’est par souci de transparence des relations commerciales, et en faveur des chefs d’entreprise artisanale, que j’ai défendu un amendement visant à réduire progressivement les marges arrière, avec pour objectif final de les supprimer tout à fait d’ici cinq ans. Cet amendement reprend d’ailleurs l’une des propositions de la mission d’information sur les relations commerciales. Nous avions constaté que les marges arrière s’élevaient en moyenne, à 33,5 % du prix net facturé des articles (tous produits de grande consommation de marque nationale), et qu’elles s’échelonnaient de 5 % à 70 % selon les secteurs. Elles n’ont cessé d’augmenter ces dernières années : de 21,9 % du prix net facturé en 1998 à 30,7 % en 2002, 32 % en 2003… Le niveau atteint en 2005 était par trop excessif. L’ambition de mon amendement était donc de prévoir le transfert progressif du maximum de marges arrière vers l’avant, c’est-à-dire de permettre la baisse du seuil de revente à perte. Un autre amendement devait permettre aux commerçants indépendants de continuer à jouer leur rôle, fondamental. Le second objectif était de mettre fin à un système de rémunération opaque. Je me permets de souligner que ce dispositif s’insère dans un ensemble équilibré, avec l’encadrement de la coopération commerciale, l’inversion de la charge de la preuve, des mesures destinées à accélérer les procédures judiciaires et le renforcement du dispositif de contrôle et de sanction des abus. Enfin, les détaillants indépendants bénéficieront, lorsqu’ils achètent des produits à des grossistes, d’une minoration du seuil de revente à perte selon un coefficient fixé à 0,9. La loi précise explicitement que le rapport qui sera remis au Parlement, avant le 1er octobre 2007, devra évaluer l’opportunité de baisser à 10 % puis à 0 % le niveau des marges arrière (article 57). Quelles autres dispositions vous paraissent très importantes ? L.-M. C. : Outre l’article 47, on peut citer l’interdiction des seuls accords de gamme abusifs (articles 40 et 48), et surtout l’article 41, qui vise à clarifier et à définir des conditions générales de vente. Il a d’ailleurs été adopté à l’unanimité. Les conditions générales de vente constituent le socle de la négociation commerciale. Elles doivent comporter les conditions de vente, le barème des prix unitaires, les réductions de prix, les conditions de règlement. Elles peuvent être différenciées en fonction de la nature ou du mode de distribution, ou des catégories d’acheteurs et de produits, notamment entre grossistes et détaillants. Des conditions particulières de vente peuvent être négociées. Le texte introduit également une définition légale du contrat de coopération commerciale, qui doit préciser le contenu des services, ainsi que les modalités de leur rémunération. Au-delà des articles concernant strictement le domaine des relations commerciales, trois articles ont une importance non négligeable : en premier lieu, et à mon initiative, un amendement a prévu la possibilité de changer d’opérateur de téléphonie, mobile ou fixe, en gardant le même numéro, en moins de dix jours (article 59). Ensuite, et c’est à mes yeux un signal fort pour tout ce qui concerne les relations commerciales au niveau mondial, et un signe de notre temps : à l’initiative de notre collègue Antoine Herth, député du Bas-Rhin, un dispositif encourageant le développement du commerce équitable (article 60) a été adopté à l’unanimité. Je citerais enfin l’initiative du président de la commission des Affaires économiques, qui a présenté un amendement du gouvernement soumettant au droit de préemption de la commune les cessions de fonds de commerce ou de droit au bail commercial (article 58) Quelles sont celles que vous aviez préconisées dans votre rapport et qui n’ont pas été retenues ? L.-M. C. : La mission d’information a bien travaillé. La quasi-totalité de ses préconisations a été retenue dans le texte présenté par le ministère. Je n’ai pour ma part qu’un regret : j’avais proposé que les amendes sanctionnant les entreprises qui n’appliqueraient pas la loi abondent un fonds destiné à financer les associations agréées de consommateurs. Je pars en effet du principe que la victime finale des contrevenants est le consommateur (par la hausse des prix ou la mauvaise qualité des produits proposés). Or, en France, seules peuvent mener des actions juridiques pour ce préjudice les associations de consommateurs (loi du 18 janvier 1992), via l’action en représentation conjointe. Malheureusement, elles manquent de moyens pour pleinement utiliser ce droit. La création du fonds aurait permis de pallier ce manque. Mais une réflexion est en cours sur la mise en place d’actions collectives en France. Cette innovation aura davantage sa place dans la discussion d’un tel texte. C’est une idée à suivre. Allons-nous vers un régime de liberté totale des prix ? L.-M. C. : Nous maintenons l’interdiction de la revente à perte, ce qui interdit une liberté totale des prix. Mais en clarifiant les relations commerciales, en rééquilibrant les rapport entre les acteurs du marché, nous allons assainir la concurrence, ce qui va permettre une plus grande liberté des prix.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard