Nouveaux arbitrages - Numéro 374
01/09/2006
Comment a récemment évolué le paysage de la distribution internationale ? Patrick de Saint Martin : Depuis les deux dernières années, le paysage se caractérise par un recentrage des distributeurs : les retraits sont devenus plus importants que l’implantation dans de nouveaux pays. Cinq pays ont vu le départ d’au moins deux distributeurs. En Corée du Sud, Wal Mart et Carrefour ont récemment cédé leur parc de magasins à des distributeurs locaux (respectivement à Shinsegae et à E-Land). En Allemagne, Intermarché a cédé Spar à Edeka, et Wal Mart a revendu ses magasins à Metro. En Pologne, Ahold a revendu ses grands hypermarchés Hypernova à Tesco et à Metro. Casino vient de revendre ses hypermarchés Géant à Metro et son réseau Leader Price à Tesco. Carrefour, Edeka et Julius Meinl ont quitté la République tchèque, Carrefour et le groupe Delhaize se sont retirés de Slovaquie. L’Europe de l’Est regroupe la majorité des cinq pays touchés par ces désengagements partiels ou totaux. Parallèlement, les distributeurs locaux tentent de se réapproprier leur marché. En Pologne, des opérateurs essaient de regrouper leurs réseaux de supermarchés en fusionnant entre eux, pour constituer de grands ensembles. En Russie, sur les dix premiers groupes, trois seulement sont étrangers, et le numéro un, Pyaterochka, est russe. Il a récemment fusionné avec son compatriote Perekrestok. Le gouvernement chinois a incité les distributeurs locaux à se regrouper, pour mieux affronter les distributeurs étrangers. On assiste à la résurgence du patriotisme économique, préventif dans les cas russe et chinois, ou a posteriori dans le cas polonais. Quelles sont les causes de ces recentrages ? Annoncent-elles la fin des conquêtes de nouveaux territoires ? P. S. M. : Trois raisons majeures expliquent ces départs : une part de marché insuffisante, un marché très compétitif et des soucis de rentabilité financière. Reste que la conquête de nouveaux pays n’est pas absente de la stratégie de certains distributeurs, en particulier allemands. Quatre pays de l’Europe de l’Est constituent actuellement une cible prioritaire : la Bulgarie, la Roumanie, l’Ukraine et surtout la Russie. Au nombre des distributeurs les plus actifs figurent Metro et Schwarz (enseignes Lidl et Kaufland). Certains pays asiatiques, en particulier la Chine, sont également l’objet d’investissements importants, mais moins que le potentiel ne le laisserait supposer. Ils sont bloqués en Inde car ce pays n’a pas encore adopté de législation favorable aux investissements des distributeurs étrangers. La franchise est une solution d’attente, ou alternative, à étudier. Comment se singularisent les groupes britanniques ? P. S. M. : Tesco est le plus actif des distributeurs européens, particulièrement en Asie, où il vient d’acheter les hypermarchés Hymall, en Chine, et de procéder à deux acquisitions de chaînes de proximité, au Japon. Il a aussi exprimé l’intention de s’implanter en Californie. Si le groupe s’est retiré de Taïwan, c’est pour se renforcer en Europe de l’Est, dans le cadre d’un échange avec Carrefour. La distribution britannique se singularise par l’entrée en jeu récente des fonds d’investissement. Somerfield a revendu la majorité des magasins Kwik Save à BTTF Ltd. Baugur a pris le contrôle de The Big Food Group. Il a ensuite revendu les cash & carry Booker et n’a conservé que la chaîne Iceland. Le marché britannique de la distribution est toujours très compétitif, comme l’attestent les difficultés du groupe Asda, le numéro deux local, face à la remontée de Sainsbury. WM Morrison vient de publier les premières pertes de son histoire. Le maxidiscompte a-t-il encore un potentiel de développement ? P. S. M. : Si, en France, le maxidiscompte alimentaire marque le pas, il ne faut pas commettre l’erreur stratégique de sous-estimer son potentiel de développement, particulièrement en Europe de l’Est et en Russie. En 2005, Aldi débarque en Slovénie, Kaufland et Penny Market en Roumanie. Cette année, la Bulgarie accueille Kaufland, et la Hongrie, Aldi. Tengelmann a des projets en Bulgarie en 2007. En Russie, le discompte se développe rapidement, comme l’atteste l’expansion des enseignes Kopeika et Magnit. Comment a évolué la stratégie des indépendants, particulièrement des enseignes françaises ? P. S. M. : En France, les distributeurs indépendants détiennent la part de marché la plus forte. L’internationalisation reste leur maillon faible. Leclerc ne réalise que 5 % de ses ventes à l’étranger, Intermarché se retire d’Italie et d’Allemagne, et souffre en Espagne. Système U demeure franco-français, même s’il noue des partenariats avec Delhaize. Ils essaient de compenser cette faiblesse en créant ou en participant à des alliances européennes : Agenor, créée par Intermarché avec Eroski et Edeka, représente 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires ; Coopernic, créée à l’initiative de Leclerc et de quatre autres enseignes (Rewe, Conad, Colruyt et Coop Suisse), pèse 96 milliards d’euros. Et Système U a rejoint EMD, la première centrale européenne. Les groupes à capitaux familiaux sont-ils plus performants que les autres ? P. S. M. : Les petits groupes ne peuvent résister longtemps aux sirènes des grands intégrés. Les grands groupes, comme Auchan, n’affichent pas actuellement les meilleurs résultats. La palme revient aux groupes familiaux de taille moyenne, comme l’italien Esselunga ou le belge Colruyt. En termes de format, l’hypermarché ne semble plus être le modèle incontournable… P. S. M. : L’hypermarché a encore un bel avenir devant lui, dans la mesure où il s’adapte en permanence. Nous assistons à la fin des tabous et du triptyque « consommateur unique, format unique, assortiment unique ». Tous les formats et toutes les combinaisons sont possibles. Carrefour développe Carrefour Express en Espagne et en Pologne (un grand supermarché de 2 000 à 3 000 m2 où les marques de distributeur représentent 30 % des ventes), Carrefour Bairo (« pas cher ») au Brésil, et MaxiDia (1 500 m2) en Espagne. Tesco teste un nouveau format en Pologne, baptisé Jednynka (de 1 000 à 3 000 m2). Casino essaie plusieurs nouveaux formats, dont Géant Discompte et Le Marché (produits frais). Monoprix a créé l’enseigne Monop’. Les premiers supermarchés « seniors » font leur apparition dans plusieurs pays. Les maxidiscomptes ouvrent de plus en plus leurs portes aux marques nationales. Depuis la réforme de la loi Galland, comment évolue la stratégie des groupes français ? P. S. M. : La guerre des prix attendue par certains n’a pas eu lieu, car elle aurait été suicidaire pour les comptes d’exploitation. Les écarts de prix entre enseignes ont néanmoins augmenté. Le réel combat des distributeurs porte sur la différenciation de leur offre et de leurs services, dans un contexte de baisse du rendement au m2 puisque l’offre de produits incorpore de plus en plus de MDD et de premiers prix. Les distributeurs sont en quête de niches dans le non-alimentaire, mais l’expérience montre qu’en ce domaine les hypermarchés ne décollent pas, à l’exception notable du créneau de l’informatique. Plus ils se dirigent vers le non-alimentaire, secteur marqué par une forte déflation des prix, notamment dans l’électronique de loisirs et l’informatique, plus ils éprouvent des difficultés à augmenter leur rentabilité. Avec l’accès au petit écran, en janvier prochain, les grands groupes français rejoignent-ils leurs homologues européens ? P. S. M. : Cela peut être l’occasion, pour certains, de se différencier, en mettant en avant leurs marques propres, par exemple. Pour d’autres, d’acquérir une notoriété plus importante. Globalement, ils sont satisfaits de leurs opérations de parrainage d’émissions. La difficulté principale va résider dans le choix de la chaîne ou des chaînes de télévision. L’heure est au marketing et aux médias ciblés. Les arbitrages ne sont pas évidents. (1) Guide des grandes enseignes européennes (Euro Store Book), édition 2006-2007, septembre 2006. www.vigie-retail.com.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard