Bulletins de l'Ilec

Le crocodile contre les requins - Numéro 372

01/06/2006

Entretien avec Philippe Lacoste, directeur des relations extérieures de Lacoste

Depuis quand la société Lacoste est-elle victime de la contrefaçon, et quels sont les produits particulièrement touchés ? Philippe Lacoste : C’est dès la fin des années 1960 que nous avons commencé à être confrontés à la contrefaçon, particulièrement en Amérique du Sud. Outre la lutte sur le terrain, nous avons parallèlement dû défendre notre marque contre les dépôts et enregistrements pirates effectués par des tiers avant nous dans un certains nombre de pays. Chaque fois, c’est un combat de longue haleine, qui peut durer de quinze à vingt ans. L’issue finale de ces luttes ne dépend malheureusement pas que de nous, selon que les pays où sévit la contrefaçon ont ou non des lois la réprimant, que les juges les appliquent ou non dans toute leur rigueur, et que les autorités de police sont ou non disposées à agir. Convaincre tous ces interlocuteurs relève souvent du marathon. Il faut être capable de tenir la distance. Quelle est la géographie de la contrefaçon des produits Lacoste ? Les pays fabricants et les pays consommateurs ? P. L. : Si, au départ, la contrefaçon ne portait que sur le polo, notre principale activité, elle s’est ensuite étendue à l’ensemble des produits que nous commercialisons à notre marque. Huit catégories sont touchées : vêtement, maroquinerie, chaussure, parfum, textile de maison, lunette, montre et ceinture. Notre crocodile est bien sûr copié de différentes façons. Lacoste devient Lacustre ou J’accoste en France, Crocodile à Singapour, Caïman en Corée. Nous nous battons partout, même dans les pays où nous ne sommes pas encore présents, afin de prévenir les risques à venir. Aujourd’hui, c’est surtout en Asie que la contrefaçon est la plus importante pour notre marque, et il n’est pas de pays qui ne soit consommateur de produits contrefaits. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller à la Porte de Saint-Ouen ! L’augmentation de la contrefaçon est-elle linéaire, ou observez-vous des ruptures dans son ampleur et une évolution dans la manière d’écouler les produits contrefaits ? P. L. : Nous sommes, depuis la fin des années 1990, confronté à un système organisé qui dispose de moyens très importants. Si l’on s’en tient au seul univers des chaussures, l’achat de moules pour les fabriquer peut atteindre des sommes très élevées. La contrefaçon est moins risquée, par sa sanction pénale, et plus rémunératrice, que le trafic de drogue ou d’armes, d’où son ampleur récente. Les contrefacteurs sont disposés à beaucoup investir pour un gain substantiel et il devient très difficile de remonter la filière. Combien avez-vous engagé de procédures et combien de faux produits avez-vous saisis en 2005 ? P. L. : Nous avons engagé quatre mille procédures et saisi trois millions de produits, au lieu d’un million et demi en 2004. L’année 2005 atteste l’explosion de la contrefaçon, qui porte maintenant sur des façades de portables, des crayons « marqués » Lacoste, produits que nous ne fabriquons pas ! Mais ce n’est bien sûr que la partie visible de l’iceberg de la contrefaçon. Quelles actions menez-vous pour l’éradiquer, en interne (une équipe ad hoc ? ) et en partenariat avec la police, les douanes, la gendarmerie, les ambassades ? P. L. : En interne, nous avons une équipe de cinq juristes qui consacre une part importante de son temps à la contrefaçon, aidée par des avocats, des conseils en propriété intellectuelle et des investigateurs dans le monde entier, sans oublier les missions économiques locales. Au sein de l’Union des fabricants, nous menons des actions de sensibilisation et de formation, pour donner à la police, à la gendarmerie et aux douanes les moyens d’identifier les marques contrefaites. Interpol souligne le manque de coordination internationale, l’insuffisance des ressources, des législations disparates et des sanctions insuffisantes. Ces critiques vous paraissent-elles justifiées ? P. L. : De fait, la coordination mériterait d’être renforcée. Si la contrefaçon est, aujourd’hui, considérée comme un délit, chaque pays dispose de son propre arsenal législatif, appliqué avec plus ou moins de rigueur. En Europe même, certains pays, comme le Portugal ou la Grèce, ont encore beaucoup de progrès à faire. L’Italie, longtemps montrée du doigt, entre enfin dans la catégorie des pays répressifs. La Chine manifeste une réelle volonté de lutter, mais il existe encore des zones de résistance, des provinces où la corruption règne en maître. Nouveau tremplin pour la contrefaçon, Internet, où l’on peut acheter, sur Google ou sur eBay, des produits contrefaits. La société Lacoste en est-elle victime ? P. L. : C’est la grande préoccupation, car Internet devient le principal vecteur de la contrefaçon, maintenant à la portée de tous. Avec un simple ordinateur, on a accès à l’offre mondiale, sans être obligé d’aller en Asie ! Le développement de la contrefaçon y est exponentiel, et en amont la nouvelle filière entre elle aussi dans le champ du virtuel, très difficile à contrôler. Fin mars, nous avions retiré sur eBay treize mille offres, soit vingt mille produits. Sachant que le temps nécessaire pour retirer une offre est de trois minutes, comptez le nombre d’heures que nous consacrons à les supprimer ! C’est un puits sans fond.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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