Bulletins de l'Ilec

Le gendarme, acteur de l’intelligence territoriale - Numéro 381

01/06/2007

Entretien avec le général Marc Watin-Augouard, commandant la région de gendarmerie du Nord-Pas-de-Calais, et de la gendarmerie pour la zone de défense Nord.

Le préfet Rémy Pautrat souligne le rôle déterminant de l’intelligence territoriale. Depuis mars 2005, la gendarmerie travaille activement en coordination avec les préfets de région, de zone de défense et les préfets de département à la mise en œuvre d’un concept d’intelligence économique propre à la gendarmerie. En quoi cela consiste-t-il ? Marc Watin-Augouard : La gendarmerie est seule chargée de la sécurité publique sur 95 % du territoire. Si les sièges sociaux des entreprises sont dans les grandes villes, les PME-PMI et les sites de production sont généralement implantés en zone rurale ou périurbaine. Nous devons garantir la sécurité des activités économiques qui se déploient sur nos territoires afin de les rendre plus compétitifs. Les entreprises ne s’implantent pas ou ne restent pas là où leurs infrastructures, leurs cadres et salariés, leurs activités, leur patrimoine intellectuel, sont en butte à des agressions. Nous identifions donc un certain nombre de domaines susceptibles de faire l’objet d’une action concertée avec les milieux économiques, qu’il s’agisse des vols de fret, de la cybercriminalité, du travail illégal, des contrefaçons, des cambriolages dans les établissements industriels et commerciaux, etc. Nous ne cherchons pas à concurrencer d’autres services, les renseignements généraux ou la DST. Nous agissons là où nous sommes les seuls à être en mesure de le faire, grâce au maillage de nos 3 600 brigades. La société s’est transformée en quelques décennies. Elle est aujourd’hui plus mobile. Les flux exercent une forte influence sur les territoires qu’ils traversent. Les modes d’action du gendarme évoluent. Au mouvement, il faut apporter une réponse dynamique en agissant davantage avec les réseaux qui structurent nos territoires. Les liens entre les élus, la population et les acteurs économiques sont fondamentaux. L’intelligence territoriale repose sur une analyse systémique de ces réseaux, qui favorise une meilleure compréhension du biorythme des territoires. L’intelligence économique est l’un des piliers de cette approche nouvelle. Que peuvent en attendre les PME ? M. W-A : Notre méthode s’appuie sur le partenariat. Chacune de nos manifestations (réunions d’information, colloques) est largement ouverte à d’autre institutions, à d’autres organismes publics ou privés. Se crée ainsi un réseau où les PME peuvent être sensibilisées et trouver des réponses à leurs attentes. Depuis que nous avons agi avec les syndicats de transport, avec les entreprises, les bases logistiques, les sociétés d’autoroute, les vols de fret sur les grands axes de la zone nord ont fortement régressé. Les entreprises sont gagnantes. Quant à la gendarmerie, elle a moins d’enquêtes à mener, donc plus de temps disponible pour la prévention. Comment organisez-vous l’emploi du temps des gendarmes pour inclure cette mission fondamentale dans leur activité quotidienne ? M. W.-A. : Il n’y a pas d’emploi du temps type. Notre démarche repose d’abord sur la sensibilisation. Des études menées dans ma région montrent que les gendarmes sous-estiment parfois le rôle qu’ils peuvent jouer, notamment parce qu’ils pensent à tort que les chefs d’entreprise n’attendent rien d’eux. Le contact est donc fondamental. Il est le préalable à l’instauration de relations de confiance et à une action conjointe. Quel rôle jouent les réservistes dans ce dispositif ? M. W.-A. : Beaucoup travaillent en entreprise. Ils ont une excellente expérience et jouent un rôle de conseil. Quatorze d’entre eux constituent mon équipe rapprochée. Mais ils sont également présents dans les groupements (départements) ou les compagnies (arrondissements). Je suis toujours à la recherche de compétences spécifiques, notamment dans le domaine de la cybercriminalité. Avec 1 300 réservistes dans la région Nord-Pas-de-Calais, je dispose d’un potentiel fort, capable de faire le lien entre la gendarmerie et les milieux économiques. Comment articuler le local, le régional et le national ? M. W.-A. : Une bonne politique d’intelligence économique doit s’appuyer sur la subsidiarité. Chaque échelon doit intervenir, car rien ne vaut la proximité. Certaines questions ne peuvent être résolues par les gendarmes locaux. Ils doivent alors orienter le demandeur vers le service idoine, qui peut être départemental, régional ou national. Je n’hésite pas à faire venir des experts nationaux de la gendarmerie, lorsqu’il faut par exemple sensibiliser les entreprises à la contrefaçon. Ce qui est fondamental, c’est la continuité de la chaîne. Rien ne serait pire qu’un gendarme avouant sa méconnaissance d’un problème à un chef d’entreprise sans lui proposer de le mettre en contact avec quelqu’un qui sait. Ce qui est vrai pour la gendarmerie est valable pour d’autres services. L’intelligence économique, c’est d’abord établir un lien entre des personnes. Il nous arrive d’être les intermédiaires entre une entreprise et un service spécialisé. Comment se décline le rôle de la gendarmerie dans les régions où sont implantés des pôles de compétitivité ? M. W.-A. : Le 22 mars dernier, nous avons organisé un forum international sur la cybercriminalité qui a rassemblé six cents personnes. Toutes ont souhaité que cette action soit pérenne. Nous constituons donc un pôle de compétences sur les nouvelles technologies avec Entreprises et Cités (de Marcq-en-Baroeul). Nous sommes rejoints par des universités, des chambres de commerce, des entreprises, des professions libérales. Notre intention est de faire de Lille le lieu de rendez-vous annuel des experts de la sécurité des systèmes d’information, et nous voulons aussi que ce pôle de compétences se mette au service des pôles de compétitivité.

Propos recueillis par Jean Lambert

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