Bulletins de l'Ilec

Contrefaçon, piraterie, non merci ! - Numéro 372

01/06/2006

Entretien avec Bernard Brochand, député-maire de Cannes, président du Cnac

Quelles sont les missions du Cnac, créé par le ministère de l’Industrie en 1995, après l’adoption de la loi du 5 février 1994 relative à la répression de la contrefaçon, dite loi Longuet. Se sont-elles élargies depuis sa création ? Bernard Brochand : Le Cnac a pour mission d’améliorer l’efficacité du dispositif national en assurant la coordination des actions menées par les administrations et les professionnels contre la contrefaçon. Son action prend en compte l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle : droits d’auteur et droits voisins, brevets d’invention, marques de commerce et de fabrique, dessins et modèles industriels, et dorénavant appellations d’origine et obtentions végétales. Sur le plan international, le Cnac contribue à renforcer la lutte contre les contrefaçons notamment dans le cadre de l’OMC. Ses missions s’élargissent, dans la mesure où le Cnac joue désormais un rôle à l’égard des citoyens, puisqu’il développe des actions de sensibilisation et de responsabilisation des consommateurs. Tous les ans, le Cnac dresse un bilan des actions menées et propose des améliorations au dispositif existant. Au nombre des nouveaux membres du Cnac, les fédérations de l’horlogerie, de la coutellerie de Thiers, l’Imprimerie nationale, l’Afnor et l’Union des fabricants. Aujourd’hui, que représente le Cnac ? B. B. : Parmi les secteurs industriels représentés, il y a aussi la parfumerie et les cosmétiques, la pharmacie, le secteur fromager, les vins et spiritueux, le textile, l’industrie du luxe, les industries mécaniques, l’automobile (constructeurs et équipementiers), les logiciels professionnels, les producteurs de phonogrammes, les auteurs (textes, films, etc.), le jouet, les obtentions végétales (fleurs et plantes). Quelles ont été ses actions récentes ? B. B. : Considérée comme une priorité du gouvernement depuis fin 2004, la lutte contre la contrefaçon fait l’objet d’une action nationale de mobilisation. Pour cela, nous avons lancé une campagne d’alerte et de responsabilisation des citoyens français avec sept écrans publicitaires (quatre sur la contrefaçon et trois sur la piraterie) et une signature forte et fédératrice : « Contrefaçon, piraterie, non merci ». Le site internet www.non-merci.com, qui s’adresse aux consommateurs et aux professionnels, a été mis en ligne le 3 avril dernier, lors du lancement de la campagne. Parallèlement, une grande exposition pédagogique sur les circuits de la contrefaçon et les secteurs les plus touchés tourne dans toute la France. Une plate-forme téléphonique nationale a été ouverte, avec un numéro d’appel spécialement alloué aux questions de contrefaçon, le 08 20 22 26 22. Enfin, une lettre d’information, Contrefaçon riposte, est diffusée largement tous les mois. Cette campagne constitue-t-elle une étape décisive ? Quels en sont les enjeux ? B. B. : A l’heure de la mondialisation, des délocalisations, et surtout depuis la suppression des quotas d’exportation de la Chine, la menace de la contrefaçon pèse, plus que jamais, sur tous les secteurs de l’industrie française et internationale. Chaque année, dans le monde, la contrefaçon détruit 200 000 emplois, dont 30 000 en France. Elle représente près de 10 % du commerce mondial, soit 200 à 300 milliards d’euros de perte pour l’économie mondiale, dont 6 milliards d’euros pour la France. Au-delà des conséquences économiques, la contrefaçon met en danger la sécurité et la santé des consommateurs, du fait du non-respect des normes de fabrication et de sécurité des produits copiés. La campagne publicitaire « Contrefaçon, piraterie non merci » est donc effectivement une étape décisive dans la lutte contre la contrefaçon. Financée par le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, elle montre aussi que cette lutte est devenue une priorité gouvernementale. En tant que président d’un groupe parlementaire sur la contrefaçon fort de soixante députés, quelles actions menez-vous ? B. B. : Les actions sont multiples : le groupe dépose des amendements, il est associé à la rédaction des projets de lois. Il a également procédé à une quinzaine d’auditions de personnalités. Les députés du groupe constituent des relais privilégiés de la lutte contre la contrefaçon sur le terrain. Ils ont d’ailleurs signé à cet égard une charte d’engagement. Parallèlement à la campagne de communication, le Cnac a établi une « Charte d’engagement ». Qui s’engage, pourquoi et comment ? B. B. : Les premiers touchés par le fléau de la contrefaçon sont les entreprises, les industriels. Leur implication est particulièrement importante, c’est pourquoi nous avons tenu à les associer à notre campagne au moyen de cette charte. Le concept est simple : en signant cette charte, les entreprises et les fédérations professionnelles représentées au Cnac, mais aussi tous ceux qui souhaitent se rallier à cette cause, s’engagent à soutenir et décliner notre campagne sur le terrain. Comment renforcer la coopération bilatérale et internationale, et quelles actions mener dans le cadre communautaire (harmonisation des sanctions pénales…) ? B. B. : Sur le renforcement de la coopération bilatérale et internationale, un certain nombre d’actions sont en cours : renforcement de la compétence du réseau d’experts internationaux, partenariat entre l’INPI et l’Organisation mondiale des douanes (OMD), introduction systématique d’une clause concernant la lutte contre la contrefaçon dans les accords de coopération conclus entre l’INPI et ses homologues étrangers, organisation en commun avec l’OHMI d’un séminaire itinérant dans les États méditerranéens sur la marque communautaire et la contrefaçon, étude de la proposition japonaise d’un traité international de lutte contre la prolifération de la contrefaçon, participation aux travaux de l’OCDE sur la mise à jour des chiffres relatifs à l’impact économique de la contrefaçon. Sur les actions à mener dans le cadre communautaire, il y a, bien sûr, l’harmonisation des sanctions pénales, et aussi, dans un avenir proche, le lancement d’une réflexion sur l’adoption de moyens techniques communs de prévention, passant par l’authentification et la traçabilité des marchandises. L’harmonisation des sanctions pénales est sans aucun doute une des actions à mener dans le cadre communautaire. Nous nous devons de renforcer la coopération bilatérale, notamment avec la Chine, et la coopération internationale. C’est d’ailleurs pour cela que, depuis le printemps 2005, nous travaillons sur un projet de Comité bilatéral franco-chinois. La création de ce comité vous semble-t-elle annonciatrice d’une « révolution culturelle » dans l’empire du Milieu ? B. B. : Ce comité n’a pas encore vu le jour. Une proposition a été soumise aux autorités chinoises en avril 2005. Les indices sont tout à fait encourageants, puisque la Chine a clairement démontré sa volonté de lutter contre la contrefaçon. Je suis assez confiant pour qu’une collaboration efficace aboutisse d’ici peu. Récemment, d’ailleurs, une condamnation est intervenue en Chine au bénéfice d’Yves Saint Laurent et de deux autres sociétés de l’industrie du luxe. Cependant, plutôt que de révolution « culturelle », je pense que l’on pourrait parler de révolution économique. En effet, à supposer que les autorités chinoises puissent se doter des moyens d’éradiquer la contrefaçon sur leur territoire, des milliers de familles seraient sans doute réduites à un niveau de survie, dans l’état actuel de l’économie chinoise.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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