Bulletins de l'Ilec

Le prix prime la quantité - Numéro 379

01/03/2007

Derrière la course aux prix que recherchent les consommateurs, industrie et commerce confrontent ou combinent leurs stratégies marketing et commerciales. Le terrain est changeant, l’enjeu économique considérable. Pour l’éclairer, nous avons interrogé quatre spécialistes de la question. Si leurs approches diffèrent sur maints aspects de celle-ci, ils s’accordent sur un point majeur : la pression promotionnelle sur les prix est appelée à s’accentuer. Entretien avec Pierre Denis (Marketing. com), Gilles Gros (AC Nielsen), Philippe Ingold (Promoresearch), Jean-Pierre Leterrier (A3Distrib) et Yann Malvoisin (Action Plus)

Qui, du distributeur ou du fournisseur, détient l’initiative et la maîtrise des stratégies promotionnelles ?

Philippe Ingold : Il est assez habituel de dire que l’initiative des stratégies promotionnelles est passée des mains des industriels à celles des distributeurs. Il serait plus juste de dire que, face aux stratégies promotionnelles de marques, se sont développées assez récemment des stratégies d’enseignes. Les deux types de stratégies se développent pour une part de façon indépendante, pour une part de façon conjointe (« trade marketing » promotionnel), et enfin, pour une part croissante, selon un principe de détournement des moyens des marques au profit des stratégies d’enseignes : ce sont les NIP(1). Même si les marques ne peuvent, le plus souvent, éviter de participer à ce dernier type d’action, elles peuvent garder une marge d’initiative importante en développant des opérations nationales fortement thématisées et médiatisées qui s’inscrivent dans leurs stratégies marketing et de communication. Elles peuvent aussi être force de proposition pour des actions de théâtralisation au point de vente, auxquelles les enseignes sont le plus souvent favorables.

Pierre Denis : Indéniablement, ce sont les distributeurs qui ont l’initiative, quand la promotion a lieu dans le magasin. Le pouvoir est aux mains des enseignes et plus particulièrement des acheteurs. On est dans une logique où la coopération commerciale domine et où la promotion relève plus d’une préoccupation d’équilibre économique que d’une réalité commerciale. L’objectif de l’industriel est de jouer au mieux à l’intérieur des contraintes du distributeur. L’initiative a considérablement décrue du côté du fournisseur, et la maîtrise est aux mains des enseignes d’un point de vue macro-économique, mais l’industriel a une carte à jouer dans la mise en place opérationnelle, car les distributeurs manquent de personnel. Jean-

Pierre Leterrier : C’est plutôt le distributeur qui a l’initiative, mais les fabricants peuvent anticiper les demandes et préparer des réponses promotionnelles. Ils peuvent également développer des stratégies pour être présents et animer les magasins. Gilles Gros : Les deux partenaires détiennent l’initiative. Le contexte est celui du management de catégorie, où les partenaires essaient d’avoir une situation gagnant-gagnant.

Y a-t-il inflation et complication des techniques promotionnelles ? Peut-on dégager une typologie ?

P. Ingold : Les techniques de base, définies juridiquement, n’ont pas vraiment évolué. Je recense treize familles. Seuls les bons d’achat constituent une famille que l’on peut considérer comme nouvelle. Mais le nombre d’applications a explosé ces dernières années, j’en recense cent quarante-trois. Il s’agit pour l’essentiel de techniques connues mais utilisant de nouveaux supports, souvent ciblés ou électroniques, ou présentant des formes de combinaisons originales. Il y a donc incontestablement complication de l’univers des techniques promotionnelles. On peut en effet dégager une typologie : les techniques marchandes qui développent les ventes à court terme, les techniques stratégiques qui jouent sur les comportements d’achat ou de consommation, et les techniques relationnelles qui contribuent à créer et à entretenir la relation entre la marque et le consommateur.

P. Denis : Inflation, oui, complication, non, si l’on s’en tient à l’année 2006, marquée par une simplification. La typologie peut distinguer selon l’initiative plus ou moins grande des industriels : promotion sur emballage, trade-marketing (industriel ou enseigne), NIP par système de carte transactionnel ou relationnel. On peut établir une autre typologie selon les moyens employés, traditionnels ou électroniques.

J.-P. Leterrier : Les mécanismes promotionnels ajoutés ne sont pas nouveaux. Ils se sont multipliés avec la loi Galland. La loi Dutreil n’a pas changé la donne, les enseignes sont trop engagées dans la mise en place de mécanismes (cartes, équipement des caisse…) pour s’en passer.

G. Gros : Il y a inflation des techniques promotionnelles. La typologie peut distinguer produits spécifiques (lots et gratuité) et produits standards, grands formats (dont lots virtuels ) et formats standards (ou proches du standard), promotions pour tous et promotions accessibles aux porteurs de cartes.

Y a-t-il, par la variation des volumes vendus, de grandes différences d’élasticité au prix, selon la catégorie de produits ou le type de marque ?

G. Gros : Il y a de grandes différences d’élasticité au prix, car celle-ci dépend du capital de marques des produits qui composent la catégorie, de la fréquence d’achat des produits, de la concurrence (proximité d’articles similaires à des prix comparables), plus de produits signifiant plus d’élasticité au prix, et enfin de l’intérêt de l’offre en marques de distributeur (MDD) et en MDD premiers prix.

J.-P. Leterrier : Les prix ont connu une variabilité plus prononcée en 2006, ce qui devrait être le symptôme de variations de prix entre enseignes.

Pour les distributeurs, quelles techniques promotionnelles sont les plus rentables, en termes de fidélisation, de fréquence d’achat et d’image ? Sur quels critères se fondent-ils pour construire leur stratégie promotionnelle ?

P. Ingold : Les nouveaux systèmes promotionnels d’enseigne (ticket, carte de fidélité, carte cagnotte) semblent aujourd’hui incontournables pour, sinon fidéliser, au moins retenir les clients. Mais le jeu est pratiquement à somme nulle. On peut en effet noter qu’aucune enseigne française n’a pu vraiment faire la différence avec ses concurrents en s’appuyant sur un système de fidélisation. Contrairement, par exemple à la Grande-Bretagne, où Tesco est devenu le premier distributeur britannique, grâce notamment à la TescoCard. A côté de ces systèmes de fidélisation, on peut aussi noter le poids des jeux « de trafic », fortement médiatisés, s’appuyant souvent sur des bornes électroniques. Ces jeux contribuent à la création de trafic et aussi à l’image des enseignes. Pendant longtemps les enseignes ont centré leurs stratégies sur la création de trafic, sans se poser la question de sa qualité (trafic de découverte, trafic complémentaire, trafic d’opportunistes…). Aujourd’hui, la donne est en train de changer dans les enseignes les plus puissantes et les plus intégrées, qui ont les moyens de développer mais surtout d’exploiter les bases de données. Il faut se concentrer sur les clients les plus rentables ou à fort potentiel en les faisant acheter plus : augmentation du panier d’achat (quantité et qualité) et de la fréquence de visite. Mais le mouvement est plutôt lent (on en parlait déjà en 1995) et ne concerne pas toutes les enseignes.

G. Gros : L’animation dans le magasin conduit les distributeurs à être dans le spectaculaire. Les grands formats, les lots, virtuels ou non, associés à des baisses spectaculaires des prix font recette chez les distributeurs. Les cartes de fidélité vues comme facteur d’animation des ventes du magasin, sont de plus en plus couplées aux actions des fabricants.

P. Denis : Deux politiques se distinguent, celle de Carrefour, fondée sur des opérations d’image, et celle de Leclerc, qui privilégie la promotion systématique avec carte de fidélité. Le critère retenu est celui du chiffre d’affaires obtenu l’année précédente à la même époque.

J.-P. Leterrier : Pour répondre, il faut connaître les objectifs des distributeurs (marge arrière, chiffre d’affaires, fidélité). Ils se sont équipés pour se concurrencer et utilisent plus ou moins ces mécanismes. La typologie est la suivante : carte et ticket égalent fidélisation ; lot virtuel égale augmentation du chiffre d’affaires et du panier moyen ; réduction immédiate, bon d’achat égalent rotation accélérée du produit.

La communication télévisée des enseignes change-t-elle leur stratégie promotionnelle ?

J.-P. Leterrier : Oui, en partie ; elle les oblige à libérer un budget et à élaborer une stratégie de long terme.

P. Ingold : Elle ne la change pas vraiment, puisque les opérations promotionnelles sont exclues du champ d’application de la nouvelle réglementation. Et c’est dommage, de notre point de vue. En effet, les enseignes ne peuvent en pratique parler que de leurs MDD ou de leurs systèmes promotionnels permanents. La communication télévisée sur de grosses opérations thématiques aurait mieux stimulé les ventes, aurait permis de plus grandes différenciations et aurait mieux fait participer les marques nationales.

P. Denis : La publicité télévisée ne va pas changer la stratégie promotionnelle mais le discours, dans la mesure où les distributeurs tentent d’harmoniser leurs messages.

G. Gros : Les questions de construction à long terme, et non plus les pures vues à court terme du chiffre d’affaires peuvent amener un autre regard sur les promotions. Les enseignes, obligées de dépenser pour leur communication, peuvent devenir plus exigeantes dans leurs relations avec les fabricants.

La publicité télévisée change-t-elle la stratégie promotionelle des marques ?

P. Ingold : Un peu, de façon indirecte. Les budgets consacrés à la publicité télévisée et qui ne concernent pas les marques nationales viennent en partie d’une réallocation de moyens classiques, qui les concernaient : notamment les prospectus. P. Denis : L’enjeu est mercatique. Les marques phares devraient investir massivement en télévision et les marques secondaires devraient se réserver la promotion pour mieux se singulariser dans le linéaire. J.-P. Leterrier : La présence des distributeurs renchérit l’espace, et la télévision est aussi un moyen pour eux de présenter leurs marques propres. Les marques peuvent se trouver marginalisées. J’ai publié en 1989 une des premières études comparant promotion et publicité télévisée.

G. Gros : Les marques peuvent avoir un rôle autre que purement promotionnel, dans la construction de l’enseigne.

La promotion rend les marques accessibles au prix des MDD, mais quel est l’intérêt des promotions pour les MDD ?

P. Ingold : Aucun, si on ne raisonne que dans le cadre des promotions par le prix. Une MDD se doit d’avoir un prix lisible et juste, sans marketing, ce qui est une justification de sa promesse de qualité égale pour un prix inférieur. Des réductions de prix cassent cette logique et peuvent susciter une suspicion quant à la réalité du positionnement. En revanche, si on raisonne dans le cadre des promotions stratégiques, la promotion n’est pas illégitime, notamment dans des contextes de recrutement ou de vente croisée.

P. Denis : C’est une hérésie de faire de la promotion sur les MDD…

Yann Malvoisin : Du point de vue des consommateurs, ces promotions ne présentent pas de réel intérêt, dans la mesure où ils prévoient d’acheter une MDD, et l’auraient de toute façon achetée hors promotion. La promotion dégrade la rentabilité des MDD, à moins qu’elle ne permette de recruter des « fans de promo ».

J.-P. Leterrier : Les MDD sont aujourd’hui traitées comme des marques à part entière. La promotion déplace des achats routiniers et fait essayer les MDD en augmentant leur part de marché.

G. Gros : La promotion rend les marques accessibles aux acheteurs de MDD, mais pas aux acheteurs de premiers prix. Plus le prix de la MDD est décroché par rapport à la marque nationale, moins la promotion fait sens pour la MDD. Il n’y a aucun intérêt à pousser les premiers prix en promotion. Seule une baisse de revenu est à attendre d’une promotion sur MDD et premiers prix.

La part des ventes sous promotion, qui a gagné, dans les PGC, près de trois points depuis six ans (de 14 à 17 % du marché) est-elle appelée à croître encore ? Le maxidiscompte exerce-t-il une forte pression en ce sens sur les autres circuits ?

P. Denis : Je ne vois pas ce qui pourrait l’arrêter, si ce n’est davantage de sagesse sur les prix. Une part de la promotion fut la résultante de l’inflation des marques nationales, certains outils promotionnels donnant l’impression que le prix était inférieur. Le discours des enseignes étant fondé sur le prix, la part des ventes sous promotion n’est pas appelée à baisser.

P. Ingold : C’est un mouvement historique qui n’a jamais vraiment connu d’arrêt ! Ces dernières années, il a même été sous-estimé, avec l’émergence des NIP. Aucune raison objective ne permet d’imaginer qu’il pourrait s’arrêter. Ajoutons que cette évolution en cache une autre, à savoir l’accentuation du caractère agressif des offres, certes concentrées sur un nombre de références limité : les « trois pour deux » ou les bogof (un acheté, le deuxième gratuit, « buy one, get one free ») sont devenus courants. Le « deuxième à moitié prix », soit une remise de 25 % , est presque devenu standard. Le maxidiscompte exerce surtout une pression sur le prix des produits premier prix, voire des MDD, mais pas vraiment sur l’activité promotionnelle des grandes marques.

J.-P. Leterrier : La part en promotion va encore augmenter. Il y a une pression forte pour l’achat « malin ». Le maxidiscompte a pris sa place et sa clientèle, mais il ne progresse plus.

G. Gros : Les marques ont besoin de promotions, les distributeurs aussi. La pression promotionnelle peut donc encore croître. Le maxidiscompte n’exerce pas de pression directe sur les promotions. En revanche, il est contré par les enseignes qui jouent les assortiments longs, le choix. Ces mêmes enseignes ont besoin de promotions pour survivre. Le maxidiscompte est en concurrence directe avec les premiers prix, plus qu’avec les promotions.

Les remontées d’informations chiffrées, de la part du distributeur, sont-elles suffisamment fiables et sincères pour permettre un ajustement optimal des offres au marché ? Et pour justifier les sommes demandées par les distributeurs aux industriels au titre de la coopération commerciale ?

J.-P. Leterrier : Il manque sans doute beaucoup d’analystes chez les fabricants pour tout interpréter.

G. Gros : Les remontées sont fiables si elles sont interprétées correctement. La justification dépendra de la rentabilité sur cette base bien interprétée.

P. Ingold : Cela dépend beaucoup des enseignes. Celles qui sauront se montrer transparentes et sincères vont incontestablement disposer d’un avantage concurrentiel, grâce aux possibilités de coopération pouvant être mise en place avec les industriels. Quant à la justification de la coopération commerciale, quel que soit le niveau de transparence, cela nous semble un vœu pieux.

La loi Dutreil a-t-elle modifié les règles du jeu ?

P. Ingold : Pas de façon fondamentale, puisque la course à la croissance des marges arrière semble continuer. Cependant, la souplesse introduite permet aux enseignes de faire des offres plus fortes, sans contrôle des marques.

G. Gros : Oui, elle a modifié les règles vers plus de flexibilité et d’hétérogénéité dans les comportements.

P. Denis : La loi n’a rien changé à la dérive des marges arrière, elle est compliquée, mais elle a obligé les industriels et les distributeurs à réapprendre ce qu’est un prix. Chaque magasin est redevenu plus conscient de sa zone de chalandise. Mais la nature de la négociation n’a pas changé.

J.-P. Leterrier : La loi Dutreil permet au distributeur une plus grande liberté dans les prix, mais elle ne constitue pas une rupture (pas de guerre des prix).

Avec les NIP, la promotion n’est-elle pas devenue un moyen d’action indirecte sur les prix ? Que reste-t-il des repères de prix ?

J.-P. Leterrier : La promotion est même le moyen principal de modifier les prix. Dans les repères de prix les NIP, sont incontournables.

G. Gros : La promotion joue sur le prix moyen. Dans la mesure où ils portent sur le standard, les NIP aident à la compréhension du prix. Sur des formats spécifiques, les NIP rajoutent à la confusion.

P. Ingold : Toutes les formes de promotions par le prix ont toujours été un tel moyen, factuellement mais aussi en termes de perception par le consommateur. Curieusement, les NIP ont une influence sur les prix réellement pratiqués, mais pas vraiment sur la perception des prix, considérés par les consommateurs comme en inflation permanente. En fait, les grosses opérations promotionnelles sont considérées comme un moyen de compenser les hausses de prix, mais jamais comme un élément constitutif du prix réel. Les repères de prix sont devenus très flous, mais pas seulement à cause des NIP. Le passage à l’euro et la multiplication du nombre de références sont des causes au moins aussi importantes.

Pourrait-on imaginer ce que serait le niveau d’un hypothétique indice de prix incluant l’effet de toutes les promotions ?

J.-P. Leterrier : J’y travaille…

G. Gros : Il montrerait un niveau de prix plus bas.

P. Ingold : Le calcul reste à faire ! Mais imaginons, avec tous les risques de se tromper que cela comporte. Le niveau serait d’au moins 5 % inférieur à l’indice officiel. Et la progression annuelle ne serait pas très sensible, peut-être de l’ordre de quelques dixièmes.

Peut-on différencier les consommateurs selon leur comportement à l’égard des promotions ?

P. Ingold : Pratiquement tous les consommateurs bénéficient des promotions. Les différences de comportement sont souvent liées à la taille de la famille, notamment sur les offres en volume. Les consommateurs plus jeunes sont plus impulsifs, moins fidèles, et zappent volontiers entre marques de qualités équivalentes.

G. Gros : Les consommateurs qui aiment les promotions aiment les marques et le choix. Parce que les promotions sont tournées vers les grands formats, les ménages aisés sont aussi les principaux acteurs de la promotion. Les consommateurs qui n’aiment pas les promotions sont des fanatiques des prix, tournés vers les MDD et les produits premiers prix.

J.-P. Leterrier : D’après de récentes publications (TNS et autres), il existe une typologie d’acheteurs, avec des « chasseurs de promos » et des consommateurs plus ou moins sensibles.

Y. Malvoisin : Le sujet est vaste et complexe. De manière synthétique, pour une catégorie donnée, un quart des consommateurs sont réfractaires aux promotions, moins de 10 % sont « fans de promos » (acheteurs quasi exclusifs), et les 65 % restants alternent les achats sous et hors promotion. Il s’agit là d’indications déclaratives, à croiser avec les données des panélistes.

Comment évolue le comportement des consommateurs face à la complexité de l’offre promotionnelle ? Préfèrent-ils des baisses de prix ou des quantités supérieures ?

G. Gros : Les consommateurs préfèrent des baisses de prix sur des formats qui ne changent pas en taille.

P. Ingold : Les consommateurs deviennent « tout-terrain » et s’adaptent assez remarquablement à la complexité croissante de l’offre. Ils sont devenus acteurs dans le processus de consommation et savent profiter des opportunités. D’où par exemple la puissance des sites internet consacrés aux offres de remboursement. Les consommateurs disent préférer les réductions de prix aux quantités supérieures. On constate aussi une baisse sensible de l’efficacité des lots, perçus comme incitant à l’achat. Mais il faudrait analyser ce phénomène à la lumière de la progression des NIP, qui proposent parfois des réductions, immédiates ou différées, aux moins égales à celles des lots.

J.-P. Leterrier : Le consommateur a mis un certain temps pour comprendre et intégrer la promotion dans ses achats (tickets, fidélité, cagnotage, réduction, lot virtuel, etc.). Il y a une douzaine d’années, il y avait les lots : l’échange d’une baisse de prix contre une quantité vendue supérieure et un ticket moyen en hausse. Puis la pression sur le pouvoir d’achat a amené à promouvoir des quantités faibles (produit « girafe » ou « + gratuit »). Le consommateur veut du prix. Y. Malvoisin : De manière incontestable, les consommateurs préfèrent une baisse de prix (à contenance égale) à une quantité supérieure (à prix égal).

Les contraintes associées aux promotions, en termes de production, de préparation, de logistique, ne plaident-elles pas en faveur d’opérations par voie électronique sur des produits standard ? Les formats spécifiques aux produits promotionnés se justifient-ils ?

P. Denis : La réponse est dans la question !

J.-P. Leterrier : C’est ce que disent les distributeurs, mais comme ils ne relaient pas beaucoup en magasin, c’est un moyen de modifier les prix en standard et de générer des marges arrière. Après promotion, les produits sont replacés en rayon.

P. Ingold : Pour des opérations électroniques, en théorie oui. Mais il ne faut pas oublier qu’elles exigent d’être bien communiquées. Ce qui ne va concerner que les marques à forte rotation, lesquelles doivent en outre accepter de transférer la responsabilité de la communication de leurs promotions aux enseignes (mises en avant, PLV, prospectus, électronique de caisse, etc.). Des formats spécifiques auront ainsi toujours leur justification.

G. Gros : Oui, les contraintes plaident pour les formats standard. Seuls les habitudes des consommateurs et la visibilité des formats spécifiques plaident en leur faveur. Y. Malvoisin : Absolument d’accord avec votre premier commentaire. Des contraintes diverses plaident pour des opérations électroniques sur le format standard. En outre, l’avantage éventuel d’un abandon des formats spécifiques serait d’offrir de véritables repères en termes de prix, pour les consommateurs, et ainsi de clarifier l’offre de prix de la catégorie. En d’autres termes, les formats spécifiques polluent la lisibilité des prix pour les consommateurs.

Avec les nouvelles technologies (publicité interactive sur le lieu de vente, internet conjugué à la télévision interactive et à la téléphonie mobile, portails comme EbuyClub…), la promotion ne deviendrait-elle pas surtout un outil de communication, de relation plus affective entre le consommateur et la marque ?

G. Gros : Oui, c’est un domaine à travailler.

J.-P. Leterrier : Oui, mais la pénétration de ces techniques est lente. Il y a des essais, mais pas beaucoup d’affectif.

P. Ingold : La promotion devient aussi et de plus en plus un outil de communication relationnelle avec beaucoup de techniques ne jouant pas sur le prix. Mais la promotion liée à la transaction pèsera toujours d’un poids dominant.

P. Denis : La promotion est un terme qui mélange des techniques promotionnelles, un métier et une relation commerciale. Ce qui change aujourd’hui, c’est le nombre de relais promotionnels. Les techniques sont immuables, et l’approche du consommateur devient plus affective.

Y. Malvoisin : Il est vrai que les nouveaux médias constituent une nouvelle relation au consommateur (plus proche, plus conviviale). La nature de la relation évoluant, la promotion prend une nouvelle dimension, plus qualitative. Cela étant, quel que soit le support, son objectif demeure de véhiculer une offre. Concernant la pub interactive sur lieu de vente, le retour, de la part du consommateur, est encore décevant pour les outils mis en place (en termes de visibilité notamment).

Jusqu’où la marque peut-elle agir sans travestir son territoire et son image ? Observez-vous une tendance à la théâtralisation ? Ne touche-t-on pas à l’absurde avec certaines opérations, comme celles consistant à rembourser au consommateur un lot de même nature d’une marque concurrente, dans la limite du prix de la marque promue ?

P. Ingold : Les actions promotionnelles ont souvent des effets de communication. Bien sûr, elles doivent respecter les territoires de communication des marques. Elles ont en outre des fonctions d’interaction et de relation entre marques et consommateurs, notamment quand elles utilisent des supports interactifs. La promotion s’impose donc de plus en plus comme une discipline de communication. On parle beaucoup de théâtralisation du point de vente. On devrait d’ailleurs plutôt parler de scénarisation de marque. On peut penser à des opérations comme le chocolat en fête de Nestlé chez Carrefour, de la Chandeleur organisée par le comité éponyme, ou encore les Beautiful Days de Dim. C’est une approche intéressante en termes d’efficacité commerciale et de communication de la marque, mais de portée assez limitée : de telles opérations sont coûteuses et restent assez peu nombreuses. Quant à l’opération de remboursement proposée par une marque de pâtes fraîches italiennes, elle peut vous paraître absurde sur un plan théorique. Mais son originalité a permis à la marque d’émerger sur le marché français. Ce fut plus une action de communication qu’une action promotionnelle stricto sensu, le mécanisme servant de support à la promesse du produit.

Y. Malvoisin : L’objectif pour les marques est d’être remarquées par les consommateurs. D’où le caractère massif de certaines opérations (type allée centrale de magasin ou cheminées), avec l’objectif d’atteindre une taille critique promotionnelle. On peut toucher à l’absurde, d’autant que les consommateurs rejettent les opérations complexes, difficiles à comprendre en termes de mécanisme, et les opérations différées, de remboursement. Ils veulent de l’immédiat.

J.-P. Leterrier : L’exagération (ou le désespoir) de nombreux directeurs du marketing a pu générer des excès ! G. Gros : Il faut rester cohérent.

Le magasin est-il toujours le seul lieu promotionnel ? Quel est le lieu de vente le plus pertinent pour la promotion des produits de marque : le supermarché ou l’hypermarché ?

P. Ingold : Le magasin n’est pas le seul lieu de la promotion. Il reste bien évidemment incontournable pour toutes les actions marchandes qui visent à augmenter les ventes à court terme. Mais quand il s’agit d’atteindre des objectifs stratégiques ou relationnels, des situations de loisir, de travail ou d’étude sont souvent plus favorables, par la concentration de cibles assez homogènes à des moments privilégiés, étapes de vie ou parenthèses de vie. Dans les grandes surfaces alimentaires, c’est bien sûr l’hypermarché qui reste le plus pertinent pour la promotion de la marque, en raison d’un potentiel de contacts très important qui permet de justifier des actions spécifiques de mise en avant ou d’animation des ventes. *

P. Denis : Le magasin est le lieu le plus proche, mais un des enjeux pour les marques est de toucher les consommateurs en dehors de ce lieu traditionnel, via internet, les SMS…

J.-P. Leterrier : Le point de vente reste le principal fournisseur de produits pour le consommateur. Il faut savoir jouer avec les contradictions entre assortiment large et profond ou étroit, visites régulières ou exceptionnelles. Supermarché et hypermarché sont complémentaires.

Y. Malvoisin : Le déclenchement d’une promotion peut s’opérer très en amont du magasin (prospectus classique ou nouveaux médias). Nous observons une très forte proximité entre les deux circuits en termes de préméditation de l’achat promotionnel. Cela signifie qu’un alignement s’est opéré, dans l’esprit des consommateurs, entre les deux circuits en termes de prix, en attendant que les cartes soient éventuellement redistribuées.

G. Gros : Le lieu de vente le plus pertinent est le lieu du choix des marques. L’hypermarché est, sous ce critère, plus pertinent puisqu’il offre plus de choix. Mais les supermarchés doivent aussi jouer la carte du choix, donc des promotions, pour se démarquer du maxidiscompte. L’hypermarché est également un lieu où l’on investit en temps et en argent (coût du déplacement). La promotion est une manière de rentabiliser cet investissement. Le supermarché étant plus un lieu de dépannage, d’achat de proximité, l’investissement est moins important à rentabiliser. Reste que la présence du maxidiscompte en proximité oblige la supermarché à détourner le consommateur de ce type d’enseigne. La promotion couplée à des offres longues de marques peut en être le moyen.

(1) Nouveau instruments de promotion.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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