Le pari d’une déflation vertueuse - Numéro 384
01/10/2007
La question du pouvoir d’achat est-elle aujourd’hui la première préoccupation des consommateurs ? Alain Bazot : C’est en tout cas ce que semblent indi-quer les sondages. Il faut croire que les consommateurs savent compter et ne se laissent pas impressionner par certaines statistiques qui se veulent rassurantes. Le rapport Rueff Armand préconisait déjà, en 1958, des réformes pour favoriser la croissance et libérer, en particulier, la consommation des ménages, par davantage de concurrence. C’est par le thème du pouvoir d’achat que la commission sur la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali, a commencé ses travaux, en appelant à davantage de concurrence, en particulier dans la distribution. Que préconisez-vous ? A. B. : Nos propositions s’articulent autour de deux points : la réforme de la loi Galland et celle de la loi Raffarin. Nous demandons une suppression des marges arrière. Il y a un réel consensus autour de l’idée que le dérapage des prix est dû à leur explosion. Cette explosion provient du fait qu’avec la loi Galland les distributeurs ont eu tout intérêt à multiplier la facturation de remises à leurs fournisseurs, la « coopération commerciale », récupérant ainsi une marge dite arrière que la loi leur interdisait de répercuter au consommateur en baisse de prix, à moins de s’exposer à des poursuites pour violation de l’interdiction de vente à perte, cette dernière étant déterminée à partir d’un calcul fondé uniquement sur les marges avant. De leur côté, les industriels ont dû en permanence ajuster à la hausse leurs tarifs, pour amortir les coûts toujours plus élevés de la coopération commerciale imposée par la grande distribution. Deuxième point : la réforme de la loi Raffarin. Il existe en France un important problème concurrentiel. Nous comptons sept groupes, mais cinq centrales d’achat. Cela peut paraître une situation relativement concurrentielle, si l’on compare à d’autres secteurs comme la téléphonie mobile. Mais en réalité, dans une zone de chalandise, il y a rarement tous ces acteurs. Et dans certaines, il arrive qu’il n’y ait qu’un hypermarché. Or une étude de la DGCCRF l’a montré : seul un hypermarché est en mesure de réellement concurrencer un hypermarché. Si l’on admet que d’autres types de surfaces, comme les supermarchés et les maxidiscomptes, peuvent, à la marge, concurrencer un hypermarché, on se rend également compte que parfois, dans une même zone de chalandise, ces segments de marché sont occupés par des enseignes du même groupe que l’hypermarché. Il est indispensable de régler ce problème d’absence d’intensité concurrentielle, avant de faire table rase de toute régulation de l’activité de grande distribution. La réforme de la loi Galland vous paraît-elle de nature à redonner du pouvoir d’achat au consommateur et à quelles conditions ? A. B. : Oui, si on supprime les marges arrière, toutes les prestations seront indiquées sur la facture de manière très claire. La transparence sera déjà un premier gardefou, on verra d’où vient le dérapage des prix et les autorités qui contrôlent la régularité des pratiques dans lesecteur, comme la DGCCRF, seront plus à même de le discipliner. De plus, si les marges arrière disparaissent, i.e. la possibilité de tirer un revenu de la coopération commerciale, ce type de pratiques devrait diminuer très fortement, par conséquent la pression sur les industriels sera plus faible et ils pourront baisser leur prix. Cela effacerait également les effets pervers des dernières réformes, notamment la loi Jacob-Dutreil, qui, en autorisant une déduction des seules marges arrière supérieures à 20 % puis 15 % du prix net du produit, a incité les distributeurs à gonfler les factures avec de la coopération commerciale pour atteindre ces seuils, introduisant plus d’opacité. Mais j’insiste, tout cela reste assez théorique tant que l’on ne s’est pas assuré que, dans chaque zone de chalandise, la concurrence est parfaitement effective, car c’est la seule façon d’obliger les distributeurs à répercuter sur les prix les différents avantages qu’ils obtiennent des fournisseurs. Selon le BIPE le « pouvoir d’achat effectif » par unité de consommation affiche en 2006 une évolution de + 0,4 % (+ 2,3 % pour le pouvoir d’achat selon l’Insee). Quel indice des prix est pertinent ? A. B. : Il faut être prudent, les indices analysent toujours une moyenne, quelque chose de très général. Notre approche est à la fois plus microéconomique et plus pragmatique. Notre unité d’analyse, c’est le chariot du consommateur. Or, de l’aveu même du gouvernement, les prix des produits alimentaires ont explosé en dix ans. Eurostat met en évidence que les prix ont augmenté en rythme annuel cumulé, hors inflation, entre 1996 et 2003, de 7 % . Le dérapage des prix en France est exceptionnel, la différence entre l’évolution des prix relatifs en France et l’évolution des prix relatifs dans l’Europe des Quinze s’est creusée, atteignant jusqu’à 8 % en 2004 pour l’alimentaire hors alcools. Cet écart reste pour la viande bovine d’environ 9 % en 2006. La France est le pays d’Europe qui a l’inflation la plus faible (+ 1,2 % par an). N’y a-t-il pas un bon usage de l’inflation, comme pari sur l’avenir, ou un taux d’inflation optimal ? Corrélativement, la déflation n’a-t-elle pas des effets pervers en termes d’emploi ? En 2004, pour la première fois, les grandes surfaces n’avaient pas créé d’emplois nets. Jusqu’où peut-on baisser ses marges ? A. B. : Il me semble que ces questions ne sont pas du ressort de l’UFC-Que choisir, c’est aux économistes qui traitent des questions macroéconomiques de trancher. Notre seule préoccupation, c’est les consommateurs. Or, comme nous l’avons dit, les prix des biens de grande consommation ont beaucoup augmenté et de façon anormale. Sur l’emploi, il est intéressant de souligner qu’une étude de Bertrand et Kramatz, citée dans le rapport Canivet, montre qu’il y aurait une corrélation entre la régulation de l’immobilier commerciale et la création d’emplois. Pour eux, la libéralisation du secteur, dans certaines conditions, pourrait permettre d’y accroître significativement l’emploi. N’y a-t-il pas focalisation excessive sur une baisse des prix dans l’alimentation, quand ce poste ne représente en moyenne que 14 % du budget des ménages ? A. B. : Il représente 14 % du budget du ménage de référence, mais ce ménage moyen est-il représentatif de la majorité des Français ? Ce n’est pas certain ! Il est important de souligner que, selon l’Insee, en 2004, alors que le revenu moyen fiscal déclaré est de 16 219 euros, 50 % des foyers déclarent un revenu de moins de 12 000 euros. Pour cette tranche de la population, le revenu moyen est de 10 458 euros. Je pense que pour un foyer qui vit avec cette somme l’alimentation ne représente pas que 14 % de sa consommation. Par ailleurs, un élément qui fait chuter le niveau des prix est l’importante baisse des prix dans l’électronique, mais je doute que ces ménages s’équipent en écrans plats. Je crois que cette population, qui représente 50 % des foyers français, ressent plus durement la hausse des prix de l’alimentaire. Si le revenu moyen fiscal déclaré est de 16 219 euros, combien de ménages déclarent un revenu inférieur ? Largement plus de 60 % ! Le consommateur n’est-il pas schizophrène en voulant d’un côté voir baisser les prix et, de l’autre, augmenter son salaire, qui n’est autre qu’un prix que l’entreprise souhaite, elle, ajuster en fonction du marché ? A. B : La baisse des prix et une augmentation des salaires sont possibles. C’est ainsi que fonctionne le cercle vertueux de la croissance économique, le salaire augmente, on consomme plus, le volume des ventes augmente, on réalise des économies d’échelle, ce qui dégage une marge permettant une baisse des prix et de nouvelles hausses de salaire, et le processus continue ainsi. C’est le processus que l’on apprend en histoire au lycée, ou en économie, lorsque l’on étudie les Etats-Unis des années vingt (Ford qui augmentait le salaire de ses ouvriers, le five dollars day, pour qu’ils lui achètent ses voitures) ou même les Trente Glorieuses en France. Bien sûr, cela implique que le marché fonctionne parfaitement, avec une vraie concurrence. Si certains acteurs en position dominante contrôlent les prix, la machine se grippe. C’est exactement ce qui arrive en France. 1. Plon, 2007.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard