Cap vers le haut débit ferroviaire - Numéro 385
01/11/2007
Depuis 2000, en dépit d’une relance industrielle (achat de sept cents locomotives) et financière (dont une aide de Bruxelles de 1,4 milliard d’euros), l’activité fret de la SNCF s’effondre, de 55 milliards de tonnes transportées en 2000 à 41 milliards aujourd’hui. Pourquoi le fer – et le ferroutage – est-il le parent pauvre des transports en France ?
Joelle Bravais : Il ne l’est pas. Fret SNCF, opérateur historique, doit pour sa part devenir plus efficace en termes de compétitivité et de service, et c’est le sens des mutations profondes dans lesquelles il est engagé. Il faut noter qu’avant la grève de novembre nos trafics en 2007 étaient supérieurs à ceux de 2006 : nous ne sommes pas en déclin mais entamons un redressement. Fret SNCF a annoncé cet été la « reconstruction du lotissement par le haut débit ferroviaire ». L’accent mis sur la densification et la qualité du service se traduit par l’arrêt du « wagon isolé » dans 262 gares. S’agit-il d’un repli définitif sur les seuls axes rentables aujourd’hui, ou une extension de l’offre est-elle envisageable à l’avenir, une fois Fret SNCF revenu à l’équilibre économique ? J. B. : Le redressement de Fret SNCF passe par un redéploiement de ses moyens sur les grands flux européens et français de marchandises et par une amélioration des délais, de la fréquence et de la fiabilité des dessertes : c’est le projet de haut débit ferroviaire. Il comprend une action de reconquête de l’activité du wagon isolé, car Fret SNCF pense que cette activité – redressée – peut devenir un avantage compétitif. Celai impose son recentrage autour de trois centres d’éclatement et d’une trentaine de plates-formes. Pour redéployer ses moyens là où existe du trafic et se développer sur les flux en croissance, Fret SNCF a décidé de déréférencer des points de desserte au wagon isolé, une fois connues et analysées les prévisions de trafic que nous font parvenir nos clients. Début août, une liste de 262 points de desserte a été finalisée. La moitié de ces points traitaient moins d’un wagon par mois. Ces déréférencements ne concernent que le wagon isolé, une technique d’acheminement qui intéresse de moins en moins les points de desserte concernés : sur les 262, le trafic de trains entiers et de conteneurs y représente aujourd’hui 80 % de l’activité, et ce trafic en trains entiers continue. Les PGC, à commencer par les liquides, sont l’un des premiers secteurs touchés par la nouvelle stratégie de Fret SNCF. Elle les contraint à envoyer des milliers de camions supplémentaires sur les routes. Sont-ils promis à ne plus voyager qu’en camion ? J. B. : La stratégie de Fret SNCF peut aussi inciter à la massification ferroviaire des flux et se traduire par des milliers de camions en moins sur les routes. Le projet de haut débit vise à remettre les choses à l’endroit : le ferroviaire ne doit plus mobiliser des moyens importants (locomotives, triages, aiguillages, systèmes de sécurité…) pour rassembler, aux quatre coins de territoires désindustrialisés, des petits lots de marchandises, alors que la route assure les grands flux de fret entre Paris, Lyon, Marseille. C’est ce qui explique les files de camions sur nos autoroutes. Fret SNCF entend rester un acteur de poids sur le segment PGC. Pour cela, il doit améliorer son offre là où sont les véritables enjeux du marché (en termes de zones desservies et de mode d’acheminement), en veillant à l’utilisation optimale des moyens engagés et au nécessaire équilibre économique. D’importants et constructifs échanges ont eu lieu avec les grands clients de ce secteur, notamment des boissons, qui ont abouti à la conception de nouvelles solutions d’acheminement tenant compte à la fois de la nécessité de massification et d’un besoin de flexibilité ; des accords ont été conclus qui donnent au fret ferroviaire une place importante sur ce marché. Comment cette stratégie va-t-elle intégrer les objectifs fixés à l’issue du Grenelle de l’environnement (accroître de 25 % la part du fret ferroviaire d’ici à 2012…) ? Des critères environnementaux ont-ils été pris en considération, dans la décision de redéploiement haut débit ? J. B. : Face à l’urgence environnementale, la SNCF a choisi de soutenir son activité fret, malgré ses difficultés économiques et financières, et d’adopter au contraire une stratégie volontariste : c’est tout le sens de son projet industriel de haut débit ferroviaire. Il vise à répondre aux besoins de volume et de réactivité des chargeurs, en utilisant mieux l’outil industriel, pour l’adapter aux grands flux irriguant l’économie et massifier les trafics, quel que soit le type de service. Cela tient compte de critères environnementaux : les chiffres Ademe 2002 disent que les trains entiers produisent moins de CO2 que les poids lourds : 6 grammes par tonne-km, au lieu 133 grammes. Mais selon ces mêmes sources, le rapport s’inverse pour les wagons isolés : un train Diesel tirant des wagons isolés consomme 80 grammes de CO2 (le diesel étant nécessaire sur les lignes rurales souvent non électrifiées), alors qu’un gros poids lourd (de plus de 25 tonnes) consomme 50 g de CO2 par tonne-km. L’explication tient à la nature du ferroviaire : cela n’a pas de sens d’utiliser une locomotive diesel de 1 500 ch de puissance pour transporter la même charge qu’un camion de 400 ch. Selon nos premières estimations, notre redéploiement sur les grands flux de marchandises et les sauts de productivité du projet de haut débit ferroviaire entraîneront, à volume constant, une baisse des émissions de CO2 de 10 % . Le projet de haut débit montre que la SNCF croit en l’avenir du fret ferroviaire. Plusieurs faits en témoignent. D’abord un niveau d’investissement remarquable pour une activité qui ne fait que 10 % du chiffre d’affaires de la SNCF : près d’un milliard d’euros d’investissement au cours des trois dernières années pour de nouvelles locomotives ; de nouvelles organisations avec un centre de service clientèle et des systèmes d’information renouvelés, y compris des dispositifs de réservation sur internet ; des expériences de positionnement par satellite des wagons (matières dangereuses)… Il y a aussi une prise de position en faveur des techniques d’avenir : combiné, autoroutes ferroviaires (engagement fort dans l’autoroute ferroviaire alpine et dans la nouvelle autoroute ferroviaire Perpignan-Bettembourg), nouveaux concepts (Districhrono…). Enfin, un travail de reconfiguration des chaînes logistiques est en cours avec nos grands clients, pour aider à massifier les flux. Au-delà de la réduction comptable du déficit d’exploitation du rail, à quoi seront consacrées en priorité les économies attendues du redéploiement de l’activité de Fret SNCF ? J. B. : A la conquête durable de nouveaux trafics à l’échelle européenne, que seule une situation économique assainie permet d’envisager, et au développement du transport de conteneurs, trafic qui a déjà augmenté de 16 % depuis le début de l’année et pour lequel Fret SNCF a besoin de dégager de nouveaux moyens. Fret SNCF va-t-il disposer de moyens de production propres affectés à ses clients, ou demeurer tributaire de la politique générale de la SNCF, dont la priorité va depuis des décennies au transport de voyageurs ? J. B. : Fret SNCF dispose déjà de moyens dédiés à son activité et poursuit l’intégration de son outil industriel. Fret SNCF a-t-il de véritables concurrents ? De nouveaux opérateurs seraient-ils en mesure de viabiliser, en contribuant à leur entretien, les lignes sous-exploitées ? J. B. : Oui, nous avons de véritables concurrents, ferroviaires depuis bientôt deux ans et routiers ou maritimes depuis toujours. Nous sommes un compétiteur dans un marché qui en compte plusieurs. Chacun selon ses modes d’exploitation, ses objectifs, ses expertises et performances peut faire la différence et se révéler pertinent là où les autres le sont moins.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard