Bulletins de l'Ilec

Une concurrence « de niche » pour un rail sinistré - Numéro 385

01/11/2007

Le retard accumulé dans le renouvellement du réseau a handicapé le fret hexagonal. Un tournant politique se dessine en sa faveur et de nouveaux opérateurs trouvent leur place ici ou là. Mais pour beaucoup de lignes secondaires, le passif est insurmontable. Entretien avec Yves Putallaz (Ecole polytechnique de Lausanne et Oxand)

Depuis votre audit (1) mené en 2005 sur l’état du réseau ferré français, une inflexion est-elle constatable dans les priorités des pouvoirs publics et de RFF, en termes de renouvellement et d’entretien du réseau ?

Yves Putallaz : Oui, car quelques jours après le dépôt de notre rapport, le ministre de l’Equipement chargé des Transports avait demandé à Réseau ferré de France et à la SNCF d’élaborer un plan conjoint pour le renouvellement du réseau entre 2007 et 2010. L’Etat avait également annoncé une augmentation de la part de financement consacrée au renouvellement, dont une partie devait être trouvée en interne, grâce à l’augmentation de la productivité. On peut donc parler d’une prise de conscience sérieuse de la part de RFF et de la SNCF, qui doivent privilégier le renouvellement et non plus l’entretien. La plupart des réseaux européens consacrent les deux tiers du financement au renouvellement et un tiers à l’entretien, alors qu’en France c’est le contraire. Quelle est la part du fret dans le coût global du réseau ferré ? Y. P. : Il est très difficile de savoir quelle est la part de l’usure de l’infrastructure imputable au fret. L’ouverture du fret ferroviaire à la concurrence a-t-elle un sens, alors que Fret SNCF annonce qu’il se replie sur les grands axes rentables ? De nouveaux opérateurs seraient-ils en mesure de le concurrencer sur ces axes ? Ou de viabiliser – en tenant compte des coûts d’entretien –, les lignes sous-exploitées ? Y. P. : Oui. Citons le cas particulier du transport de bois, au départ de la gare de Pontarlier, dans le Jura français, près de la frontière suisse, reliée d’un côté au réseau RFF et de l’autre au réseau suisse des CFF. En 2005, la SNCF jugea le maintien de la gare bois de Pontarlier non rentable et la ferma. Le bois était alors acheminé à la gare suisse la plus proche par camion, causant de significatives nuisances. En 2007, sur demande des CFF, la gare de Pontarlier a été rouverte, et desservie par un train de marchandises quotidien de CFF, qui y trouve apparemment son compte. L’ouverture du fret ferroviaire à la concurrence a donc un sens, ne serait-ce que pour dynamiser le marché et occuper les espaces laissés libres par le Fret SNCF. Soulignons que les marchés pris par les nouveaux entrants relèvent en général du vrac, et sont des marchés de niche, de point à point, propices à la rationalisation de l’exploitation du parc de matériel roulant. De par sa taille, Fret SNCF se trouve probablement confronté à d’autres contraintes qui l’empêchent d’être aussi performant et souple pour une demande particulière qu’une petite entreprise. L’artisan du coin produit parfois à moindre coût que le grand groupe. De nouveaux opérateurs peuvent donc concurrencer Fret SNCF. Le sujet des petites lignes sous-exploitées est également délicat. On peut imaginer que certaines puissent contribuer à ramener du fret vers les grands axes, sur le modèle américain. Toutefois, ces lignes secondaires sont en général au bord de la ruine et il faudrait investir d’énormes sommes pour renouveler leur infrastructure (renouveler un kilomètre de voie coûte entre 500 000 euros et un million). Or, pour redevenir concurrentiel, le fret ferroviaire doit proposer des prix compétitifs. Cruel dilemme ! Ici, la volonté politique prime la réalité économique. (1). Robert Rivier et Yves Putallaz, Audit sur l’état du réseau ferré national français, EPFL-Litep, septembre 2005.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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