Un acquis fondamental mais perfectible - Numéro 377
01/12/2006
L’ordonnance « Balladur » du 1er décembre 1986 a mis fin à quarante ans de contrôle des prix par son article 1er : « L’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 est abrogée. Le prix des biens, produits et services relevant antérieurement de ladite ordonnance sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ». Evolution ou révolution ? Jean-Patrice de La Laurencie : Cette ordonnance restera dans l’histoire d’abord et essentiellement comme une rupture avec plus d’un demi-siècle de « politique des prix ». La politique des prix était, jusqu’à cette date, un instrument essentiel de la politique économique gouvernementale, au moins autant que l’encadrement du crédit. L’intensité de cette intervention étatique a pu varier dans le temps, des phases de blocage des prix aux phases de liberté plus ou moins concertées ou encadrées. La rupture inscrite dans l’ordonnance de 1986 a été radicale : l’intervention générale sur les prix devenait littéralement anticonstitutionnelle. N’étaient plus autorisées que des interventions très temporaires liées à des circonstances exceptionnelles (qui ne se sont pas produites jusqu’ici) ou à une régulation très spécifique, là où la concurrence ne peut structurellement jouer d’aucune façon (quelques secteurs comme l’électricité ou le gaz), ou les tarifs des taxis. On n’est jamais revenu à cet interventionnisme général sur le niveau des prix. L’ordonnance a été modifiée par les lois de juillet 1987, de décembre 1992, de juillet 1993, de février 1995, de juillet 1996 (loi Galland), de mai 2001 (NRE), d’août 2005 (loi Dutreil). Est-ce toujours un régime de liberté des prix ? J.-P. de la Laurencie : Le motif de cette interrogation se trouve dans les interventions successives du législateur et du gouvernement sur un point spécifique et sensible de la fixation des prix : les relations verticales entre producteurs et distributeurs. De manière schématique, il y a bien eu, dans ce domaine, un interventionnisme largement spécifique à la France. Dans l’équilibre instable et multiforme des relations quotidiennes entre opérateurs du secteur des biens de grande consommation, on a assisté au développement d’une réglementation complexe – fort bien surnommée « facturologie » – et à des allers-retours : application de 1987 à 1995 des articles 31 à 36 de l’ordonnance de 1986 (facturation, interdiction de la revente à perte et des discriminations…) dans un sens de plus en plus favorable aux distributeurs, à coups de circulaires administratives, puis intervention avec la loi Galland de 1996, en faveur des producteurs, et de nouveau retour du balancier rendant la main aux distributeurs, avec la loi Dutreil d’août 2005. Avec les meilleures intentions du monde, incités par nombre d’acteurs économiques à jouer les Salomon, les pouvoirs publics ont plutôt joué les éléphants dans un magasin de porcelaine. Cela étant, ce type d’intervention n’a concerné qu’une part limitée des produits, un millier dans l’alimentaire, le bazar et l’électroménager. Le reste des biens et services – c’est-à-dire leur immense majorité – a globalement continué à bénéficier d’une totale liberté des prix. Quel a été l’effet spécifique du changement initié avec l’ordonnance de 1986 sur le niveau des prix ou sur l’inflation ? J.-P. L. : Cela reste un sujet de controverse entre économistes et il est difficile, surtout pour un non-spécialiste, de démêler les interactions entre facteurs d’évolution. Je me contenterai de quelques remarques. Les belles années du contrôle des prix n’ont empêché ni une croissance plus forte, ni une inflation plus forte que celles de nos voisins. La politique des prix après le « blocage Delors » de 1982 a conduit à une décélération rapide du rythme de l’inflation (effet d’une lutte contre l’inflation par les coûts – essentiellement la désindexation), mais dans un contexte européen de désinflation. L’ordonnance de 1986 a contribuée à casser le niveau des prix de l’essentiel des produits industriels et alimentaires, mais elle a aussi permis des réajustements à la hausse de bon nombre de prestataires de services ou de métiers alimentaires de proximité, favorisés par un comportement d’entente hérité du passé. Les interventions successives sur le seuil de revente à perte et la facturation ont plutôt joué en faveur de la baisse des prix de 1986 à 1995, puis de la hausse avec la loi Galland (comme l’ont montré les travaux de la commission Canivet), et à nouveau de la baisse avec la loi Dutreil. Mais comme l’Insee l’a rappelé à maintes reprises, cela ne concerne qu’un nombre limité de produits et a donc un impact peu perceptible sur l’évolution générale des prix (ce qui n’empêche pas une forte sensibilité du consommateur). Quelles sont les conséquences de l’ordonnance et des textes qui l’ont modifiée sur les différentes catégories d’opérateurs économiques, les consommateurs, l’équilibre entre les types de commerce, le tissu industriel – PME et grandes entreprises ? J.-P. L. : Les consommateurs me semblent avoir été globalement bénéficiaires du mouvement de libération des prix et de la concurrence. Je vais prendre deux exemples parlants. L’introduction de la concurrence et de la liberté des prix dans la desserte aérienne des départements d’outre-mer (essentiellement Guadeloupe et Martinique) a sans doute cassé le monopole d’Air France, mais elle a surtout conduit à une démocratisation accélérée de cette desserte, l’effet volume compensant l’effet prix, au point qu’Air France n’a pas eu à souffrir de l’arrivée de compagnies concurrentes sur ce marché. Deuxième exemple : la liberté des prix dans la boulangerie. Malgré quelques ententes ici ou là, durement sanctionnées, elle a conduit à une diversification extraordinaire de l’offre, avec une baguette aujourd’hui moins chère qu’il y a vingt ans, mais des pains « bio » ou spéciaux dont le prix plus élevé n’empêche pas le succès. Concernant l’effet de l’ordonnance sur le commerce, j’aurais tendance à dire que si les commerçants ont globalement tous profité de la liberté des prix, les petits comme les grands, c’est moins l’ordonnance de 1986 qui a pu influer sur l’équilibre entre commerce de proximité et grandes surfaces que les lois sur l’urbanisme commercial (Royer et Raffarin). Elles n’ont pas plus limité qu’ailleurs l’expansion des grandes surfaces, et si elles ont freiné leur extension géographique, cela a conduit à la concentration des enseignes. Elles ont eu aussi pour effet de changer la localisation des petits commerces (disparus des communes rurales au profit des centres-villes et des galeries marchandes). Il reste que les interventions successives sur le seuil de revente à perte ont bien eu quelques effets : développement des hyper et des supermarchés pendant les périodes favorables à un seuil bas, des discompteurs et des supérettes pendant les périodes de seuil élevé (ces mouvements ne concernent d’ailleurs guère les petits commerçants traditionnels, qui n’ont jamais été vraiment touchés par la bataille sur le seuil de revente à perte – erreur d’optique des politiques…). Quant au tissu industriel, il est difficile de porter des jugements tranchés et étayés sur l’effet de l’ordonnance de 1986. On peut sans doute constater que la pression exercée par une concentration très forte de la distribution – dans la mesure où elle a été encouragée par l’ordonnance – a été un facteur de concentration des industries de biens de grande consommation, mais d’autres facteurs explicatifs de ce phénomène existent, plusieurs pays voisins ayant connu une évolution semblable. Un contrôle a été introduit pour éviter une trop grande concentration, mais les rares interdictions ou limitations résultant de cet encadrement n’ont pas agi de manière perceptible sur l’évolution du paysage industriel français – ni sur celui de la distribution d’ailleurs. La déréglementation (télécoms, poste, énergie…) a plus clairement modifié le pay- sage, mais elle résulte plus de l’environnement européen que de l’ordonnance de 1986. Globalement, je suis d’avis que, a contrario, le maintien d’un contrôle des prix aurait freiné nombre des adaptations nécessaires qu’a connues l’industrie française, et que celle-ci s’est renforcée et aguerrie dans le cadre d’une ouverture accrue à la concurrence. Ne peut-on reconnaître que nos champions de l’industrie agroalimentaire ont bénéficié de la pression qu’exerçait la grande distribution en France ? Par ailleurs, la disparition des entreprises ou des secteurs non compétitifs, du fait d’une concurrence plus active, est favorable à l’émergence de nouveaux producteurs de biens ou de services plus performants et créateurs d’emplois dans l’environnement concurrentiel mondial que nous connaissons. Ce qui ne veut pas dire que les problèmes sociaux résultant de cet ajustement nécessaire ne doivent pas être pris en considération par les pouvoirs publics, mais cela sort du cadre du droit de la concurrence. Sommes-nous vraiment, depuis 1986, dans un régime de saine concurrence ? En quoi le Code de commerce a-t-il renforcé la liberté de la concurrence ? J.-P. L. : Il s’agit de bien situer la « liberté de la concurrence ». L’ordonnance de 1986 n’est nullement le renard libre dans le poulailler libre, mais au contraire un encadrement du fonctionnement de la concurrence : elle a défini le cadre juridique et institutionnel, qui fixe les limites et les règles du jeu. La question est plutôt celle du renforcement du droit et de la politique de la concurrence depuis l’ordonnance de 1986. Le droit de la concurrence existait en France depuis 1953, mais qui le savait ? Il avait été renforcé par la loi de juillet 1977, mais c’est l’ordonnance de 1986 qui lui a donné de la visibilité et de l’efficacité. La montée en puissance du Conseil de la concurrence a été sans doute progressive, mais aujourd’hui cette « autorité administrative indépendante » fait la une des journaux quand elle prononce une sanction importante face à une entente. Il manque un relais pédagogique sur l’intérêt et l’importance de cet élément de régulation dans l’économie de marché : celui du gouvernement et celui des médias. Ni les gouvernements de gauche ni les gouvernements de droite qui se sont succédé depuis 1986 n’ont remis en question l’utilité de ce type de régulation, mais trop souvent, au pouvoir et dans l’opposition, les responsables politiques ont utilisé la politique de la concurrence comme alibi, alors qu’ils reconnaissaient tous, implicitement, le caractère indispensable d’une concurrence régulée. Il est difficile de ne pas être démagogique dans ce registre, mais il est essentiel de dire clairement pourquoi cette régulation est importante, pour les opérateurs comme pour les consommateurs, et quelles en sont les limites – notamment parce que la régulation de la concurrence n’est pas l’alpha et l’oméga de la vie politique et économique d’un pays. En quoi le droit français présente t-il des singularités, par exemple en termes de complexité des règles, de fonctionnement pratiques des autorités de la concurrence ou de pratiques commerciales restrictives ? J.-P. L. : Il est certain que le droit français de la concurrence présente des singularités. Le problème est moins celui de leur existence (quel est le pays qui n’en a pas ? ) que de leur éventuel impact négatif pour les opérateurs français. Globalement, je ne pense pas que le droit de la concurrence se distingue par sa complexité, face à celui des autres grands pays – du moins si l’on s’en tient aux pratiques anticoncurrentielles et au contrôle des concentrations, dont les règles générales et l’application jurisprudentielle sont tout à fait dans la norme. La principale singularité critiquable concerne les interventions successives sur les relations producteurs-distributeurs. On peut raisonnablement espérer la disparition de l’interdiction de la revente à perte et des dispositions qui lui sont liées, dans les années qui viennent, sur la base des orientations de la loi Dutreil, mais faut-il continuer à renforcer la lutte contre les « discriminations », remplacer l’encadrement de la coopération commerciale par celui des « conditions particulières de vente » ? Cela risque de rester d’une complexité ingérable par l’administration, donc inefficace pour atteindre les buts recherchés, et source d’effets pervers – la grande distribution comme les grands industriels étant devenus virtuoses dans l’art de contourner des règles trop tatillonnes. « Moraliser » les relations commerciales relève de l’éducation morale, non du droit de la concurrence, et s’il s’agit de concurrence déloyale, utilisons les cadres connus du droit civil. L’administration ne peut que se tromper ou être trompée, car elle sera toujours instrumentalisée, dans cet affrontement permanent entre opérateurs économiques, qui est bilatéral et donc sans pertinence au niveau du fonctionnement de l’économie. En ce qui concerne le fonctionnement institutionnel, le partage des rôles entre le Conseil de la concur-rence et la DGCCRF est au cœur d’un débat très actuel. Bien que ce système dual soit de moins en moins fréquent dans le monde, d’autres pays (en particulier le Royaume-Uni) le pratiquent sans susciter de grande contestation. Il est certain qu’avoir une seule autorité de la concurrence au lieu de deux est plus simple et plus pratique, pour les entreprises comme pour les consommateurs. Cela dit, au moins deux raisons plaident pour des administrations distinctes : il est tout à fait défendable, et même favorable au justiciable, de distinguer entre un organisme qui juge et un autre qui enquête (c’est ce qui se passe en droit pénal). L’évolution du Conseil de la concurrence vers un statut juridictionnel justifie le fait qu’il ne mène pas lui-même d’enquêtes. La seconde raison se trouve dans le contrôle des concentrations, qui peut se concevoir autrement que du seul point de vue du droit de la concurrence. Il est alors logique qu’il y ait d’un côté un organisme indépendant chargé de l’expertise en matière de concurrence (le Conseil de la concurrence), de l’autre une autorité qui peut intervenir sur la base d’autres impératifs (rôle du ministre de l’Economie et des Finances). Cela étant, le dualisme actuel souffre de quelques défauts, qui touchent au fonctionnement du contrôle des concentrations. La DGCCRF est trop tatillonne, notamment au niveau de la « complétude » (envoi de l’accusé de réception officiel faisant courir les délais) en phase I. En phase II, les entreprises doivent recommencer à zéro leur présentation et le traitement du dossier devant le Conseil de la concurrence, à la différence de ce qui se passe face aux autorités des systèmes « monistes », seules à traiter le dossier dans les deux phases. Le système français se corse encore avec une véritable « phase III », inexistante ailleurs, lorsqu’on retourne devant le ministre après le passage devant le Conseil de la concurrence. Enfin, et c’est une critique reprise à l’OCDE, le système français du contrôle des concentrations manque de transparence, tant vis-à-vis des entreprises notifiantes que vis-à-vis des tiers, particulièrement dans cette « phase III ». Les pouvoirs d’enquête sont-ils suffisants ? Les sanctions sont-elles dissuasives ? J.-P. L. : Les pouvoirs d’enquête paraissent tout à fait suffisants en France. Leur organisation est largement calquée sur le droit européen, et l’efficacité des enquêtes inopinées n’est plus à démontrer pour débusquer une entente – surtout lorsqu’elle est couplée avec le nouveau régime de la clémence, ou lorsqu’il y a des enquêtes combinées entre des autorités nationales ou la Commission, pour des pratiques anticoncurrentielles internationales. Le seul point d’insuffisance que l’on pourrait signaler dans ce domaine, d’ailleurs en voie de traitement dans le cadre des réflexions en cours entre la DGCCRF et l’Afec, concerne les difficultés de l’administration à recueillir les réponses des tiers au « test de marché », en l’absence de sanction des réponses volontairement erronées ou d’un refus de répondre. On peut dresser le même bilan global à propos des sanctions : il y a désormais une large palette de sanctions, et le niveau des sanction potentielles a été sérieusement augmenté. Il convient cependant d’introduire trois nuances dans ce bilan. La première est globale : les régimes de sanction les plus musclés et les plus complets, comme celui des Etats-Unis, ne suffisent pas à éradiquer les cartels injustifiables. Cependant, le développement des compliance programmes dans les entreprises et le succès de la clémence montrent que les chefs d’entreprise sont de plus en plus sensibles à la lourdeur des sanctions encourues. Pour ce qui concerne plus spécifiquement les sanctions pénales, on oublie sans doute qu’il y a eu en France des condamnations pénales de pratiques anticoncurrentielles – y compris des peines de prison – et qu’il y en a encore dans les tuyaux, bien que le texte existant – transposition sans modification de l’article 17 de l’ordonnance de 1986 dans le Code de commerce – soit sans doute trop restrictif pour être aisément utilisable par le juge pénal. La crainte d’aller en prison restera une dissuasion plus efficace que l’amende administrative infligée à l’entité abstraite (et que les personnes concernées quittent) qu’est l’entreprise. Je ne peux que rappeler l’insuffisance notoire de l’action civile en matière de pratiques anticoncurrentielles. L’ordonnance de 1986 avait bien explicitement prévu la sanction, par les tribunaux civils, des pratiques condamnables, qu’elles aient été ou non déjà condamnées par le Conseil de la concurrence. Il s’agit d’abord d’une question de culture, pour les entreprises victimes de ces pratiques, qui n’ont pas le réflexe de demander des dommages et intérêts, et pour les magistrats, qui n’accordent pas des réparations à la hauteur des enjeux, sauf exceptions. Quelles sont les principales failles du système ? Comment améliorer l’effectivité du droit ? J.-P. L. : Il faut réduire, voire supprimer, les interventions tatillonnes de l’administration dans les relations producteurs-distributeurs, alléger les contraintes, en particulier en matière de contrôle des concentrations. Pour aller plus loin dans l’effectivité du droit, et améliorer la position du droit et de la politique de la concurrence dans la politique économique, je vois quelques pistes d’amélioration. En ce qui concerne les moyens de traitement des pratiques anticoncurrentielles, le développement des procédures alternatives aux sanctions est une bonne chose, en particulier la récente introduction et la pratique décisionnelle des « engagements ». Mais la procédure dite de transaction n’a pas encore véritablement trouvé sa place. Elle mérite un encadrement détaillé, que ce soit sous forme de lignes directrices, d’études thématiques du Conseil de la concurrence ou de compléments réglementaires, à l’instar de ce qui a été fait en matière de clémence ou d’engagements. Il faut aussi pallier l’absence de sanctions civiles du droit de la concurrence. Paris comme Bruxelles s’en préoccupent, à en juger par le nombre de colloques sur le sujet. Il est question de renforcer le rôle des organisations de consommateurs, avec l’introduction de l’action de groupe. Dans son principe, on ne peut qu’ y être favorable, car il est clair que les consommateurs isolés ne pourront jamais agir en cas de dommages collectifs résultant d’une entente. Dans la pratique, il convient d’éviter deux écueils : celui d’une excessive modestie (cas du projet de loi actuel, qui ne prévoit même pas l’applicabilité de cette procédure au droit de la concurrence) et celui d’un risque disproportionné pour les entreprises, si l’on transpose certaines dispositions du droit américain, tels que les dommages et intérêts punitifs doublés ou triplés (« treble damages »). Faut-il privilégier la logique de régulation au détriment de la logique de sanction ? J.-P. L. : Il faut une juste combinaison des deux. J’insisterais sur l’intérêt de la logique de régulation en fonction de la matière : dans les secteurs de « monopole naturel » ou dans ceux, encore nombreux, où existent des interventions d’ordre public reposant sur la notion de service public, et où l’intervention historique de l’Etat prévaut (l’énergie, le cinéma, les médias, les professions réglementées, les casinos, jusqu’aux centres d’insémination artificiels…). On peut égalemeny préférer la régulation dans des situations plus grises que noires (crises agricoles, petites ententes protectrices, risques d’abus de position dominante locaux), car ce type d’approche est plus efficace et plus pédagogique que la sanction. Une sanction incomprise ne présente aucun intérêt. Quelle est l’influence du droit français de la concurrence sur le droit communautaire ? J.-P. L. : Cette influence existe, même s’il s’agit d’une interaction. Dès l’origine, et malgré le poids des Allemands, il y a eu un apport français à la création du droit communautaire de la concurrence. Cela transparaît encore dans la structure de la Direction générale de la concurrence à Bruxelles, comme dans ses systèmes d’enquête. Quant aux concepts de fond, l’influence de la France n’a pas porté seulement sur la définition initiale des pratiques anticoncurrentielles des ex-articles 85 et 86 du traité de Rome. Elle a été récemment deux fois à l’honneur : avec l’intervention du règlement 1/2003, qui a vu triompher le concept français originel de l’interdiction de principe et de quelques exceptions sans notification préalable ; avec la réforme de 2004 du contrôle des concentrations, qui a vu le « test » français de l’atteinte à la concurrence, proche du test américain dit SLC (« substantial lessening of competition »), l’emporter sur le test allemand de la création ou renforcement d’une position dominante. En retour, un certain nombre d’aménagements du droit français de la concurrence ont été inspirés par le droit communautaire, que ce soit dans l’ordonnance de 1986, ou, plus récemment, avec la modification de notre système de contrôle des concentrations ou l’introduction des procédures de clémence et d’engagement.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard