Le prix fait-il l’enseigne ? - Numéro 384
01/10/2007
« Existe-t-il un lien entre la réalité des positionnements prix des enseignes et l’image que s’en font les consommateurs ? Si oui, quelles actions peut-on préconiser aux enseignes pour construire une image prix plus favorable que ne le suggère leur réel positionnement prix ? » Tels sont les deux objectifs que se sont fixés Jean-Daniel Pick et Guy-Noël Chatelin (OC & C Strategy Consultants), dans une étude mondiale portant sur 132 enseignes de cinq pays (cf. encadré). « Dans le contexte actuel de baisse des prix et des marges, d’interrogation sur le pouvoir d’achat, de réforme des lois Galland-Dutreil, de pression toujours plus forte des marchés financiers, et d’accès de la distribution à la publicité télévisée, il apparaît que construire et pérenniser une bonne image prix, sans pour autant baisser les prix et laminer les marges, prend une importance croissante pour les enseignes », résume Jean-Daniel Pick. Les consommateurs des différents pays ont une connaissance relativement aiguisée du positionnement en prix des enseignes, et les Français sont les plus avisés. « Le consommateur français est capable d’estimer le positionnement relatif en termes de prix d’une enseigne avec une marge d’erreur de 7,2 % tous secteurs confondus par rapport à la réalité des prix. Les Anglais suivent (8,1 % ), devant les Allemands (11,5 % ), les Néerlandais (14,2 % ) et les Américains (17,9 % ). Plusieurs raisons expliquent ce classement : la culture du discompte, caractéristique du paysage commercial français et de ses hypermarchés depuis les années 1960 ; la loi Galland, qui a eu pour effet de réduire les écarts de prix entre les enseignes dans l’alimentaire ou le bricolage ; enfin, la méfiance des consommateurs vis-à-vis des enseignes, entretenue par les débats autour de la loi Dutreil, l’euro et la politisation croissante des concepts de pouvoir d’achat et de hausse des prix. « Les Français comparent de plus en plus les prix », résume Jean-Daniel Pick. Des leviers pour une bonne image Deuxième enseignement : une plus grande lisibilité des prix se constate dans trois secteurs : l’alimentaire, la beauté et l’électronique. Si le consommateur est capable d’estimer à 2 % près le positionnement relatif en termes de prix d’enseignes de parfumerie-beauté, à 3 % celles de produits électroniques et à 4 % celles de l’alimentaire, il a une très faible aptitude à juger du positionnement en prix des enseignes du sport (13,1 % ) et d’équipement de la personne, tant dans l’habillement (23,5 % ) que dans la chaussure (28,5 % ). La raison tient au fait que les écarts de prix entre les enseignes dans la parfumerie-beauté, l’électronique et l’alimentaire sont moins importants entre marques, en raison de la comparabilité plus forte entre produits, et des points d’ancrage que constituent les premiers prix (par exemple le lecteur DVD à 30 € ). « Il y a des secteurs dans lesquels, si l’on pilote bien l’image prix, on peut se permettre d’avoir des prix relativement élevés sans que le consommateur vous en tienne rigueur », observe Guy-Noël Chatelin. Troisième enseignement : sur vingt-huit enseignes françaises, quelques-unes ont résolu l’équation bonne image prix égale bonnes marges. L’étude identifie deux catégories. Zara, Eram, ou Bricorama sont en tête du classement des enseignes qui ont une image meilleure que la réalité de leur prix : le panier de produits comparables montre que Zara est environ 40 % plus cher qu’H&M, mais les consommateurs pensent que le différentiel est de 15 % . « Zara a su construire une excellente image prix grâce à une sélection sophistiquée de produits couvrant une large bande de prix, une communication adaptée et une mise en avant très visible de produits à prix compétitifs », explique Guy-Noël Chatelin. « Pour autant, souligne Jean-Daniel Pick, si Eram et Zara ont une position très favorable, car les consommateurs ne s’aperçoivent pas de l’écart dans les catégories de produits où les prix sont peu comparables, on peut s’interroger sur la pérennité de la situation de Bricorama, enseigne réellement décalée en prix par rapport à ses concurrents du bricolage. » Deuxième catégorie : les enseignes telles que Décathlon et La Halle aux Chaussures, qui proposent des prix peu élevés et qui ont l’image d’être moins chères que leur positionnement réel en prix. Comment construire une bonne image prix ? « La clé du succès est de la bâtir sans nécessairement sacrifier les prix et laminer les marges », suggère Jean-Daniel Pick. Au nombre des leviers moins coûteux que la baisse des prix, les cartes de fidélité ou les promotions : visibilité des produits d’entrée de gamme, environnement en magasin minimaliste, communication sur les prix, promesse de remboursement si le client trouve moins cher ailleurs. Le modèle du genre ? Décathlon. Ses prix d’entrée sont dans la quasi-totalité des lignes les plus bas du marché (« produits bleus »), la communication sur les prix est omniprésente en magasin, les prix les moins chers sont fortement mis en avant, et les marques propres (50 % des ventes) sont fortes, voire tiennent le rôle de références (Quechua pour la montagne). Du bon usage du curseur Quatrième enseignement : certaines enseignes jouent avec le feu, avec une perception prix favorable par rapport à la réalité de leurs prix. Mais pour combien de temps ? Géant est l’enseigne la plus chère, mais elle est perçue comme moins chère que son positionnement réel. « Cela risque de ne pas durer, pronostique Guy-Noël Chatelin, car le consommateur est expert. » De fait, dans un secteur comme l’alimentaire, « il est dangereux d’être décroché en prix, surtout lorsque la proposition de valeur d’une enseigne est proche de celle des autres enseignes et que l’ensemble des leviers du prix sont pratiqués par toutes les enseignes ». Leclerc et Carrefour sont perçus en accord avec leur positionnement, le premier parce qu’il a toujours communiqué sur les prix, le second parce qu’il a massivement investi dans les prix pour être moins cher et améliorer son image. Auchan a une image prix défavorable de 2,3 % par rapport à la réalité de ses prix. « Dans une catégorie où le moindre détail compte sur les prix, le retour sur les investissements prix d’Auchan est sans doute insuffisant », souligne Guy-Noël Chatelin. Dans le domaine du bricolage, But (« le juste prix ») et Conforama (« le pays où la vie est moins chère » puis « bien chez soi, bien moins cher ») ont construit leur positionnement sur le discompte, mais ils restent plus chers que leurs concurrents. Cinquième enseignement : les enseignes dotées d’une solide position (prix bien placés et bons résultats financiers) ont des gisements d’amélioration. Deux solutions s’offrent à elles : soit améliorer leur perception tout en maintenant leurs marges, soit augmenter de manière sélective certains prix pour augmenter leurs marges. Darty, Boulanger, Auchan, Castorama, Leroy-Merlin et Marionnaud pourraient améliorer leur image sans toucher à leurs marges. Gémo, H&M et Camaieu pourraient augmenter sélectivement leurs prix ou monter en gamme sans risquer une dégradation de leur image prix perçue. « Si H&M est moins chère que les concurrents, les consommateurs ne réalisent pourtant pas à quel point cette enseigne l’est réellement. L’enseigne ne tire pas tout le profit de sa stratégie de prix bas », conclut Jean-Daniel Pick. Rendez-vous l’année prochaine, pour une deuxième vague d’étude.
Jean Watin-Augouard