Prime à la modernité et à la simplicité - Numéro 371
01/04/2006
Quel regard de styliste portez-vous sur les grandes surfaces ? Hubert de Malherbe : Le marché de masse dans le secteur alimentaire est un modèle qui, depuis les années 1960, n’a pas fondamentalement évolué, en dépit de quelques changements tactiques. Il demeure celui de nos mères. Leur époque était marquée par la frénésie d’équipement. Leurs filles ne veulent plus faire leurs courses comme elles. L’arrivée du maxidiscompte doit être appréhendée comme une attaque par défaut, en réponse à l’embourgeoisement des enseignes, qui ont multiplié les références en dépit du bon sens et des intérêts des consommateurs. Seul Leclerc a maintenu son discours militant. Nous assistons à un retour de bâton, encore que le mouvement semble s’atténuer, comme l’attestent les résultats du maxidiscompte en 2005. Pourquoi ? H. de M. : La réussite du commerce est fondée sur la capacité à attirer le chaland, plus que jamais nécessaire dans une société où les consommateurs sont blasés, car ils possèdent déjà l’essentiel en termes d’équipement, de loisirs ou d’alimentation. L’effort doit donc porter sur la recréation de l’attrait des points de vente, et concerner aussi bien la manière dont on fait ses courses que les produits qu’on achète. Le modèle français de distribution manque cruellement de diversité. Quels sont les nouveaux horizons ? H. de M. : Nous sommes passés d’une société de consommation à une société d’émancipation, où le consommateur est devenu plus exigeant. En témoigne son inclination pour le luxe et ce qui en fait la rigueur, à savoir la simplicité et l’élégance. Les enseignes n’ont eu que des réponses tactiques à des changements structurels. Elles doivent apporter un contenu plus élitiste, tout en promouvant la réduction des coûts, qui n’est pas synonyme de maxidiscompte ou de paupérisation. Le commerce doit être résolument moderne, simple et créateur de valeur. Ce sont les trois principes qui fondent le succès d’une enseigne comme Ikea. Le commerce peut proposer des produits beaux et pas chers, comme la collection Karl Lagarfeld que distribue l’enseigne H & M. Il doit aussi revenir à plus d’humanité. Le commerce efficace est celui où les gens sont respectés, écoutés, formés et bien dirigés. Point de salut sans respect de l’homme. Deuxième règle : revenir aux origines, à la culture locale, loin de la globalisation du style, identique où que vous soyez dans le monde. Gommer la différence, c’est tuer l’attractivité commerciale. Enfin, qu’on arrête de faire de l’eau qui mouille et du feu qui brûle ! Il faut surprendre, avec une véritable innovation, sans se reposer sur des tests de consommation qui annihilent la prise de risque et conduisent au compromis. Quelles synergies préconisez-vous entre les distributeurs et fabricants de marques, pour des assortiments plus efficaces ? H. de M. : Aujourd’hui, les distributeurs ne font que distribuer. Leur prise de parole autour du produit est presque nulle, même s’ils montrent beaucoup de frénésie pour signer des produits à leur marque. Monoprix est le contre-exemple. Cette enseigne, sur laquelle les pronostics de survie étaient très réservés il y a une quinzaine d’années, a réussi à se singulariser en proposant un assortiment original, qui suscite l’envie. Les marques de distributeurs doivent cesser d’être dans le sillage des marques nationales, et revendiquer une identité propre. Alors que ces marques sont chez elles dans les magasins, elle se comportent comme si elles ne l’étaient pas ! Les marques de fabricants ont aussi des efforts à faire pour réveiller le désir de consommer.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard