Bulletins de l'Ilec

Mieux prévenir pour mieux protéger - Numéro 368

01/12/2005

Entretien avec Guillaume Cerutti, directeur général de la DGCCRF

Pourquoi l’année 1905 est-elle une année2 fondatrice dans le domaine de la répression des fraudes ? Guillaume Cerutti : C’est en 1905, le 1er août 1905 pour être précis, que fut promulguée une loi fondatrice sur la répression des fraudes et des falsifications. Avant cette date, il existait certes un cadre juridique, mais imparfait : plusieurs lois spéciales avaient été votées pour lutter contre les fraudes concernant des produits précis (engrais, vins, beurres, sérums thérapeutiques). L’innovation de la loi de 1905 tient à sa portée générale, et à l’introduction de moyens de contrôle s’appuyant sur des bases scientifiques. Comment la loi du 1er août 1905, destinée dans un premier temps à réguler le jeu du marché, est-elle devenue le symbole de la protection du consommateur ? G. C. : Il faut se rappeler que la loi a été votée sous la pression des associations et syndicats agricoles, à une époque où les principales fraudes portaient sur le lait et le vin. Son objectif principal était clairement d’améliorer la surveillance du marché. Mais la protection des consommateurs ne fut pas pour autant totalement absente des débats. À la Chambre des députés, le souci de la santé des consommateurs, en particulier la lutte contre les fraudes sur le lait, responsables d’une importante mortalité infantile, fut rappelé par plusieurs députés. Au fil des années, la loi se développa dans le sens de la protection du consommateur, grâce à la souplesse que lui avait conférée le législateur. Le gouvernement publia des textes réglementaires de définition des produits, jetant les premiers éléments d’une politique de qualité. Parmi les étapes importantes, citons la loi du 10 janvier 1978 (loi Scrivener), qui a élargi le champ de la loi de 1905, limité jusque-là aux marchandises, au secteur des services ; puis la loi du 21 juillet 1983 (loi Lalumière), qui pose la responsabilité du professionnel en édictant que « dès leur première mise sur le marché, les produits doivent répondre aux prescriptions en vigueur relatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté des transactions et à la protection des consommateurs » ; enfin la loi Neiertz (23 juin 1989). Ainsi modifiée et enrichie, la loi de 1905 a conservé son caractère original : charte du commerce honnête, comme on la présentait à sa naissance, elle a réussi son adaptation à la production de masse et à la montée du phénomène consumériste, pour devenir la bible de la sécurité alimentaire et physique. Cette loi qui portait en germe la protection du consommateur, est devenue le texte clé dans ce domaine. Quelles sont les innovations juridiques apportées par cette loi ? G. C. : Je vois trois innovations essentielles. D’abord, la loi de 1905 fixe un cadre général et renvoie au pouvoir réglementaire le soin de prendre des règlements d’administration publique, l’équivalent de nos décrets ; on a pu décompter 350 décrets et 1052 arrêtés qui en découlent ; grâce à cette souplesse, la loi s’est adaptée en permanence aux évolutions du marché et de la consommation. Ensuite, elle intègre l’idée de contrôles s’appuyant sur des méthodes d’analyse scientifiques. Enfin, par rapport aux textes de lutte contre la fraude qui précédaient, elle cherche à être préventive puisqu’elle ne frappe pas seulement la tromperie, mais aussi la tentative de tromperie. En quoi la loi de 1905 a-t-elle inspiré ensuite notre droit, et le droit international, particulièrement communautaire ? Cette loi est-elle encore appliquée ? G. C. : Avec des nuances et des orientations spécifiques, le législateur de 1905 a doté la France d’un outil de détection des fraudes parmi les plus performants, en lui accordant un cadre juridique étendu, comme l’avaient fait les Belges auparavant (1890) et comme l’ont fait les Américains par la suite (Pure Food and Drug Act, 1906). Par la pertinence et l’audace de ses solutions, la loi du 1er août 1905 a été un modèle pour de nombreux pays européens et africains, lorsqu’il s’est agi pour eux d’élaborer un droit de la consommation. La loi a aussi inspiré certains pans du droit communautaire de la consommation. Son effet d’entraînement s’est fait sentir dans le cadre du Codex alimentarius ou d’autres instances, comme l’Office international du vin. Le problème des règles d’harmonisation minimale, toujours présent en droit communautaire, s’est bien sûr posé en matière de fraudes et de falsifications. Face à l’hétérogénéité des législations nationales, la Communauté européenne, fidèle à l’esprit du traité de Rome, s’est efforcée de réaliser un cadre économique reposant sur des concepts juridiques clairs et précis, permettant d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en assurant un niveau de protection élevé, au sens de l’article 129 A du traité de Maastricht. Mais le principe de subsidiarité permet aux états d’appliquer des mesures de protection plus fortes, dès qu’elles n’ont pas d’objet ou d’effets anticoncurrentiels à l’égard de leurs partenaires. C’est pourquoi la loi codifiée demeure une référence pour la DGCCRF. Transformée en article L.214-1 du Code de la consommation depuis 1993, elle a continué d’inspirer le travail législatif et réglementaire : de nombreux textes ont été élaborés, dans des domaines aussi divers que la présentation, la pesée, la classification et le marquage des carcasses des espèces bovines, ovines et caprines, les préparations à base de foie gras, les OGM, les plantes ornementales, ou la consommation en énergie des réfrigérateurs et congélateurs électriques à usage domestique... Comment souhaitez-vous renforcer les missions de la DGCCRF – créée en 1985 mais dont les origines remontent à 1907 – et étendre son champ d’intervention, particulièrement dans le domaine des risques sanitaires et environnementaux ? G. C. : La Loi organique relative aux lois de finances confie à la DGCCRF une mission de protection de la santé et de la sécurité des consommateurs. Pratiquement, nous exerçons cette mission en vérifiant que les produits alimentaires répondent aux exigences de la réglementation nationale et européenne. Cette dernière se densifie dans le domaine des contaminants, qu’ils soient biologiques (« paquet hygiène » et réglementation sur les mycotoxines) ou chimiques. Dans cette catégorie, les polluants chimiques d’origine environnementale occupent une part croissante. Ainsi, des textes ont été adoptés ou sont en discussion sur les nitrates, les dioxines, les polychlorobiphényles, les métaux lourds, les benzopyrènes. Nous sommes donc amenés à nous intéresser à l’influence de l’environnement sur les aliments. En revanche, nous n’avons pas vocation à étendre cette activité aux autres milieux que sont l’eau, l’air et le sol. Faut-il ou non une procédure d’action collective à la française ? Doit-elle se limiter aux litiges dans le domaine de la consommation, ou inclure le champ du droit de la concurrence ? G. C. : En début d’année 2005, le président de la République a souhaité que soient créées de nouvelles procédures qui renforceraient les dispositifs existants et permettraient à des groupes de consommateurs, et à leurs associations, d’intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés. Un groupe de travail composé de dix-sept membres, représentant les consommateurs, les entreprises et les professionnels du droit, a été installé le 12 avril dernier. Il a procédé à un examen de différents dispositifs en vigueur à l’étranger (états-Unis, Québec, Angleterre, Suède, Portugal), dressé un bilan de la mise en œuvre et des limites des actions en justice actuellement ouvertes aux associations de consommateurs, puis exploré les possibilités d’introduction d’une action de groupe en droit français. Le groupe de travail a remis récemment son rapport aux ministres. La question du champ est l’une des questions centrales. Le rapport recense les options possibles. Il examine également la prise en compte, dans la détermination du champ de l’action de groupe, de la réparation des préjudices issus des pratiques anticoncurrentielles. Le gouvernement déterminera, à partir des propositions contenues dans le rapport, et sur la base d’une consultation publique, les suites opérationnelles susceptibles de répondre à la « commande » passée par le président de la République. Quid de la remise à plat du droit de la consommation, idée que vous avez esquissée lors d’un récent colloque de l’UFC-Que choisir ? G. C. : Le droit de la consommation a donné lieu, il y a un peu plus de douze ans, à une codification à droit constant. Le Code de la consommation regroupe de nombreux textes concernant la protection des consommateurs qui ont été adoptés au fil du temps, le plus ancien étant la loi du 1er août 1905. Le Code est en permanence modifié et complété par de nouvelles dispositions, d’origine nationale ou communautaire. Selon le groupe de travail juridique mis en place par l’Institut national de la consommation, qui a rendu ses conclusions à l’occasion d’un colloque, le 4 novembre dernier, le Code de la consommation n’est pas facilement accessible aux consommateurs, en raison tant de la complexité des textes que des difficultés provoquées par la méthode de codification retenue. Sans bouleverser ni affaiblir le droit de la consommation, il paraît nécessaire de toiletter le Code, pour le rendre plus clair et plus facilement utilisable par les consommateurs. Diverses opportunités nous permettront d’avancer dans ce sens dans les prochains mois, notamment la nécessaire transposition de la directive du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des professionnels à l’égard des consommateurs. Il conviendra, en effet, d’édicter un principe général d’interdiction des pratiques commerciales déloyales, d’adapter les dispositions des articles L.121-1 et suivants, relatives à la publicité trompeuse et mensongère, en y intégrant les dispositions relatives aux omissions trompeuses, d’interdire expressément les pratiques agressives, et de reprendre, en lui conférant une valeur normative, la liste des pratiques commerciales déloyales interdites annexée à la directive. Est-il envisagé de réformer la Commission des clauses abusives, et si oui, dans quel sens ? G. C. : La Commission des clauses abusives, organisme indépendant placé auprès du ministre chargé de la Consommation, examine les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels à leurs co-contractants non professionnels ou consommateurs. Elle recherche si ces documents contiennent des clauses qui pourraient présenter un caractère abusif. La Commission a accompli un magnifique travail depuis trenet ans. Ses recommandations contribuent à assurer un meilleur équilibre dans les relations contractuelles entre les professionnels et les consommateurs, en évitant la présence de clauses abusives dans les contrats, ou en favorisant leur élimination. Une orientation possible pour faire évoluer le rôle de la Commission serait de renforcer son rôle consultatif. Une réflexion a été ouverte sur les conditions de mise en œuvre d’une saisine à titre préventif. Il s’agirait d’une saisine volontaire et facultative, par un professionnel qui souhaiterait obtenir l’avis de la Commission sur un projet de contrat destiné aux consommateurs. Un examen a priori des contrats permettrait de prévenir la présence de clauses abusives. Cette idée est donc séduisante, mais comme toutes les idées séduisantes, il faut être sûr qu’elle ne pose pas de problèmes de droit, ou de compatibilité avec la charge de travail de la Commission.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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