L’ère des marques technophiles - Numéro 386
01/12/2007
Quel jugement portez-vous sur le classement CoolBrands ? Son « Top 20 » rend-il compte d’une réalité objective ? Florence Hussenot : Trop peu d’informations sont disponibles sur le panel de personnes interrogées, si bien que nous ne pouvons pas dire si ce classement est vraiment représentatif des marques préférées des Anglais en général. En revanche, on voit clairement à partir des questions posées que ce classement ne vise pas les marques dites du quotidien, puisque celles autorisées à figurer doivent être stylées, innovantes, originales, authentiques, désirables et uniques. Exit la proximité, le rapport qualité-prix, l’accessibilité, la simplicité d’usage, la reconnaissance, et autres critères fondateurs de la relation entre le consommateur et la marque. La batterie de questions retenue pousse en outre naturellement les marques nouvelles sur le devant de la scène. Et les classements de marques, en général : quelles sont leur pertinence, leurs limites ? F. H. : Les classements de marques sont une photo d’une réalité à un instant donné. Ils parlent de puissance, d’étendue géographique, de force intrinsèque. En tant que consommateur, on peut se sentir comme un pion dans un grand jeu des maîtres du monde ! Les classements sont surtout intéressants dans leur dynamique : les marques qui ont grimpé ou descendu, et les raisons associées. Chaque année, leur publication révèle l’excitation des parties prenantes, les premiers, les derniers, et ceux qui sont arrivés à entrer. Etre dans un classement, c’est d’une certaine façon avoir réussi dans son domaine, une forme de reconnaissance. Mais les classements manquent souvent de transparence, et surtout ils ne reposent pas suffisamment sur les perceptions et les comportements des consommateurs. Il s’agit en général d’une notation subjective, avec, pour le cas des classements de valeur, un support d’information financière réduit à la seule partie publiable. En quoi les marques présentes dans le classement CoolBrands nous instruisent-elles plus particulièrement sur la société britannique ? Serait-il sensiblement du même genre en France ? F. H. : Si ce classement représente la société britannique, alors il faut remarquer que le poids des marques de loisir est prédominant, particulièrement celui des marques technophiles. Les désirs auraient supplanté les besoins. Deuxièmement, le poids des marques d’origine américaine est prédominant, ce qui montre la perméabilité des deux économies, laissant au bord de la route les marques anglaises. Enfin, les cartes ont été rebattues entre les marques anciennes et les marques récentes, ce qui illustre la révolution numérique dans laquelle nous vivons. Comment expliquer l’absence de marques de la finance au pays de la finance ? F. H. : Les marques de la finance ne sont pas exactement ce qui fait rêver ! Force est de constater qu’elles ne sont ni stylées, ni innovantes, ni originales, ni authentiques, ni désirables, ni uniques. Encore une fois, les marques du quotidien, celles qui reposent sur un besoin et une relation quotidienne, ont été exclues, par le biais amené par les questions. De manière plus générale, qu’est-ce que la hiérarchisation des marques traduit du monde dans lequel nous vivons ? F. H. : Elle traduit nos envies, nos rêves, une part de nos besoins, la puissance des économies nationales ; mais elles ne traduisent pas toujours une réalité de terrain. En Allemagne, le maxidiscompte représente plus de 30 % de part de marché de la grande consommation ; en France, certaines catégories de produits sont à 70 % captées par des marques premiers prix, qui ne répondent pas aux objectifs fixés par l’étude CoolBrands mais sont une réalité objective quotidienne. Huit marques (iPod, You Tube, Google, Playstation, Nintendo, eBay, iTunes, Amazon) sur les vingt premières du classement CoolBrands correspondant à des biens ou services qui n’existaient pas il y a seulement une quinzaine d’années. Les marques sont-elles vouées à être des marqueurs générationnels ? Le phénomène est-il porteur de fractures ? F. H. : Oui, nous sommes au cœur d’une révolution numérique qui va changer les relations entre individus, entre individus et marques. Le phénomène ne fait que commencer. La présence de marques technophiles est un marqueur de cette révolution, elle exprime le besoin d’être relié à une communauté de culture, d’idées, de profession, etc., et de maîtriser les sources de la connaissance pour se construire une réalité à soi. Les marques qui ont une histoire, celles inscrites dans le patrimoine culturel d’un pays, sont-elles plus susceptibles que d’autres d’être citées parmi les plus « cool », ou autrement distinguées ? F. H. : Tout dépend encore une fois des questions posées. Les marques ayant une histoire sont plus disposées à entrer dans un classement. Les classements de marques révèlent-ils les nouveaux rapports des forces entre les nations, de nouveaux avantages comparatifs au sens de Ricardo ? F. H. : Oui, les classements mondiaux nous parlent aussi de puissances nationales. Lorsque Lenovo acquiert la division PC d’IBM ou lorsque Mittal acquiert Arcelor, il paraît clair que la montée en puissance de marques des pays émergents dans les classements n’est qu’une question de mois, même si aujourd’hui la démarche sur le capital immatériel, et notamment la marque, reste un apanage des démocraties occidentales.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard