Une complexité préoccupante - Numéro 366
01/10/2005
Quelles son les principales avancées de la loi du 2 août 2005 réformant la loi Galland ? Louis Vogel : Deux avancées sont majeures, qui s’inscrivent dans un mouvement libéral. La première porte sur la restauration de la liberté de négociation des conditions commerciales. La loi confirme la faculté de prévoir des conditions de vente différenciées et consacre ainsi, sur le plan législatif, ce qui était déjà inscrit dans la circulaire Dutreil mais que la jurisprudence n’appliquait pas. La loi prévoit également d’insérer des conditions particulières de vente (également inscrites dans la circulaire Dutreil), qu’il n’est pas nécessaire de communiquer et que l’on peut donc négocier entre opérateurs librement, sous réserve de pouvoir justifier de contreparties. Cette liberté commerciale rapproche le droit de la réalité économique. En second lieu, le législateur a voulu encourager la concurrence par les prix par l’abaissement progressif du seuil de revente à perte qui permet de répercuter davantage de marges arrière dans les prix, élargissant ainsi le domaine de la concurrence entre distributeurs. Renaud Dutreil s’est engagé à publier une circulaire sur les « points qui posent problème dans l’application de la loi ». Cette circulaire s’inscrit dans une phase « pédagogique ». Quelles sont les zones d’ombre ? L. V. : Soulignons, tout d’abord, la complexité de la loi, et la multiplicité des amendements déposés, qui n’a pas joué en faveur de sa simplification. La circulaire sera donc très utile pour éclairer les zones d’ombre. Le texte a été adopté en urgence, et l’écriture n’en est pas d’une grande limpidité. Il est très imprécis dans ses termes. Ainsi, le mot « service » est utilisé plusieurs fois avec des sens différents : les services de coopération commerciale, les services distincts de la coopération commerciale, les services qui justifient les conditions particulières de vente, et pourquoi pas des services qui ne justifieraient que des conditions générales de vente ! Le même terme est donc susceptible d’être interprété différemment. Du fait de la forte pénalisation qui caractérise le texte, beaucoup de notions deviennent des éléments constitutifs d’incriminations pénales. Or ces éléments ne sont pas toujours clairement déterminés. Il en est ainsi de la notion d’ « autres avantages financiers », qui doit se définir par rapport à celle d’ « avantages financiers » : ils sont autres que ceux portés sur la facture, mais à partir de quel moment doit-on les prendre en considération ? Exemple : les ristournes conditionnelles doivent-elles être prises en considération quand elles sont acquises, de principe acquis, ou suffit-il que l’opérateur s’engage à réaliser l’objectif qui conditionne la remise ? Autre interrogation : il est prévu différentes façons d’appliquer, en 2006, le plafond amortisseur : certains proposent de l’appliquer à la marge arrière, d’autres au taux de réduction du seuil de revente à perte ! Un texte qui permet deux interprétations pour un élément constitutif d’incrimination pénale pose problème. La loi comporte-t-elle des innovations destinées à rendre son application efficace ? L. V. : La loi vise à l’efficacité en renforçant les sanctions pénales. Cette démarche s’inscrit dans un mouvement de pénalisation du droit économique, mais les sanctions pénales, dans ce contexte, ne sont pas très utiles. A priori, l’administration dispose d’un pouvoir de transaction, la composition pénale est introduite, ainsi que l’ordonnance pénale. L’existence de ces mécanismes de négociation, qui permettent également d’accélérer les procédures, va se heurter au problème de l’imprécision de la loi. Le juge pénal sera très réticent à appliquer des textes mal définis. Soulignons qu’il en était de même pour le texte pénal de la revente à perte, qui était très peu appliqué Le renforcement du dispositif pénal vous paraît-il pertinent, et suffisant en l’absence de publicité des sanctions ? L. V. : Selon moi, cette pénalisation n’est pas efficace, car la matière économique, complexe et changeante, n’est pas adaptée, par nature, au droit pénal. L’incrimination pénale est rigide et fixe, elle repose sur des principes nécessairement connus à l’avance, dont le principe de légalité des délits et des peines. L’économie et le droit répondent à des logiques différentes. Il est très difficile de réguler une matière aussi mouvante que les prix et les négociations commerciales par le biais du droit pénal. D’autre part, la procédure correctionnelle et les juridictions répressives ne sont pas adaptées : le juge pénal, juge généraliste, n’est pas, a priori, compétent en matière économique, et les juridictions sont encombrées. Globalement, le Code de commerce a-t-il gagné en clarté au bénéfice des opérateurs et des consommateurs, ou s’est-il à l’inverse alourdi de nouveaux sujets de chicane ? L. V. : Le Code de commerce n’a évidemment pas gagné en clarté. Nous l’avons alourdi d’un ensemble de dispositions qui, dans leur forme, s’apparentent à des dispositions fiscales, comme celles du calcul du seuil de revente à perte. Rappelons qu’un code spécifique de la consommation a été créé pour éviter d’introduire dans le Code du commerce des dispositions trop techniques. Ici, nous avons fait l’inverse, en créant des dispositions très techniques, inscrites dans un code dont la vocation est autre. Le meilleur exemple de la complexité introduite est celui du seuil de revente à perte, équation mathématique à inconnues multiples ! Ajoutons les dispositions concernant les accords de gamme : le texte pose tellement de conditions que son efficacité semble problématique.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard