Bulletins de l'Ilec

Le consommateur éclairé - Numéro 383

01/09/2007

Entretien avec Luc Chatel, secrétaire d’Etat chargé de la Consommation et du Tourisme

Depuis plusieurs années, la question de « l’éducation du consommateur » a semblé émerger au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. Quelle conception en avez-vous ? Luc Chatel : Dans un monde de plus en plus complexe et ouvert sur l’extérieur, la question de l’information du consommateur me paraît fondamentale : le consommateur doit être mieux éclairé, c’est-à-dire pouvoir facilement connaître et comparer ce qu’il achète. Prenez aujourd’hui le cas des multiples abonnements que nous contractons tous : le foisonnement des grilles tarifaires, la complexité des packages, les clauses de sortie, rendent souvent les comparaisons de prix difficiles. Il ne s’agit pas de remettre en cause la variété des offres, mais nous devons assurer une plus grande lisibilité de l’information. Seul un consommateur éclairé est en mesure d’exercer sa liberté de choix et de faire jouer la concurrence. Mais l’éducation du consommateur vise aussi à en faire un consommateur responsable : la consommation doit se faire dans le respect des règles de droit, que ce soit en matière environnementale ou de propriété intellectuelle. La circulaire de décembre 1990 sur « l’éducation du consommateur » dans les programmes scolaires (n° 90-342 du 17-12-1990, BO de l’Éd. Nat. du 3-1-1991) lie faiblement les notions de consommation et de citoyenneté. Dans l’éducation du consommateur, qu’est-ce qui doit l’emporter : la défense de son intérêt ou l’apprentissage d’une consommation responsable ? L. C : La circulaire énonce que « l’ensemble des disciplines concourent à cette éducation du consommateur (…) certaines d’entre elles telles que l’éducation civique et l’histoire-géographie (…) en [étant] le support privilégié ». Elle souligne en particulier le caractère indispensable de la sensibilisation au respect de l’environnement. Il ne peut y avoir à mon sens d’éducation du consommateur sans une prise en compte simultanée des droits et des responsabilités qui lui incombent. Apprendre au consommateur à exercer de manière éclairée sa liberté de choix implique également qu’il en fasse un usage responsable. Au nombre des pistes que vous proposiez dans votre rapport De la consommation méfiance à la consommation confiance (1), pour améliorer l’information, la représentation et la protection du consommateur, quelles sont celles qui demeurent d’actualité ? L. C : Plusieurs de mes propositions de 2003 ont été suivies d’effet. J’avais par exemple appelé de mes vœux la transformation du Conseil national de la consommation (CNC) : une réforme intervenue en mars 2005 est allée dans ce sens, en élargissant la composition du CNC aux présidents de plusieurs instances spécialisées. Je faisais également remarquer que les Comités départementaux de la consommation ne constituaient plus un niveau pertinent de représentation : ils ont été supprimés en 2006. Je recommandais une régionalisation des structures consuméristes, et une expérimentation en ce sens est actuellement en cours. S’agissant du financement des associations de consommateurs, je préconisais de substituer une logique de résultats à une logique de moyens par le biais d’aides aux structures fondées sur des programmes d’action. Les conventions pluriannuelles de financement passées avec toutes les associations pour la période 2006-2008 ont bien reposé sur ce principe. Ce ne sont là que quelques exemples et il reste beaucoup à faire, en étroite concertation avec tous les acteurs du monde économique et de la société civile. Ces pistes se retrouvent-elles dans le programme d’action du gouvernement en la matière ? L. C : Le président de la République et le Premier ministre nous ont demandé, à Christine Lagarde et à moi-même, de préparer un certain nombre de mesures destinées à renforcer la protection des consommateurs et à protéger le pouvoir d’achat, avec une priorité clairement donnée aux nouveaux services. En effet, un sondage réalisé par le Credoc montre que les consommateurs ressentent une insuffisante protection dans les secteurs de la téléphonie-internet, des assurances et des banques. Pour renforcer la confiance des consommateurs, il est indispensable de rechercher les moyens de mieux garantir leur protection, de manière très concrète. Dans certains secteurs économiques, l’évolution des technologies et des pratiques commerciales a fait émerger des problèmes nouveaux, parfois préoccupants, tels que la tarification des hotlines ou la clarté des tarifs. Les associations de consommateurs et les professionnels ont d’ailleurs beaucoup échangé sur ces sujets et certains engagements ont été pris par les opérateurs. J’estime qu’il est temps de dresser le bilan des engagements et de préciser dans certains cas le cadre législatif et réglementaire. Quelles vertus pédagogiques attendez-vous des futures actions collectives ? L. C : L’action de groupe est un instrument qui met les producteurs indélicats face à leurs responsabilités vis-à-vis des consommateurs. Je pense tout particulièrement aux affaires dans lesquelles les consommateurs subissent individuellement un dommage limité – ce qui ne les incite pas à demander réparation –, alors même que la collectivité dans son ensemble supporte un dommage important : l’action de groupe permet de surmonter ce problème d’incitation à agir. Au-delà de sa fonction réparatrice, l’action collective présente également une vertu pédagogique : elle aide à restaurer la confiance des consommateurs ; elle en fait des acteurs de la régulation du marché, aux côtés d’autres institutions telles que les autorités de concurrence. Mais l’action collective doit être encadrée, pour éviter les dérives que nous connaissons outre-Atlantique, avec l’essor d’une véritable industrie du procès. Nous devons veiller notamment à ce que les actions de groupe ne portent pas atteinte indûment à l’image des entreprises ; je pense en particulier au risque de surmédiatisation, avant même que la responsabilité réelle des entreprises ne soit établie. Pour ce qui est du calendrier, le texte sur les actions de groupe pourrait s’intégrer dans la loi sur la modernisation de l’économie qui sera présentée en 2008. Les questions de consommation, outre la récurrente controverse sur la « vie chère » et la sincérité des indices, deviennent-elles plus qu’avant un enjeu politique ? L. C : La controverse sur la « vie chère », qui s’inscrit pleinement dans la problématique de la consommation, retient évidemment toute l’attention des pouvoirs publics. En 2006, le pouvoir d’achat des ménages français, mesuré dans le cadre de la comptabilité nationale, a progressé de 2,3 % . Pourtant, de nombreux ménages ont le sentiment que leur pouvoir d’achat se dégrade. Ce décalage entre l’évolution constatée du pouvoir d’achat au moyen d’indicateurs macroéconomiques et l’appréciation qu’en ont les ménages nous invite aujourd’hui à réfléchir à la pertinence de nos indicateurs. C’est pourquoi Christine Lagarde vient d’annoncer la création d’une commission chargée de proposer des indicateurs mesurant l’évolution du pouvoir d’achat. Ces indicateurs devront tenir compte de l’influence sur le pouvoir d’achat et sur son évolution de critères tels que, par exemple, le niveau de revenu et la situation familiale. (Le constat de départ doit être que l’indice des prix ne constitue pas un outil de mesure satisfaisant du pouvoir d’achat, et qui ne répond pas aux demandes de la population en la matière.) La Commission, constituée de représentants des associations de consommateurs, de partenaires sociaux, d’économistes et d’experts de l’administration, aurait pour mission de formuler des propositions d’indicateurs concrètes et immédiatement applicables. La consommation est-elle perçue par les politiques comme le moteur de l’économie, le centre de la vie en société ? L. C : La consommation représente aujourd’hui le premier moteur de la croissance en France, avec 55 % du PIB. On ne peut dans ces conditions mener une politique ambitieuse de croissance économique et négliger ce formidable levier. Voilà pourquoi la question du pouvoir d’achat est la priorité économique de notre gouvernement. La progression durable du pouvoir d’achat passe d’abord par la restauration de l’incitation au travail ; c’est là l’objectif des mesures prises dans le cadre de la loi Travail, Emploi et Pouvoir d’achat, que ce soit en matière d’exonération des heures supplémentaires ou de déductibilité des intérêts d’emprunt. Il nous faut également engager une action structurelle sur le niveau des prix, en permettant au consommateur de mieux faire jouer la concurrence sur les marchés de biens et de services. Que penser de l’idée que les Français connaissent mal l’économie, dont la consommation est un des rouages ? Quels sont les peuples savants en la matière ? L. C : A vrai dire, si les Français connaissent mal l’économie, ce n’est pas faute de s’y intéresser : selon une récente enquête Sofres, 68 % des Français disent s’intéresser à l’économie… mais seulement 6 % déclarent en comprendre « très bien » les mécanismes. C’est donc que nous ne leur donnons pas suffisamment tôt toutes les clés pour la comprendre. Les mécanismes économiques de base sont certes évoqués à différentes occasions dans l’enseignement secondaire, mais l’économie – tout comme le droit d’ailleurs – reste le parent pauvre de l’enseignement général. Elle ne devient une discipline que pour les lycéens qui font le choix de s’orienter vers la filière économique et sociale ou de gestion. Un premier pas a été fait en 2006 avec l’intégration de la connaissance de l’environnement économique dans le socle commun des connaissances et des compétences. La même année, le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie a mis en place le Conseil pour la diffusion de la culture économique (Codice). Cette instance a reçu pour mission de « proposer des actions novatrices pour améliorer les connaissances économiques des Français et développer leur intérêt pour la matière économique qui concerne très directement leur vie quotidienne ». En mars 2007, le Codice a remis un ensemble de propositions pour permettre aux Français de mieux comprendre l’économie. Nombre d’entre elles mettent l’accent sur la nécessité d’améliorer la formation économique des acteurs et médiateurs de la vie économique, ou encore sur les nécessaires relations que doivent entretenir le monde éducatif et le monde professionnel. Cette prise de conscience du rôle de l’économie dans l’éducation n’est pas propre à la France et est une préoccupation partagée par d’autres pays en Europe. Je crois qu’à l’heure de la mondialisation il est important que chaque Français dispose d’outils pratiques – dont l’économie – lui permettant de mieux comprendre le monde dans lequel il évolue. La maîtrise par les ménages de leur capacité d’endettement n’est-elle pas un enjeu majeur de la consommation responsable ? Où est le moindre mal, dans un surendettement de l’Etat, comme en France, ou des ménages, comme au Royaume-Uni ? L. C : L’analyse des dossiers déposés devant les commissions de surendettement montre que le surendettement passif est largement majoritaire et qu’il fait le plus souvent suite à un accident de la vie (perte d’emploi, maladie, séparation, etc.). Le phénomène du surendettement touche essentiellement des personnes à faibles revenus, disposant de peu de patrimoine. L’augmentation du nombre des ménages surendettés a conduit le gouvernement à prendre différentes mesures, tant pour prévenir que pour aider à résoudre ces situations. Les pouvoirs publics ont notamment pris des dispositions facilitant la recherche, pour les ménages surendettés, de solutions à l’égard de leurs créanciers, tout en conservant un minimum vital. Cette question reste l’une des préoccupations majeures du gouvernement. Dans le même temps, le gouvernement reste vigilant sur les conditions dans lesquelles certains crédits renouvelables à taux très élevés sont offerts aux consommateurs, notamment les plus vulnérables. Diverses dispositions ont déjà été prises pour améliorer le contenu des publicités et limiter le renouvellement automatique des contrats. Si nécessaire, de nouvelles mesures seront adoptées. Comment consommer « responsable » dans un domaine, comme le logement, premier poste budgétaire des ménages, où prévaut la rareté ? L. C : Le logement représente effectivement le premier poste de dépense des ménages, avec 25 % de leur budget. A mon sens, la première condition à remplir pour que la consommation dans ce secteur puisse être « responsable », c’est que les professionnels de l’immobilier et les prêteurs jouent le jeu en matière d’information du consommateur, de loyauté, de respect des règles de concurrence. Or les actions de contrôle exercées par la DGCCRF ont montré, dans la dernière période, un nombre excessif de pratiques irrégulières dans ce secteur d’activité. A ce titre, il me paraît indispensable d’inscrire dans la loi des dispositions habilitant les agents de la DGCCRF à contrôler le respect des dispositions de la loi du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, qui encadre l’activité des professionnels de l’immobilier. C’est ce que le gouvernement propose dans un projet de loi qui sera présenté dans les prochaines semaines au Parlement. Comment maîtriser la complexité technique croissante de l’acte de consommer (installer l’ADSL chez soi, par exemple), qui complique la vie quotidienne et creuse les fractures culturelles ? Où s’arrête la compétence requise du consommateur ? L. C : Il me paraît opportun de favoriser l’émergence d’outils permettant aux consommateurs d’être moins affectés par les déséquilibres contractuels et les asymétries d’information. L’une des initiatives du Conseil national de la consommation, concernant le secteur des communications électroniques, a été de concevoir avec les opérateurs et les associations de consommateurs un Guide pratique des communications électroniques. Ce guide a été rédigé dans des conditions assurant son objectivité et sa neutralité vis-à-vis de toute démarche commerciale et a fait l’objet d’une large diffusion. Au-delà des malentendus directement liés à la technique, je suis également préoccupé par la complexité des contrats proposés aux consommateurs, qui peuvent receler des clauses abusives voire illicites : je salue à ce titre la récente recommandation de la Commission des clauses abusives sur les contrats des offres « triple play » et j’invite l’ensemble des acteurs à réexaminer les contrats qu’ils proposent aux consommateurs à la lumière de ces éléments, avant toute action contentieuse. Conduire, chasser, fumer… autant d’actes de consommation réglementés de plus en plus strictement, soumis à conditions d’âge, de lieu d’exercice ou de compétence. Va-t-on vers une multiplication des interdits et l’instauration d’une nouvelle morale officielle ? L. C : Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question de morale, encore moins imposée par les pouvoirs publics. Ces réglementations sont simplement l’expression, le reflet de ce qu’une société s’autorise en matière de consommation à un moment donné. Vous remarquerez d’ailleurs que les interdits dont vous parlez changent au cours du temps et diffèrent selon les pays. Si le contenu des réglementations peut changer, ce qui reste néanmoins immuable, ce sont les principes de base. Par exemple, le consommateur n’est pas toujours en mesure de connaître ce qui est bon pour lui - je pense ici à tout ce qui touche aux enfants et adolescents. La réglementation – même lorsqu’elle prend la forme d’une interdiction – vise alors à protéger ceux-là mêmes à qui elle s’applique. En plus de sa fonction protectrice, elle joue également un rôle éducatif. Après les xixe et xxe siècles, qui ont connu les grandes mobilisations des classes de producteurs, serions-nous entrés dans l’ère d’un consumérisme révolutionnaire ? Ne risque-t-on pas d’aller vers une forme de « consocratie » ? L. C : Je crois qu’il n’y a aucune fatalité en la matière. Tout d’abord, contrairement à une idée reçue, la défense des consommateurs ne s’oppose pas à l’intérêt des producteurs. Elle les invite simplement à être plus attentifs aux besoins des consommateurs, elle stimule leur créativité, elle les incite à offrir des produits au meilleur prix possible. Le « consommateur tyrannique », c’est celui qui, au nom de son désir de consommer, en vient à enfreindre les règles de droit ; je pense en particulier à la mode du « tout gratuit » dans le domaine des biens culturels, parfois présentée comme un modèle alternatif. Dans ce cas-là, la gratuité, c’est l’art de faire payer les autres, et c’est aussi la violation du droit des créateurs à une juste rémunération. Pour prévenir ces dérives, nous devons également éduquer le consommateur, pour le rendre plus responsable dans ses choix de consommation. (1). Rapport enregistré à l’Assemblée nationale le 3 décembre 2003.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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