Au-delà des faux-semblants - Numéro 367
01/11/2005
Rentabilité et performance : de quoi parle-t-on ? Au cours de la période récente, marquée par plusieurs consultations visant à la réforme du Code de commerce, qui a finalement abouti le 2 août dernier, maintes voix se sont exprimées, pour juger de la rentabilité dans le secteur des produits de grande consommation. Bon nombre ont défendu l’idée que la performance économique et financière des industriels était de loin supérieure à celle des distributeurs. A la base de cette affirmation, des concepts inappropriés entretiennent les malentendus. L’étude que le Pr Parienté vient de publier(1) coupe court à la polémique, en proposant des modèles de calcul au plus près de la réalité économique, fondés sur des critères permettant une rigoureuse comparaison des performances économiques et financières, tant entre industriels et distributeurs qu’au sein de ces deux groupes d’acteurs. En procédant à l’analyse des leviers d’optimisation de la rentabilité, Simon Parienté dresse un bilan de santé du secteur des PGC dans son ensemble. Docteur ès sciences de gestion, Simon Parienté est professeur à l’Institut Administration Entreprise (IAE) Toulouse. Sa thèse d’Etat, soutenue en 1977, a eu pour objet la « gestion financière des entreprises du grand commerce de détail ». Il enseigne la finance d’entreprise, l’analyse financière et boursière, l’évaluation de l’entreprise et de ses titres. Parmi ses principales publications figurent Techniques financières d’évaluation (Economica, 1995), Analyse et mathématiques financières (Vuibert Gestion, 1991), La Révolution commerciale en France, du Bon Marché à l’hypermarché, (collectif, sous la direction de Jacques Marseille, Le Monde Editions, 1997). Depuis le début des années 80, il a consacré une trentaine de travaux à la distribution et à ses fournisseurs, en France et en Europe (déterminants de la performance par catégories de produits, performances du commerce indépendant, performances boursières des acteurs, comparaisons industrie-commerce…). L’étude du Pr Parienté montre qu’une comparaison pertinente et exploitable de la rentabilité doit être fondée sur l’analyse de la valeur ajoutée, et non sur le ratio « résultat net sur chiffre d’affaires », qui rend impossible la comparaison entre les activités à forte valeur ajoutée de l’industrie et les activités à moindre valeur ajoutée de la distribution. C’est au cœur de l’activité des acteurs de la grande consommation que l’évaluation de la rentabilité doit être opérée, montre Simon Parienté, en s’appuyant sur les concepts de taux de retour sur capital investi – qui mesure le bénéfice de l’entreprise pour chaque euro investi – et de création ou destruction de valeur(2) – qui évalue si le retour du capital investi engendre un bénéfice supérieur ou inférieur à son coût. La mesure de la rentabilité des groupes d’acteurs est obtenue par la combinaison de quatre variables fondamentales : la rentabilité du capital employé (comparaison entre le revenu et le capital nécessaire pour l’obtenir) ; le coût des capitaux (prix du financement par les fonds propres empruntés) ; le mode d’acquisition du profit (management par les marges ou par les volumes) ; la structure financière (impact du mode de financement de l’activité économique sur la création de valeur, aptitude à utiliser la dette comme levier de financement). L’analyse croisée des performances des acteurs fait apparaître que le mode d’acquisition du profit par une forte politique de marge (politique de marque, forts investissements en communication, recherche et développement) s’avère nettement plus payant qu’une recherche de la rotation maximale du capital (politique de réduction des coûts, minimisation des investissements, accroissement du volume d’affaires). Cela est vrai pour les industriels comme pour les distributeurs. Employée à compenser l’étroitesse des marges, la croissance du volume de chiffre d’affaires s’essouffle. C’est la configuration économique la plus dangereuse pour la santé des entreprises industrielles, caractéristique de celles qui sont cantonnées à un rôle de façonniers pour le compte d’autrui (fabrication de marques de distributeurs). Et la plus menaçante pour la santé du secteur dans son ensemble. La période étudiée (1999-2003) fait cependant apparaître un avantage global à la distribution en termes de création de valeur. L’évolution de la rentabilité comparée des industriels et des distributeurs s’est inversée en 2003, à l’avantage des seconds. Le ratio de création de valeur s’est élevé de 3,6 % en 2000 à 6,4 % en 2003 pour les distributeurs, et seulement de 4 % à 5,3 % pour les industriels. Cette évolution résulte de trois facteurs : le coût du capital des distributeurs est inférieur à celui des industriels, car ils effectuent beaucoup moins d’investissements lourds ; le crédit interentreprises (crédit fournisseurs) alourdit le bilan des industriels, alors qu’il procure une trésorerie abondante et à bas prix aux distributeurs ; la marge opérationnelle des distributeurs augmente plus vite que le volume des ventes, en raison d’un rapport de force favorable avec les fournisseurs. En allant plus en détail, la comparaison des résultats entre les industriels connus pour leurs marques, et dont les ventes sont supérieures à 100 millions d’euros, et les industriels dont les ventes sont inférieures à cette somme, fournit des arguments éloquents en faveur du rôle stratégique et protecteur de la marque dans la création de valeur. Les industriels qui peuvent se différencier par leurs marques sont beaucoup plus efficaces, en termes de création de valeur, non seulement que les autres fabricants, mais également que l’ensemble des distributeurs. En revanche, le groupe de fabricants qui n’investissent pas dans la marque (façonniers de marques de distributeurs et de premiers prix) « détruit » de la valeur. L’étude de la période 1999 à 2003 met aussi en évidence la montée en puissance du maxidiscompte. Facteur de paupérisation globale du secteur, le maxidiscompte se caractérise pourtant par une création de valeur pour l’actionnaire deux fois plus importante que celle de l’ensemble des industriels de la grande consommation, quelle que soit la nature de leur activité. C’est la structure financière du format maxidiscompte qui explique sa suprématie actuelle en termes de création de valeur : faible coût du capital (peu d’investissements) ; forte capacité d’autofinancement ; forte rotation du capital investi (gros volumes) ; marges importantes (minimisation du coût des marchandises, peu de prélèvements effectués sur la valeur ajoutée au titre des salaires). L’étude montre enfin que le mode d’acquisition du profit le plus fiable et pérenne pour créer de la valeur est celui de la marge. Les décisions managériales ou politiques allant dans le sens d’une contraction des marges des distributeurs – via une baisse des prix de revente – ne vont pas dans celui de la création de valeur. Elles favorisent, par compensation, l’intensification des stratégies de volume chez les fabricants de marques de distributeurs et de premiers prix, pis-aller susceptible d’accélérer la concentration du tissu commercial, au détriment des PME, qui n’ont ni la taille critique ni la notoriété suffisante pour en supporter les effets destructeurs, ou pour imposer leurs propres marques. Les conclusions qui précèdent résultent d’un double examen des données comptables : en 2003 (analyse ponctuelle) et sur la période 1999-2003 (analyse dynamique). C’est à partir de ces données que les calculs de performance ont été menés, donnant des indications tendancielles sur cinq ans en matière d’enrichissement par grands sous-ensembles, par formats de vente ou par métiers. Deux étapes complémentaires ont été nécessaires : agrégation des comptes sociaux des entreprises entre 1999 et 2003, pour avoir des résultats par groupes d’acteurs ; étude individuelle des sociétés, pour caractériser des populations, notamment en fonction de la nature du métier exercé, du niveau de la création de valeur, de la dominante stratégique ou du crédit interentreprises. Les échantillons d’entreprises observées sont constitués d’industriels de produits de grande consommation (1 473 sociétés, pour un chiffre d’affaires global de 55,3 milliards d’euros) et de distributeurs (1 649 sociétés, 91,5 Mds € ). Ces deux populations sont elles-mêmes composites, suivant le format de vente pour les distributeurs (hypermarché, supermarché, maxidiscompte), la nature de l’activité pour les industriels (trois familles dans l’alimentaire, trois dans le non-alimentaire)(3). (1) Op. cit. (2) « Création de valeur d’un exercice (CVE) » : création économique de valeur correspondant à l’excédent de la rentabilité des capitaux investis dans l’activité industrielle (ou commerciale pour les distributeurs) sur leur coût financier ; équivalent du terme anglais economic value added ou EVA (JO du 14 mai 2005). On parle également de capteur résiduel d’enrichissement ou d’appauvrissement. (3) Travail des grains, industrie laitière et corps gras (199 sociétés) ; boissons (231 sociétés) ; autres industries alimentaires (304 sociétés). équipement du foyer (110 sociétés) ; équipements de la personne (502 sociétés) ; savons, parfums et produits d’entretien (127 sociétés).